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  • 30 septembre 1964

Le jour où la légende de George Best est née

Par Romain Duchâteau
Le jour où la légende de George Best est née

C'était il y a cinquante et un ans, jour pour jour. Ce 30 septembre 1964, Manchester United se déplaçait dans un Stamford Bridge bondé pour affronter Chelsea. Une affiche de prestige qui a accouché du récital d'un seul homme : George Best. Obligés de s'incliner devant la prestation lunaire d'un gamin de dix-huit ans, plus de 60 000 spectateurs ont vibré au rythme des fulgurances du Nord-Irlandais et se sont tous levés à la fin pour saluer unanimement le génie. Ce jour-là, l'Angleterre a vu ni plus ni moins débuter la légende de George Best. Récit.

On l’oublie bien trop souvent, mais les légendes sont sans cesse idéalisées. Glorifiées. Élevées au-delà du commun des mortels. Celle de George Best est à la fois fastueuse et tourmentée, lumineuse et crépusculaire. Mais si la carrière ainsi que la vie du mythique numéro 7 ont été maintes fois racontées, peu savent quand sa légende a pris source. C’était il y a cinquante et un ans, un 30 septembre 1964. Une nuit étoilée, à Londres, dans l’écrin de Stamford Bridge, où l’Angleterre a découvert le phénomène. Best n’avait alors que dix-huit ans, le corps frêle mais élancé, les jambes fines et les cheveux mi-longs.

60 769 spectateurs étaient venus s’amasser dans les terraces de l’époque qui bordaient la piste d’athlétisme autour du stade, lequel était éclairé par de longs et grands réverbères. Tous avaient fait le déplacement pour un simple match entre Chelsea et Manchester United. Tous auront finalement les yeux rivés sur ce jeune homme au pied hypnotisant et aux multiples arabesques. Ce soir-là, il n’y avait rien d’ordinaire. Car George Best a écrit les premières lignes de sa propre légende. Bien des années plus tard, à propos de ce jour où tout a basculé, le futur Ballon d’or ne livrera que ces quelques mots, mais ô combien significatifs : « Plus je me demande quand cela a commencé, plus je continue de revenir sur ce match. »

Les fantômes de Munich et l’ange inattendu

Avant de faire suffoquer et enchanter toute une assistance, le gamin de Belfast n’a pas immédiatement scintillé. Il a fallu faire preuve d’un peu de patience. À quinze ans, il ne pèse que 47 kilos, et son physique chétif se montre rédhibitoire pour les émissaires venus le superviser. Un recruteur de Leeds United était d’ailleurs venu le voir jouer et était parti au bout de seulement vingt minutes, affirmant que Best ne deviendrait jamais joueur professionnel. Des conclusions hâtives que n’a pas eu Bob Bishop, ancien ouvrier des chantiers navals et prospecteur pour Manchester United. « Je crois que je vous ai trouvé un génie » , a-t-il écrit dans un télégramme devenu célèbre envoyé au manager Matt Busby. Le fils d’une ouvrière dans une fabrique de cigarettes et d’un employé des chantiers navals quitte pour la première fois son Irlande du Nord pour y revenir aussitôt. Il faudra l’insistance de son paternel, Dickie, afin de le pousser à y retourner. À dix-sept ans, au printemps 1963, George signe son premier contrat professionnel. Quelques mois plus tard, le 14 septembre, il honore sa première apparition sous la tunique des Red Devils.

Quand le jeune joueur débarque en équipe première, Manchester United reste encore une équipe convalescente. Profondément traumatisée par le crash de Munich, en 1958, où une majeure partie de l’équipe a été décimée. Parmi les victimes du drames, l’un des Busby Babes, Duncan Edwards, promesse choyée destinée à briller. De cette tragédie, il reste notamment les rescapés Bobby Charlton et Matt Busby. À l’époque, évoluer avec les Red Devils revenait à vivre quotidiennement avec ce drame et à marcher au milieu de fantômes et de survivants élevés au rang de héros. C’était, aussi et surtout, reconstruire sur les vestiges d’un passé autrefois appelé à devenir florissant. « Bestie » n’est donc qu’un gamin lorsqu’il devient un élément de plus en plus important après son premier exercice en 1963/1964. Très vite, Matt Busby s’aperçoit qu’il détient dans ses rangs un joueur à part, singulier, différent. Mais ce que l’Écossais ne sait pas encore, c’est qu’il a sous les yeux celui qui va enfin permettre à Manchester United de faire son deuil et de fuir ce perpétuel horizon lugubre.

« À la fin, ils se sont levés et l’ont applaudi, ils lui ont donné leurs cœurs qu’il avait gagnés »

À l’aube de la saison 1964/1965, Best n’est donc qu’un diamant à polir, arborant un maillot floqué du numéro onze, le 7 étant la propriété de John Connelly. Les stars, à l’époque, se nomment Charlton, David Herd et surtout Denis Law, attaquant prolifique patenté de United. Mais l’effectif demeure en rodage. Avant de se déplacer à Chelsea qui est alors invaincu en championnat, les Red Devils connaissent des débuts poussifs (5 victoires, 3 nuls et 2 défaites). Une courbe de résultats loin de se révéler satisfaisante, mais qui n’empêche pas Best de se distinguer. Au-delà de ses deux buts inscrits, ce sont ses fulgurances personnelles qui font parler. Ainsi, de Leicester à Fulham en passant par Everton et Stoke, son nom commence à être susurré. Sauf qu’afin que la presse nationale s’en fasse l’écho, il faut briller à Stamford Bridge, autre endroit phare des « Swinging Sixties » avec Fleet Street où se réunit une myriade de personnalités. Et ça, le Nord-Irlandais, va le faire avec maestria.

