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Le jour où Henry est entré un peu plus dans la légende

Par Romain Duchâteau
Le jour où Henry est entré un peu plus dans la légende

C’était il y a quatre ans jour pour jour. Cinq années après avoir quitté son club de toujours, Thierry Henry revenait à Arsenal pour filer un coup de main. Si l’attaquant prenait le risque d’écorner sa légende, sa pige s’est transformée en conte de fées dès son premier match. Une nuit historique où le meilleur buteur de l’histoire des Gunners a fait chavirer tout un peuple. Récit.

D’ordinaire si feutrée depuis son inauguration, l’enceinte de l’Emirates Stadium est saisie comme jamais par un étonnant bourdonnement. Tout le public d’Arsenal vient d’exulter à l’unisson. Certains spectateurs, presque bouleversés par la scène à laquelle ils assistent, laissent même couler quelques larmes sur leurs joues rougies par la rudesse de l’hiver. Une effusion de joie et d’émotion à la hauteur de l’événement. Ce lundi 9 janvier 2012, à l’occasion d’un troisième tour de FA Cup contre Leeds United (1-0), Thierry Henry a sublimé un peu plus sa légende. Elle que l’on croyait pourtant déjà trop belle, trop éclatante, trop ébouriffante. Mais seul lui pouvait réussir l’inimaginable. Dix minutes après son entrée en jeu et à douze minutes de la fin du temps réglementaire de la rencontre, l’attaquant français suspend le temps. Sur un service lumineux d’Alexandre Song, il est trouvé excentré à gauche dans la surface et contrôle le cuir avant de réciter sa spéciale, comme au bon vieux temps. L’appui pied gauche parfait, l’angle d’ouverture idéal et cette finition d’un enroulé du pied droit dans le petit filet connue de tous.

Près de cinq ans après sa dernière apparition, celui qui arbore alors une barbe bien fournie claque son 227e but sous le maillot des Gunners. Ce retour triomphal, à la fois inespéré et digne d’un conte de fées, est tel qu’Henry, peu réputé pour célébrer ses buts, explose de joie sous les acclamations de la foule. Plus que le comeback à la maison de l’enfant chéri, c’est un rêve éveillé. « Je revenais juste de vacances au Mexique il y a quinze jours, je ne pensais pas que j’allais encore jouer pour Arsenal et marquer le but de la victoire, s’épanchait-il au micro d’ESPN, le souffle saccadé, au terme du match. Je voulais juste revenir et aider l’équipe. Puis, j’ai terminé comme l’homme du match. Ce n’était pas mon plan de devenir un héros ! Je me souviendrai toujours de cette nuit. Avec Arsenal, il se passe toujours quelque chose pour moi. » Cette soirée-là, c’est surtout lui qui a offert un souvenir impérissable aux fans. Francis Peyrat, président d’Arsenal France (association officielle des supporters francophones du club londonien) et présent au stade lors de ce jour historique, résume ainsi le sentiment qui habitait chaque spectateur : « C’est comme si Dieu était revenu. »

L’avènement d’Henry II

Il faut dire que l’événement est à la hauteur de la légende que s’est façonnée Thierry Henry. En huit ans à Arsenal (1999-2007), le Frenchy a acquis le statut d’immortel. Parce qu’il a quitté Londres en étant le meilleur buteur de l’histoire du club (226 pions au total) et probablement aussi le plus grand joueur passé toutes époques confondues. Une icône qui a connu l’épopée des Invincibles et une ribambelle de titres (2 Premier League, 3 FA Cup), avant de s’envoler pour le Barça (2007-2010), puis pour les New York Red Bulls. Considéré comme un pré-retraité outre-Atlantique, le meilleur buteur des Bleus (51 buts) vit son American Dream avec un professionnalisme toujours chevillé au corps. Malgré le crépuscule de sa carrière, il claque 29 buts en 51 matchs de MLS. Et comme à chaque fois que le championnat américain s’achève fin octobre, « Titi » en profite pour revenir dans son club de toujours et s’entraîner afin de garder la forme. Mais en cette fin d’année 2011, une rumeur prend progressivement de l’épaisseur : et si Henry revenait sous forme de prêt ?

