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« Et là, Gallardo se jette sur Galtier... »
En avril 2000, dans le tunnel du Vélodrome, une bagarre éclate à la mi-temps du match entre l’OM et de l’AS Monaco. Deux protagonistes sont alors cités : Christophe Galtier, le coach adjoint marseillais, et Marcelo Gallardo, le meneur de jeu monégasque de l'époque. Voici le récit des témoins.
Casting :
Bernard Casoni (BC), entraîneur de l’OM
Philippe Christanval (PhC), défenseur central monégasque
Pablo Contreras (PaC), défenseur de Monaco laissé au repos
Cédric Dufoix (CD), chargé de communication marseillais
Marcelo Gallardo (MG), milieu de terrain de l’ASM
Christophe Galtier (CG), coach adjoint de l’OM
Jean-Paul Jaud (J-PJ), réalisateur Canal+
Philippe Léonard (PL), latéral gauche monégasque
Serge Marchetti (SM), responsable de la sécurité du Vélodrome
Lilian Martin (LM), défenseur remplaçant olympien
Richard Martini (RM), latéral gauche marseillais
Stéphane Trévisan (ST), gardien remplaçant de l’OM
- Vendredi 7 avril 2000. La 30e journée de première division s’ouvre sur le choc Marseille-Monaco. Solide leader, l’ASM compte treize points d’avance sur son premier poursuivant, l’Olympique lyonnais, à cinq journées de la fin. Côté marseillais, la situation est catastrophique. Après trois défaites consécutives, les Phocéens sont quatorzièmes, à un point de la zone rouge.
Sébastien Trévisan : Il y avait beaucoup de tension avant ce match, Monaco était énorme, et nous, on venait de perdre à Strasbourg, donc on était attendus. La direction nous mettait la pression, mais c’était une pression positive. Et heureusement d’ailleurs, parce qu’à l’extérieur du club, l’atmosphère était très négative…
Philippe Léonard : Pour nous, le match n’avait clairement pas la même importance que pour Marseille. On savait qu’on allait être champions. Le calendrier nous était favorable, donc finalement, on savait que si ce n’était pas ce jour-là, on serait champions la semaine suivante. Après, quand tu vas à Marseille, tu y vas pour gagner.
Pablo Contreras : De toute façon, à l’époque, Marseille-Monaco, c’était chaud. Le match aller, déjà, avait été tendu. Il y avait eu des petites provocations, des escarmouches.
- Le match commence avant le coup d’envoi. La presse de l’époque rapporte que les stadiers marseillais ont d’abord bloqué l’accès du stade au bus monégasque, obligeant les joueurs à finir le chemin à pied. Après discussion, le bus est finalement autorisé à entrer dans l’enceinte du Vélodrome. Arrivés dans le vestiaire, les joueurs constatent que les équipes de télévision de Canal + et OM TV sont absentes. Elles ont été interdites.
Cédric Dufoix : La seule chose que nous avons demandée à Canal +, c’est de ne pas filmer devant le vestiaire 20 minutes avant le match parce que les joueurs, exceptionnellement, s’y échauffaient. Aucune consigne particulière n’a été donnée à la mi-temps.
Jean-Paul Jaud : J’ai filmé des matchs pour Canal+ de 1984 à 2008, et en 24 ans, les fois où on a été interdits de couloirs ou de vestiaires se comptent sur les doigts d’une main. C’est bizarre que ce soit arrivé cette fois-là… Il y avait un contentieux lié au match aller, et je pense qu’ils voulaient régler quelques trucs dans le tunnel. C’est en tout cas la réflexion que l’on s’était faite avec les autres journalistes.
Philippe Christanval : On sentait les joueurs marseillais très crispés. Dans le couloir, avant d’entrer sur la pelouse, certains joueurs essayaient de nous intimider par des regards ou des mots.
PL : Avant le match, dans le tunnel, les choses ont tout de suite dérapé. Il y a notamment eu une altercation entre Simone et Blondeau. Patrick a sorti Marco de la file de l’ASM pour discuter et tout de suite, il lui a collé une tarte style Belmondo dans ses films, en lui disant : « Ce soir, tu fermes ta grande gueule, je ne veux pas te voir. » Puis les deux se sont remis dans leur file parce que l’arbitre arrivait. Tout simplement.
- Sur la pelouse, les contacts sont rugueux, les embrouilles multiples. Il ne faut pas plus de 37 minutes pour qu’Ivan de la Pena ramasse le premier rouge de la partie, après avoir giflé Pontus Farnerud. Suivi de près par le Monégasque Philippe Léonard.
PL : Pendant le match, l’atmosphère était vraiment dégueulasse. Je prends deux jaunes, l’un pour une faute, l’autre pour rouspétance sur le juge de ligne. Je suis donc expulsé juste avant la mi-temps.
