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Le jour où Guingamp a privé Monaco du titre
Pour le compte de la 37e journée de la saison 2002/2003, l’AS Monaco se rend au Roudourou afin de croire encore en ses chances de sacre en Ligue 1. Quatre-vingt-dix minutes plus tard, la messe est dite : l’Olympique lyonnais est sacré champion de France. La faute à un En Avant de Guingamp en pleine bourre.
Au moment de lister les grandes équipes du championnat de France des années 2000, les premières références vont à l’Olympique lyonnais, septuple champion de France de 2002 à 2008, ou encore l’AS Monaco, championne en 2000 et vice-championne en 2003. Pourtant, une équipe moins prestigieuse avait aussi marqué les esprits le temps d’une saison : l’En Avant de Guingamp. Un collectif qui va faire vaciller tour à tour l’ASM et l’OL, en pleine bataille pour l’obtention du titre de champion cette année-là. La tâche paraît délicate pour les Bretons, mais pas à en croire les propos de Bertrand Marchand, l’entraîneur de l’EAG, en conférence de presse d’avant-match. « Nous souhaitons prendre six points sur six possibles. » Et pour cause, l’entraîneur possédait un plan de marche bien établi. « C’était plus un objectif pour le club, en vérité, rembobine Marchand. Dans cette période, on était sur un nuage. On avait gagné à Marseille, régalé contre Nantes… Si nous battions Monaco, Lyon serait sacré champion de France et derrière, Lyon allait connaître une décompression logique. Dans ce cas, on pourrait plus facilement les battre pour le dernier match et envisager la qualification européenne. » En Avant toute.
Le souvenir de Louis-II
Mélange entre anciens joueurs confirmés et talents en plein essor, Guingamp surprend son monde, avec six victoires et un nul sur les sept dernières journées. Après un trou d’air lié à la blessure de Didier Drogba, l’EAG revient en bombe. « On avait fait un très bon début en août, donc on faisait partie des équipes de tête, rappelle Marchand. Mais au match aller à Monaco, on avait été mal reçus (défaite 4-0, ndlr). Ils avaient donné des coups, nous prenaient un peu de haut… Ils nous voyaient comme une petite équipe qui n’était pas à sa place. Jérôme Rothen s’était chauffé avec certains de mes joueurs. Monaco se voyait en futur champion, même si Lyon était aussi un concurrent majeur. De notre côté, on l’avait en travers de la gorge, et c’est resté dans nos têtes pour le retour. Je n’avais pas besoin de motiver mes joueurs. » Un match aller qui laisse aussi des souvenirs à Stéphane Carnot. « Rothen avait marqué un but improbable en ratant son centre depuis le bord de la touche, c’était parti dans le petit filet opposé… Il était venu derrière le but pour chambrer notre gardien, on avait trouvé ça un peu moyen. » Double motivation guingampaise, donc.
Porté par le désir de continuer sur leur lancée, les Armoricains démarrent la rencontre pied au plancher. Vainqueur de la Coupe de la Ligue trois jours plus tôt contre Sochaux au Stade de France, Monaco tient le choc, jusqu’à une action collective conclue par Stéphane Carnot (26e). Le club de la Principauté, situé à trois points du leader lyonnais avant la rencontre, voit le titre s’éloigner. Dans les vestiaires, le discours de Marchand est limpide. « Je leur explique qu’il faut continuer à jouer et surtout se méfier du premier quart d’heure, parce que Monaco sait qu’à ce moment, Lyon fait match nul à Montpellier, donc ils allaient pousser pour revenir. Il fallait procéder en contre. » Une stratégie parfaitement comprise par le groupe, qui permet à Carnot de doubler la mise (52e). « Dans l’esprit, c’était plutôt une victoire d’équipe, tempère l’intéressé. C’était un match très ouvert, on sentait qu’on était sur le fil du rasoir parce que Monaco aurait très bien pu marquer avant aussi… » En réalité, Monaco marquera juste après par Shabani Nonda, futur meilleur buteur de la saison (56e). Dans l’Hérault, le score est toujours nul entre Lyon et Montpellier. Le suspense perdure.
Malouda, la fête et les homards
Les minutes passent, la pression monte. Face à eux, les joueurs de Didier Deschamps comprennent qu’ils sont opposés à un groupe ultra soudé. « C’est la plus belle équipe que j’ai pu entraîner, concède Marchand. Il y avait une complicité entre les joueurs et le staff, les joueurs et les supporters… Tous nos matchs de la saison étaient à guichets fermés. Nestor Fabbri, Stéphane Carnot, Christophe Leroux, Jean-Louis Montero jouaient leur dernière saison, donc ils voulaient bien terminer. Et puis de l’autre, il y avait les joueurs suivis par les gros clubs : s’ils voulaient voir un transfert se concrétiser, Drogba et Malouda devaient briller sur ces matchs-là. » Le message est entendu. Sur un nouveau contre, le dernier cité trompe Flavio Roma et annihile les espoirs de titre pour le Rocher (3-1, 89e). Le Roudourou entre en fusion, les joueurs se congratulent. De l’autre côté, la Dèche fait la moue. « En conférence d’après-match, Deschamps se demandait comment on pouvait être aussi motivés, se souvient Marchand. Certains se sont mis à dire que Lyon nous avait contactés pour nous inciter à battre Monaco… Mes joueurs souhaitaient simplement montrer que Guingamp n’était pas une petite équipe. »
Tandis que Guingamp s’apprête à marcher sur Lyon lors de la dernière journée, les vainqueurs du soir se réunissent à l’hôtel pour un moment de détente. « Le soir du match, on avait fait une fête pas possible, évoque Marchand. Le groupe vivait tellement bien qu’on avait fait la semaine ensemble à l’hôtel Aigue Marine de Tréguier. Il y avait des homards dans l’aquarium de l’hôtel. Quand on s’est levé le matin, certains étaient sur le parquet, d’autres dans la piscine. Les homards n’étaient plus très frais, mais ils n’étaient pas les seuls… » Parmi les instigateurs de la pêche au crustacé, Stéphane Carnot plaide coupable. « De toute façon, on ne dort pas beaucoup après les matchs… On s’est marré un moment dans la piscine de l’hôtel, puis on est resté papoter et jouer aux cartes. Après, je pense que Lyon avait aussi dû célébrer le titre de champion dans la semaine, donc on était dans les mêmes dispositions. » Avec Drogba et Malouda dans l’équipe, quand même.
Par Antoine Donnarieix
Propos de Bertrand Marchand et Stéphane Carnot recueillis par AD