D’abord improbable, l’hypothèse finit par devenir crédible dans l’esprit d’Arsène Wenger. Car les Gunners traversent un exercice poussif. Après une entame plus compliquée, ils ont redressé la barre en championnat et sont revenus dans la course au podium. Mais l’escouade londonienne, qui affrontera prochainement l’AC Milan en 8e de finale de C1, manque clairement d’élan. Et doit également composer avec les départs respectifs de Gervinho et Chamakh pour la CAN qui se tient du 21 janvier au 12 février. Le manager alsacien consent à rapatrier sous forme d’une pige de deux mois celui qui s’est alors vu tout juste statufier aux abords de l’Emirates Stadium. La nouvelle est officialisée le 6 janvier : le Roi Henry signe son retour. « Il a l’expérience et le talent. Il connaît le club et il peut aider les joueurs sur et hors du terrain. Il ne faut pas mettre trop de pression sur lui, tente tout de même de tempérer Wenger en conférence de presse. Il est venu pour aider le club qu’il aime. Il a trente-quatre ans. Il est là pour aider, pas pour devenir tout d’un coup notre joueur majeur. » Le natif des Ulis prend le risque d’ébrécher sa légende immaculée. Les supporters le savent, mais ne peuvent pourtant dissimuler leur enthousiasme à l’idée de revoir leur idole.

« Je n’ai jamais ressenti une émotion aussi puissante pour un but. Un truc de malade… »

Pour les scènes de liesse, il faut attendre trois jours après son arrivée. Arsenal reçoit Leeds en troisième tour de FA Cup, et l’attaquant est retenu dans le groupe. Si l’Emirates n’affiche à l’accoutumée pas complet pour des matchs de cette envergure, cette fois, la foule se presse. Les pancartes « Welcome home Thierry » fleurissent, et les flashs des appareils crépitent. Bien avant que la partie ne démarre. « En Angleterre, généralement, tout le monde arrive dans les tribunes ou à sa place cinq minutes avant le match. Mais là, beaucoup de gens sont arrivés plus tôt pour voir Henry, se remémore avec joie Francis Peyrat. Pour voir le Roi s’entraîner, s’échauffer. Certains avaient d’ailleurs même du mal à y croire, de le voir sur la pelouse. C’était bizarre, il y avait vraiment une atmosphère différente de d’habitude. Il y avait une ferveur, on sentait qu’il se passait quelque chose, alors que c’était seulement un match de Cup. » Une rencontre au cours de laquelle les Canonniers vont patiner. Après une première période très moyenne, ils élèvent leur niveau en seconde. Mais ni Arteta, ni Arshavin ou encore Oxlade-Chamberlain ne parviennent à faire sauter le verrou de Leeds. Le moment choisi par Wenger pour lancer à la 68e son ancien protégé, qui a troqué son numéro 14 pour le 12, à la place de Chamakh. « Il n’y avait pas grand-chose à lui dire. Les mots étaient simplement de lui donner le poste auquel il allait jouer et de l’encourager » , racontera le boss devant les caméras de Téléfoot.

« Quand il est entré en jeu, c’était la folie, resitue Peyrat. Les gens n’y croyaient pas. À son premier ballon touché, tout le monde s’est mis à chanter son nom. » Et pendant que les « Thierry Henry ! Thierry Henry ! » ne cessent de résonner, l’histoire se met en marche dix minutes après son entrée en jeu. « Quand il a marqué, c’était juste l’hystérie collective. Quelque chose qui a duré très longtemps. J’ai vu des personnes qui avaient les larmes aux yeux, poursuit le président d’Arsenal France. Même des jeunes qui n’avaient pas eu la chance de le voir jouer et n’avaient entendu parler de lui qu’en regardant des vidéos sur YouTube. On était en train de vivre quelque chose d’irréel. Parce que non seulement il revient et, en plus, il marque un but à la Thierry Henry. Je m’en souviendrai longtemps… » Tout comme Tonton Arsène, qui se réjouira dans la foulée du match. Toujours avec sobriété, évidemment : « C’était un rêve, une histoire que vous pourriez raconter à un enfant. » Le héros d’une soirée de rêve, lui, posera ces quelques mots deux jours plus tard pour tenter d’extérioriser ce qu’il a ressenti lors de cet instant privilégié : « Je n’ai jamais ressenti une émotion aussi puissante pour un but. Un truc de malade… D’ailleurs, vous ne trouverez pas d’autres images où j’exulte comme ça » , confiait-il à L’Équipe Magazine. « C’est en fait le premier but que je marque en tant que supporter. Il restait douze minutes à jouer, je portais le numéro 12, j’ai marqué mon douzième but contre Leeds. Un but décisif, un but qui nous qualifie… Je suis resté dans le vestiaire assis, jusqu’à une heure du matin. Juste pour savourer ce moment incroyable. » Un moment rare, aussi. Peut-être le plus grand frisson de sa carrière.

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Par Romain Duchâteau

Propos de Francis Peyrat recueillis par RD

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