ST : Quand il passait devant le banc de touche, Gallardo avait une attitude chambreuse. Ça fait partie du jeu hein, mais dès qu’il réussissait un dribble, on le voyait sourire et nous regarder. Il parlait en argentin, et on sentait bien que ce n’était pas pour nous dire « Allez les gars, accrochez-vous ! » Après, il faut pouvoir assumer ce qu’il va arriver derrière… Vu la situation du club à ce moment-là, je peux comprendre que certaines personnes réagissent de façon extrême. Ça aurait pu être un tacle appuyé, mais ça a débordé différemment.
Bernard Casoni : Ce que Gallardo a pris, c’était mérité, il a chambré toute la première mi-temps, même si ce n’était pas un joueur méchant. Mais j’aurais préféré qu’on lui en mette sur le terrain plutôt que dans les coulisses, je ne suis pas pour les bagarres.
Marcelo Gallardo : On m’a toujours qualifié de provocateur. Mais ma seule manière de provoquer, c’était balle au pied. C’est tout. Dans mon quartier, on m’a appris que ça ne se faisait pas de provoquer verbalement. Si j’avais fait ça dans mon quartier, là j’aurais vraiment eu peur ! (Rires.)
PhC : Marcelo éliminait très facilement ses adversaires. Ce jour-là, il leur en fait voir de toutes les couleurs, et tu sentais que ça les énervait.
Lilian Martin : En première mi-temps, Gallardo nous a mis la misère. Fallait pas qu’on perde, donc c’était chaud sur le terrain, mais je ne pensais pas qu’on irait jusque-là.
PhC : J’étais défenseur central, donc j’étais au bout du terrain et en voyant Marcelo regagner les vestiaires, j’ai vu que plus il s’approchait du tunnel, plus les joueurs de Marseille accéléraient le pas pour l’encercler.
- Mi-temps : l’OM mène un but à zéro. Dans le tunnel pour les vestiaires, une bagarre éclate entre Gallardo et plusieurs Marseillais. Alors que les locaux invoquent, à l’époque, la légitime défense, les joueurs de la Principauté parlent d’un « guet-apens ».
LM : Il s’est passé ce qu’il s’est passé. Mais ce n’était pas prévu avant le match, pas du tout.
Richard Martini : Aucun guet-apens ne lui a été tendu, ce n’est pas vrai ça, il y a juste eu une petite échauffourée comme ça arrive souvent, comme il a pu y avoir entre Motta et Brandao.
Serge Marchetti : Ce n’était pas un guet-apens, puisque c’est Gallardo qui dit « Hijo de puta » à Galtier sur le terrain. Après dans le tunnel, Galtier est devant, en haut des escaliers, il se retourne et dit à Gallardo : « Tu dis des choses qui ne sont pas bien, je pense que tu devrais réviser ces paroles. » Là, Gallardo se jette sur Galtier. Après, tout le monde se met au milieu, on ne comprend plus rien, moi mon intérêt c’est de séparer tout le monde.
Marcelo Gallardo : Ils m’attendaient dans le tunnel et ils m’ont attrapé. C’est un truc très « argentin » finalement, de vouloir « limiter » un joueur par n’importe quel moyen, de l’attendre pour lui filer une trempe pareille. Heureusement, j’étais encore habitué (rires), même si je ne m’y attendais pas du tout.
Christophe Galtier : S’il y a un gars qui a hyperprotégé tout le monde pour éviter qu’il y ait des incidents, c’est moi. Je suis l’un des premiers à rentrer dans le tunnel pour éviter que ça parte, et c’est parti. Marcelo, c’était un très grand joueur, mais il pouvait faire péter les plombs à son adversaire. Il crachait à la figure, il insultait tout le monde. J’ai dit à la sécurité : « Mettez-vous autour de lui, ça va partir. » Il pense que je l’ai frappé par-derrière, il m’insulte et me crache à la figure. Il y avait trois personnes à côté de lui à ce moment-là. Et dans ces trois-là, il y en a deux qui l’ont attrapé, il a fini en morceaux, mais moi, je ne l’ai jamais pris par les cheveux… Je n’ai jamais eu besoin de dire : « Eh les gars, c’est pas moi, c’est eux. » Ceux qui l’ont fait sont allés voir le président : « C’est pas lui, c’est nous. » Ça s’est passé en interne.
MG : Ça se voyait qu’ils avaient préparé leur coup. Il y a également des agents de sécurité qui ont participé, des joueurs, le staff marseillais, un peu tout le monde. Les caméras avaient mystérieusement disparu ce jour-là…
CG : L’histoire dira que quelqu’un a voulu les enlever. Ça m’a desservi. Il faut se rappeler que l’OM, à ce moment-là, peut avoir match perdu, et si c’est le cas, on est relégués…
PL : Je suis dans les vestiaires au moment où l’altercation éclate, mais je suis sorti dès que j’ai entendu le bordel pour voir ce qu’il se passait. Marcelo était seul au milieu des Marseillais, il y avait notamment Galtier et Luccin. Mais il y avait plein de monde, même Abardonado était là. Surtout, il y avait des stewards qui cachaient un peu le truc, qui empêchaient de passer.
