- Liverpool
Le jour où Jürgen Klopp est devenu entraîneur
Bien avant d’être l’entraîneur qui a réveillé le Borussia Dortmund et replacé Liverpool au sommet du football européen puis anglais, Jürgen Klopp a commencé sa carrière de coach à Mayence, le club où il a aussi passé la totalité de sa carrière de joueur professionnel. La transition entre les deux métiers s’est d’ailleurs faite en quelques minutes, au téléphone, en février 2001. Retour sur ce jour un peu fou, que le grand blond attendait déjà depuis un long moment.
Certains coups de fil ont changé des vies. Pas seulement ceux passés par Fabrice pour demander, le plus souvent en vain, le montant exact de la valise RTL. Celle de Jürgen Klopp aussi a basculé en décrochant son combiné. En se réveillant le 26 février 2001, le grand blond alors âgé de 33 ans ne se doute pourtant pas qu’il va mettre quelques heures plus tard un terme à sa carrière de footballeur et commencer, dans la foulée, celle d’entraîneur. Une décision un peu folle, dans un contexte un peu fou.
Ce jour-là, à Mayence, le football est pourtant le cadet des soucis des habitants, puisque ce 26 février est le point culminant du carnaval qui fait la célébrité de la ville. Tout le monde est dehors pour fêter le Rosenmontag (le « lundi des roses »), également appelé « jour des fous », car toutes les folies y sont permises et tout est oublié le lendemain. En pleine crise sportive, les joueurs du FSV Mayence 05 ne sont pas conviés aux festivités et sont éloignés des tentations du houblon par un mini-stage à Bad Kreuznach, à une quarantaine de kilomètres de l’épicentre de la fête. Klopp et ses coéquipiers sont réunis pour préparer la seconde partie de la saison, où leur objectif principal sera d’éviter la relégation. Un happy end que Christian Heidel, le directeur sportif du club, ne croit possible qu’avec un nouveau changement d’entraîneur. Le Belge René Vandereycken a déjà été remplacé mi-novembre par Eckhard Krautzun, mais les résultats ne sont pas bien meilleurs. Problème, Heidel ne trouve pas de coach qu’il pense capable de donner un nouveau souffle à son groupe. Alors, il ose un pari inattendu : confier les rênes de l’équipe à Jürgen Klopp.
L’héritier de Wolfgang Frank
Le dirigeant de Mayence appelle son joueur et lui propose le poste, sans avertir au préalable Krautzun qu’il va se faire virer (et remplacer par un de ses cadres). La réponse de Klopp fuse illico : « Je vais le faire. » Mais celui qui deviendra ensuite l’un des meilleurs entraîneurs du monde pose une condition : il ne veut pas être entraîneur-joueur et met donc un terme à sa carrière sur le champ. « J’avais 31 ou 32 ans et je me disais : « Bon, pas d’argent, pas le meilleur des avenirs, ce n’est pas si cool », racontera Klopp des années plus tard. Mais j’aimais trop ce jeu, je ne pouvais pas arrêter de moi-même. Il fallait que quelqu’un me dise : « Va-t’en, on ne veut plus te voir ici ! » Mais les choses ont changé, et ça a été une grande, grande chance. Il n’y a rien dans la vie auquel j’ai été mieux préparé que ça. J’avais plus foi en mes compétences de manager que j’avais en celles de joueur. J’ai considéré mon parcours de joueur professionnel comme une période de transition avant de devenir entraîneur. »
Il faut dire que Klopp a été à bonne école lors de son long parcours de joueur à Mayence (1990-2001). De 1995 à 1997, puis de 1998 à 2000, le natif de Stuttgart a évolué sous les ordres de Wolfgang Frank. Un entraîneur révolutionnaire dans l’Allemagne des nineties, puisqu’il prônait, entre autres, une défense à quatre éléments à plat et un pressing intense dès la perte du ballon. Des principes qui font aujourd’hui la marque de fabrique du système Klopp et qui étaient déjà bien ancrés dans l’esprit des joueurs mayençais de l’époque. C’est d’ailleurs avec ce critère en tête qu’Heidel a porté son choix sur Klopp pour prendre la succession de Krautzun. « Faire passer Jürgen de joueur à entraîneur dans une situation très difficile était une décision prise avec les tripes, et non avec la tête, a avoué Heidel au Guardian. Il n’était pas le capitaine, mais il était le leader émotionnel et le chef tactique de l’équipe. Il a étudié les sciences du sport pendant son séjour à Mayence et il était clair qu’il deviendrait entraîneur une fois sa carrière de joueur terminée. J’avais besoin d’un entraîneur qui continuerait le chemin tactique de Wolfgang Frank. Cela avait déjà coûté leur place à deux entraîneurs. Je faisais confiance à Jürgen pour le faire, mais c’était certainement un risque. Quand je lui ai expliqué mon idée, il n’y a pas pensé pendant cinq secondes. Il a simplement dit : « Je vais le faire ». »
Crise, pressing et mayonnaise
Une fois la grande nouvelle annoncée à Krautzun et aux autres joueurs, Klopp se glisse immédiatement dans le jogging de coach. « C’était une ambiance de crise, on a été réunis et Jürgen a pris la parole et il a fait appel à l’esprit de groupe, témoigne Blaise Nkufo, alors attaquant de Mayence, dans la biographie Jürgen Klopp. De Mayence à Liverpool, les secrets d’un succès(Talent Editions).Il y avait des joueurs seniors dans l’équipe qui ont appuyé cette décision, et finalement la transition s’est bien faite, car il avait l’appui du vestiaire. »
Les premiers entraînements sont axés sur la mobilité, la distance entre les joueurs, le pressing, et le résultat ne se fait pas attendre. Malgré un laps de temps très court pour préparer son premier match, Klopp voit sa bande s’imposer face à Duisbourg (1-0), candidat à la montée, avec les prémices de ce qui fera la marque de fabrique du coach à la casquette. Mayence terminera la saison avec le maintien en poche, et Klopp y restera sept ans, avec en point d’orgue la première montée du club en Bundesliga en 2004. « Son concept de jeu était un peu plus en adéquation avec l’air du temps, explique Nkufo. Avant il y avait un décalage avec le jeu prôné par le coach Krautzun, un type bien, mais d’un certain âge (60 ans). Avec Jürgen, en plus de la philosophie d’un jeune manager comme Heidel, et des concepts un peu plus modernes, la mayonnaise a bien pris. » Presque 20 ans plus tard, la recette fonctionne toujours.
Par Alexandre Alain