- Disparition de Gérard Houllier
Le jour où Gérard Houllier a lancé Steven Gerrard à Liverpool
À la fin de l'année 1998, Gérard Houllier démontre une partie de son talent en offrant à Liverpool la meilleure action de son passage en Angleterre : repérer Steven Gerrard, l'intégrer parmi les professionnels et lui donner une entière confiance avec notamment le brassard de capitaine. En découlera une belle relation entre les deux hommes, et une aventure commune remplie de titres.
« Demain, tu viens t’entraîner avec les pros.
– Non, non, je ne peux pas. – Pardon ? Mais qui c’est le patron, ici ?
- C’est vous.- Bah demain tu viens, point final. »
Telle est la teneur du tout premier échange entre Gérard Houllier, alors entraîneur principal de Liverpool, et Steven Gerrard, promesse qui vient de terminer un match contre Blackburn avec les moins de 19 ans. À cette époque, et après quelques mois passés sur le banc des Reds lors de la saison 1998-1999, l’ancien directeur technique national de la FFF connaît des débuts plutôt réussis. Pendant ce temps, le jeune Britannique a déjà signé un contrat qui lui fait gagner moins de 1000 euros par mois et enchaîne les pépins physiques au sein de l’entité (qu’il a intégrée à seulement 8 ans).
C’est à ce moment que le Français réalise la meilleure action de toute sa carrière en faveur du club anglais : faire monter d’un étage le milieu de terrain, alors qu’il ne l’avait encore jamais vu de sa vie 90 minutes plus tôt. Un choix encore plus incroyable au regard des circonstances : à l’origine, le coach est venu pour observer un joueur de couloir qu’il ne valide pas.
Les bons yeux pour détecter un grand maigre toujours blessé
À l’instant où il décide de quitter les lieux, Houllier voit « un grand mec tout maigre » qui court « d’une surface à l’autre ». « Il taclait, il sautait à la tête, il gueulait sur ses partenaires…, racontait en 2015 le principal intéressé, le comparant au Luis Fernandez des meilleures années. À la mi-temps, je demande qui c’est. Et on me dit :« C’est Steven Gerrard, il a 17 ans et vient nous donner un coup de main parce qu’il ne s’entraîne pas souvent, il est souvent blessé, il vient dépanner. »Deuxième mi-temps, même chose, il ne lâche rien. Pour moi, c’était clairement l’homme du match. »
« Peu de gens savent que quand il était jeune, à l’Academy, il ne jouait pas beaucoup, il ne s’entraînait jamais parce qu’il était blessé. C’est Gérard Houllier qui a eu le génie de le faire sortir de l’Academy pour le faire s’entraîner avec les pros, corroborait l’ancien de Liverpool Jacques Crevoisier en 2015 (décédé en mai dernier), pour RMC Sport. Je ne sais pas si à l’époque les médecins de l’Academy faisaient des erreurs, mais c’est ça qui l’a sauvé et qui lui a permis assez rapidement, en 1999, de mettre le pied à l’étrier. »
De l’avance sur le monde du foot
Sans avoir à demander l’autorisation à l’Academy comme il le pensait, la future légende vient donc taper la balle avec des partenaires plus expérimentés qu’habituellement. Au milieu de Jamie Carragher, Jamie Redknapp, Paul Ince, Robbie Fowler ou encore Michael Owen, il y a de quoi trembler. Le bonhomme est alors tout juste majeur. Mais le garçon, polyvalent, s’affirme à une vitesse phénoménale sous le regard de son technicien déjà convaincu de sa réussite. Là est tout le mérite d’Houllier : avoir fait confiance à un type surmotivé qui donne l’impression de déplacer un corps fracassé.
Gérard perce ainsi les qualités de Gerrard avant tout le monde, malgré sa personnalité introvertie. Des qualités décrites dans Le Temps par Stéphane Henchoz, ex-partenaire : « Il dépannait à tous les postes. Latéral, au milieu, dans le couloir. À 18 ans, il savait tout faire. Il était puissant, rapide, technique, endurant. Et hyper agressif. À l’entraînement, vous étiez heureux de vous en sortir avec une touche pour vous lorsqu’il venait vous presser. »
Le don du brassard, l’absence de l’au revoir
Concernant la suite, Houllier n’hésite pas davantage. Le 29 novembre 1998, à l’occasion de la quinzième journée de championnat, le natif de Thérouanne sent que le moment tant attendu est arrivé : alors que Liverpool mène 2-0 et qu’il ne reste qu’une poignée de minutes à disputer, il fixe son protégé en lui demandant d’aller s’échauffer. Dans le temps additionnel, et après quelques derniers mots adressés par son boss, Gerrard foule sa première pelouse dans une compétition professionnelle contre… Blackburn. Le reste de l’aventure, superbe, est connu : la relation entre les deux hommes se renforce, en même temps que l’international anglais (il le devient dès l’année 2000) prend du galon. Première titularisation neuf jours plus tard contre le Celta de Vigo en huitièmes de finale retour de la Coupe UEFA, premier carton jaune en septembre 1999, premiers trophées (C3, FA Cup et League Cup) en 2001…
Jusqu’au symbole ultime : accaparer le brassard, en octobre 2003. « Stevie a toujours pensé collectif. Je l’ai quand même mis capitaine à 22 ans ! Et j’ai enlevé Sammy Hyypiä qui en avait 28 ! » rappellera Houllier. Lequel justifiera également son choix avec les propos suivants, au micro de la BBC : « J’y ai longuement réfléchi… Ce n’est pas contre Sami, il a été un bon capitaine pour nous. Mais Stevie a certaines qualités de leadership que j’ai repérées très tôt dans sa carrière. Quand il était jeune, tout ce dont il avait besoin était du temps pour mûrir. Maintenant, il est prêt. Il y a eu une maturation dans son jeu, ainsi que dans sa personnalité. » Un an et demi plus tard, Houllier quitte les Reds et son Steven Gerrard… qui se pose également la question de partir. Une coïncidence ? Pas forcément, vu le vide que peut laisser l’adieu d’un Gérard Houllier.
Par Florian Cadu