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- 20 ans de la sortie de Gladiator
Le jour où Guardiola a projeté Gladiator
Le 20 juin 2000, il y a tout juste vingt ans, le film Gladiator sortait dans les salles obscures en France. Un Espagnol qui deviendra héros à Rome ? Il n’en fallait pas plus à Pep Guardiola pour transformer le vestiaire du Barça en salle de cinéma, avant la finale de la Ligue des champions 2009, au stade olympique de la Ville éternelle.
Un magnifique coucher de soleil se dessine derrière le stade olympique de Rome. À l’intérieur de l’arène, Víctor Valdés termine son échauffement avant ses coéquipiers et se dirige en premier vers le vestiaire occupé par le FC Barcelone. Ce 27 mai 2009, le gardien du Barça perpétue ses habitudes, à quelques minutes de disputer une finale de Ligue des champions contre Manchester United. Mais pour une fois, Valdés trouve un vestiaire fermé à double tour. Il tambourine à la porte. Un assistant de Pep Guardiola ouvre, lui demande de patienter et referme la porte. Le portier est stupéfait. Puis, le reste de l’équipe se pointe, Xavi en tête, qui voit son portier sur le pas de la porte :
Xavi : Que se passe-t-il ?Valdés : On ne peut pas entrer !Xavi : Pourquoi ?Valdés : On m’a demandé d’attendre ici…
Les deux hommes n’en ont alors aucune idée, mais avant de disputer cette finale, Pep Guardiola leur prépare quelque chose de spécial. Il veut leur projeter un montage de moments de joie de leur saison couplé avec des scènes du film Gladiator. Et pour cause, le péplum de Ridley Scott magnifie l’héroïsme de « l’Espagnol » incarné par Russell Crowe dans le Colisée romain.
« J’ai besoin de ton aide pour gagner la Champions ! »
À l’époque, Pere Guardiola, frère de Pep, travaille pour l’équipe commerciale de Nike. Quelques mois avant la finale, il assiste, lors d’une session de team building, à la projection d’extraits de Gladiator. Pere transmet alors à Pep l’idée de projeter des extraits du film avant la finale de Rome. Et c’est Santi Padró, qui travaille pour la chaîne de télévision catalane TV3, qui va la rendre possible. Quelques jours après la qualification du Barça pour la finale, arrachée dans les dernières minutes d’une demi-finale retour épique à Stamford Bridge, le coach envoie ce texto au journaliste : « J’ai besoin de ton aide pour gagner la Champions ! »
Les deux hommes se connaissent bien depuis le début des années 1990, à l’époque où Guardiola débutait au Barça sous les ordres de Johan Cruyff. « Pep m’a demandé trois choses : 1) que la vidéo soit courte ; 2) que TOUS les joueurs de l’effectif apparaissent ; 3) que lui n’apparaisse à aucun moment », rembobine Padró, avant de préciser que Guardiola l’avait déjà sollicité un an auparavant. En 2008, quand il entraînait alors l’équipe réserve du Barça, Guardiola voulait diffuser les highlightsde la saison de son équipe avant un match décisif en vue de la montée en troisième division espagnole.
« C’était leur dernier match à domicile, ils ont gagné et validé ainsi la montée », poursuit Padró, qui ne faisait pas trop le fier quand il a reçu le message de Guardiola un an plus tard, avant la finale de Rome. « C’est une chose de préparer une vidéo pour le Barça B avec un montage sommaire, mais c’en est une autre pour une finale de Champions ! »
Le journaliste se met en ordre de bataille et commence par en parler à ses collègues monteurs de TV3. Sans dévoiler la finalité du projet : « Je leur disais :« Je dois préparer une vidéo, qui montre de la joie, avec des buts, est-ce que vous pouvez m’aider sur le montage ? »Parce qu’en fin de compte, moi je suis journaliste, pas réalisateur. Mon travail, c’est plus d’écrire que de monter des images. » La finale se joue un mercredi, Padró et le monteur Jordi Gayà élaborent la vidéo le dimanche qui la précède.