PhC : Quand je suis arrivé dans le tunnel, les coups étaient déjà partis. Je n’ai pas vu le début, mais ça partait un peu dans tous les sens, entre joueurs, même certains dirigeants s’y sont mis. Et c’est vrai qu’en rentrant dans le couloir, on a eu le sentiment que ces derniers, et même quelques mecs de la sécurité, bloquaient un peu le passage. (Rires.)
PaC : Marcelo m’a raconté que dans le tunnel, il avait été agressé par De la Pena, Luccin et Galtier. D’après lui, c’est De la Pena qui a dégainé le premier. Ils s’étaient un peu chambrés, à l’époque Marcelo était le meilleur joueur du championnat. Plus tard, j’ai joué avec Peter à Vigo, et il m’a confirmé tout ça en me disant que De la Pena était agacé par Marcelo, qu’il était un peu jaloux.
PL : Ça s’est passé très rapidement, certains joueurs de chez nous ont essayé d’intervenir, notamment Martin Djetou qui n’est pas du genre à avoir peur ou à laisser un coéquipier dans la merde, mais c’était déjà trop tard, c’est allé super vite. Marcelo se faisait vraiment fracasser, il a pris des coups de crampons dans la gueule. Il était tout éraflé sur le corps et le visage (blessures au nez, à la lèvre, à l’œil, à l’aine et à l’abdomen, NDLR). Il était tout arraché.
PaC : Les jours d’après, Marcelo l’avait vraiment mauvaise parce qu’aucun de ses partenaires ne l’avait défendu. Il était mal, il avait un sentiment d’abandon. En fait, il était l’un des derniers dans le tunnel, donc la plupart des joueurs étaient devant lui et n’ont pas forcément vu. Mais il nous a raconté que Barthez et Tony Silva, le deuxième gardien, étaient passés à côté de lui comme si de rien n’était, alors qu’il se faisait frapper. Ils ne se sont plus parlé après l’incident d’ailleurs.
- L’incident clos, les sanctions tombent. Marcelo Gallardo reçoit un carton rouge, au même titre que Christophe Galtier. La rencontre se termine donc à 9 contre 10 pour les Monégasques et 4 buts à 2 pour l’OM au tableau d’affichage. Une défaite sans conséquence pour l’ASM qui fête son titre de champion la semaine suivante. Côté marseillais, ces trois points s’avérent plus que précieux, et le club phocéen de se maintenir grâce à une meilleure différence de buts que… Nancy.
MG : Je suis en train de me faire soigner quand on vient me chercher pour que j’aille voir l’arbitre. Je me lève de la civière et quand j’arrive face à lui, il me dit : « Monsieur Gallardo, vous êtes expulsé. » Je n’arrivais pas à y croire. Ensuite, la justice (la commission de discipline de la ligue, NDLR) a très bien agi. Galtier a été suspendu plusieurs mois (six, NDLR). En tant qu’étranger, on aurait pu m’accuser, mais la justice a compris que j’étais une victime dans cette histoire (Gallardo écopera quand même d’un match de suspension, NDLR).
PL : Nous, à la mi-temps, on ne voulait pas revenir sur la pelouse après ce qu’il venait de se passer, on s’en foutait de perdre par forfait, puisqu’on avait une bonne avance sur le deuxième. Mais Claude (Puel, NDLR) nous a persuadés de revenir sur le terrain pour finir la partie. Cette seconde mi-temps a été jouée sans envie.
PhC : Si on perd ce match, c’est qu’on était vraiment déstabilisés, on était sortis du truc. Ce qui s’est passé ce jour-là, ça n’a rien à voir avec le monde professionnel. C’est des trucs qui m’arrivaient en banlieue parisienne, dans des matchs de quartier, mais en professionnel, je n’ai jamais vu ça. Ça a vraiment dépassé les limites.
PaC : Cet événement a fait du bruit, car c’était dans le championnat de France, où vous n’êtes pas habitués à ce genre de choses, mais j’ai joué pas mal de Colo-Colo-Universidad de Chile, et c’est vraiment plus chaud. Dans le Clasico chilien, ce genre d’incidents arrivent régulièrement…
Par Gaspard Manet, avec Axel Cadieux
Article paru initialement dans le magazine So Foot - Tous propos recueillis par GM, sauf ceux de Marchetti, Martin, Casoni par Axel Cadieux, Trevisan par Antoine Donnariex, Gallardo par Florian Torchut, Contreras par Arthur Jeanne et ceux de Cédric Dufoix issus de Libération.