Si Hollins et Tambling mettent d’entrée une grosse pression sur les visiteurs en étant tout près d’ouvrir le score, les hommes de Busby relèvent progressivement la tête et prennent les devants à la demi-heure de jeu. Profitant d’une bévue de McCreadie, le number 11 dribble le gardien Bonetti et marque. Le début du chef-d’œuvre. Sonnés par cette ouverture du score, les Blues sombrent peu à peu et sont tout proches de céder une nouvelle fois sur une tête de Charlton, à la réception d’un corner de George, qui termine sur la barre transversale. En seconde période, les offrandes de Best finissent par être conclues. À la 73e minute, Law claque une tête victorieuse sur un centre de son coéquipier, qui entérine définitivement le succès des siens. Plus que son but et son assist, c’est l’éventail de dribbles envoûtants proposé qui pétrifie les spectateurs. C’est cette facilité insolente, cet élan jamais contrarié qui marquent les esprits. Présent au stade, Ken Jones, chroniqueur respecté qui n’avait pas pour habitude de faire des louanges, s’épanchera non sans une ostensible admiration le lendemain dans l’édition du Daily Mirror : « À la fin, ils se sont levés et l’ont applaudi, ils lui donné leurs cœurs qu’il avait gagnés avec chaque mouvement enchanteur, chaque geste provenant de son jeu de génie. Avant même ses dix-neuf ans, le jeune garçon de Belfast avait 60 769 fans pour lesquels il semblait destiné à devenir le meilleur ailier de tous les temps. Le match était fini, mais qui pouvait oublier une telle chose ? »

Le quotidien The Times se montrera tout aussi dithyrambique sur la prestation grandiose de l’ailier virevoltant. « Tout venait de Best, écrivait à l’époque le journal. Rien ne pouvait l’arrêter dans son élan. Il est même parvenu à faire succomber le public de Chelsea qui attendait que Best ait le ballon pour le voir jouer avec une fluidité qui terrassait chaque joueur. » Et parmi tous ces défenseurs édentés, un, en particulier, ne s’en remettra pas. Tourmenté comme jamais, le joueur des Blues Ken Shellito a vécu un véritable supplice durant 90 minutes. À tel point qu’après avoir été autant maltraité, il ne sera plus appelé en sélection nationale avec les Three Lions et traînera, d’après les dires du Mancunien Pat Crerand, une malédiction jusqu’à la fin de sa carrière : « Ken était un excellent défenseur, mais Best l’a abattu. » Sa performance avait été presque irréelle, si lunaire que même ses adversaires du soir s’étaient inclinés devant son génie. La victime Shellito avait été le premier à féliciter son bourreau, avant d’être suivi par John Hollins et Barry Bridges. Le manager de Chelsea, Tommy Docherty, qualifiera le match de Best de « sensationnel » . Le capitaine Terry Venables, lui, soufflera seulement que « ce jour-là, il(Best, ndlr)était dans un autre monde » .

Poser des mots sur cette rencontre charnière dans la carrière de « Bestie » suffisait d’ailleurs à embuer les yeux de son père Dickie, éminemment fier. « Je suis toujours très sensible à propos de tout cela, s’émouvait-il, en 1999. J’ai découpé et conservé les articles du journal qui parlaient de ce match. (…) À l’époque, je travaillais et ne pouvais pas assister à tout ça. Mais des années plus tard, j’ai rencontré la sœur de Madame Fullaway(celle qui logeait Best à son arrivée à Manchester, ndlr), qui vivait à Londres et allait voir les matchs parce que George jouait. Elle disait qu’elle était complètement dépassée, s’asseyait et pleurait. » Quant à Sir Matt Busby, toujours adepte des formules singulières, il utilisera cette délicieuse métaphore pour résumer tout le bien qu’il pensait de la performance de son joueur chéri : « Je m’en souviendrai toujours. Après cela, chaque fois que je venais à Stamford Bridge, je me disais que je devais appeler la police pour les prévenir qu’un meurtre allait être commis. » Un match qui a également été un tournant décisif dans la saison de Manchester United. « Soudainement, nous sentions que nous pouvions faire quelque chose » , confiera Denis Law. Les Red Devils termineront champions d’Angleterre, eux qui couraient après une couronne nationale depuis 1957. La suite de la légende de George Best ? The rest is history, comme se plaisent à dire les Anglais. Avec, entre autres, des triomphes et d’autres carrières assassinées à foison. Mais, aussi et surtout, beaucoup d’alcool, de femmes et d’excès.

Dans cet article :
Le PSG et la quête de leaders
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Par Romain Duchâteau

Tous propos recueillis dans Bestie : A Portrait Of A Legend de Joe Lovejoy (1999) et George Best Fifty Defining Fixtures de Iain McCartney (2015)

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