Une nuit blanche pour monter la vidéo
« En 2009, à TV3, nous avions les droits de tous les matchs, donc, pour la plupart des joueurs, c’était facile de trouver des belles images, reprend le journaliste catalan. Pour Messi, Henry, Iniesta… il y avait de la matière, ils avaient marqué des buts. Mais on avait très peu d’images du troisième gardien, Albert Jorquera. Et puis, on avait un problème moral avec (Gabriel) Milito, parce qu’il n’avait pas joué une seule minute cette saison. »
Puisque Guardiola a insisté pour que tous les joueurs du groupe barcelonais soient mis en avant, le duo trouve une pirouette en insérant un plan du troisième gardien à l’entraînement. Après une nuit blanche, Padró apporte la vidéo au centre d’entraînement le lundi matin. Guardiola la regarde en premier dans son bureau, puis la montre à son staff, qui applaudit à la fin du visionnage en signe de validation.
Le soir venu, à Rome, le vestiaire est en train de se transformer en salle de cinéma. Après quelques minutes d’attente durant lesquelles la nervosité se ressent, les joueurs peuvent entrer. Guardiola les fait s’asseoir face à un vidéoprojecteur apporté spécialement de Barcelone et dit : « Les gars, je veux que vous regardiez ça. Profitez. C’est le travail collectif qui nous a menés à Rome. » Les lumières s’éteignent. La vidéo démarre. Rome se dévoile dans la nuit, filmée depuis un hélicoptère. On entend des applaudissements et des cris, puis un homme casqué apparaît. « Mon nom est Gladiator… »
« On était tous là à pleurer ! »
Sauf qu’une fois sur le terrain, les glaives des Barcelonais ressemblent plutôt à des épées en plastique. Les hommes de Guardiola sont sortis du vestiaire profondément touchés émotionnellement. « On était tous là à pleurer ! raconte Valdés. On est allés sur le terrain, et Andrea Bocelli chantait. On a failli se remettre à pleurer. Manchester United a dû se demander ce qui nous arrivait… On tremblait comme des feuilles. »
Les Barcelonais donnent l’engagement. Cinq passes en retrait plus tard, Valdés balance le ballon en touche sous la pression de Cristiano Ronaldo. Première minute de jeu, toujours : Anderson glisse un petit pont à Yaya Touré et obtient un coup franc dangereux. Pour son dernier match sous les couleurs mancuniennes, CR7 s’en charge, évidemment. La frappe flottante du Portugais est difficilement repoussée par Valdés, et il faut un sauvetage de Piqué devant Park Ji-sung pour dégager en corner. Pris à la gorge par son adversaire, le Barça ne parvient pas à déployer son toque. Xavi et Iniesta sont privés de ballon, la défense subit les vagues mancuniennes. Après neuf minutes, Manchester a déjà tiré cinq fois au but. Les Catalans, toujours pas. Mais la première charge barcelonaise sera la bonne.
Le but d’Eto’o contre le cours du jeu
Une percée d’Iniesta plein axe, un dribble intérieur d’Eto’o sur Nemanja Vidić, un exter’ fort au premier poteau et voilà Edwin van der Sar sur les genoux. 1-0 pour le Barça, l’international camerounais peut se frapper l’avant-bras comme un gladiateur. Les hommes de Guardiola se libèrent et mettent enfin la machine en marche. À la pause, Messi & co ne mènent que d’un but, mais ils dominent leurs adversaires depuis le milieu de la première période. Et cela va continuer après la pause. À vingt minutes de la fin, La Pulga décolle et s’en va, d’un coup de tête parfait, sceller le sort de cette finale, 2-0. Du haut de son mètre 70. Contre une équipe britannique. Tout un symbole.
Pour sa première saison à la tête du Barça, Guardiola entre dans l’histoire avec un triplé championnat-coupe-Ligue des champions qui se transformera quelques mois plus tard en sextuplé. Dans la nuit romaine, Santi Padró lui peut souffler. « Une chance que les joueurs ont gagné la Champions malgré ta vidéo », le chambrera l’écrivain et cinéaste espagnol David Trueba. Les Barcelonais ont-ils gagné grâce ou malgré la projection du montage de Gladiator ? Manel Estiarte (médaillé d’or aux JO de 1996 avec l’équipe d’Espagne de water-polo), le bras droit de Guardiola, confessera : « Comme outil de motivation, la vidéo était un désastre complet. »
Pourquoi le film Gladiator est une référence pour les footballeurs et une source d’inspiration pour les coachs : un article à retrouver dans SO FILM actuellement en kiosque.
Par Andrea Chazy et Florian Lefèvre
propos de Padró recueillis par AC et FL, ceux de Valdés, Xavi, Guardiola et Estiarte tirés du documentaire Take the Ball, Pass the Ball et du livre Pep Guardiola : Another way of Winning, par Guillem Balague