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Le jour où Galatasaray a disputé le premier déplacement européen de son histoire
Dernier du groupe A de la Ligue des champions, éliminé de la course pour les huitièmes de finale, Galatasaray pourrait bel et bien déjà jouer son dernier match européen de la saison ce mercredi soir au Parc des Princes face au PSG. Des performances sportives pas à la hauteur d’une structure qui a ancré dans son ADN ces prestigieux rendez-vous européens. Pour preuve : sa première fois remonte à 1911 face à Cluj, alors encore intégré au sein de l’Empire austro-hongrois. Récit d’un face-à-face peu commun pour l’époque.
Nous sommes au tout début du XXe siècle. À cette époque, à Istanbul, le football est un sport qui fait peur. La raison ? Le sultan de l’Empire ottoman, Abdülhamid II, craint la capacité inhérente du ballon rond à passionner les foules. Il interdit donc aux Ottomans de tâter le cuir entre eux ou même avec les équipes des flottes de marins anglais présentes sur place. Lorsque le club de Galatasaray voit le jour en 1905, à l’intérieur des murs du prestigieux lycée qui porte encore aujourd’hui son nom, l’influence du sultan est déjà sur le déclin. Elle le sera encore davantage à la suite de la révolte du 24 juillet 1908, au contraire de celui du Parlement ottoman. Un bouleversement sur l’échiquier politique qui permet aux Turcs de s’offrir une place croissante dans le paysage footballistique stambouliote. Dans le quartier de la rive asiatique de Kadıköy, les premiers Gala-Fener se disputent enfin au grand jour, mais Ali Sami Yen, président de l’époque et fondateur du club, voit déjà plus grand. « Ali Sami était quelqu’un de très curieux, pose l’historien İzzeddin Çalışlar. Il est issu d’une famille où chacun était prédestiné à faire quelque chose d’important. L’un de ses oncles, par exemple, est l’un des fondateurs de l’État d’Albanie. Ali Sami a toujours été attiré par la nouveauté : lorsqu’il voyait des automobiles, il voulait les conduire. Un nouveau sport, il voulait le pratiquer… »
Le président-joueur de Galatasaray, qui reste à la tête du club jusqu’en 1918, ouvre donc le Cimbom à de nouveaux horizons pour en faire un club omnisports : aviron, volley, natation, voile, basket ou même le tir à la corde. Mais il n’oublie pas le football, et rêve aussi d’Europe. « Le football à cette époque n’était vraiment pas organisé comme aujourd’hui. Un club invitait l’autre pour attirer des spectateurs et avoir plus d’argent pour acheter du nouveau matériel, d’autres maillots, reprend Çalışlar. Pour l’équipe invitée, cela voulait dire qu’ils allaient être financés par le club hôte. En d’autres termes, c’était un échange gagnant-gagnant. » Pour Galatasaray, qui fait face aux quatre autres mêmes équipes toute l’année, l’opportunité est immanquable.
Devenir la tête de Turc des Européens
Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à pénétrer dans le nouveau complexe sportif Ali-Sami-Yen pour trouver trace de cette volonté de se mesurer sans cesse aux meilleurs. Avec ce slogan, placardé en haut du stade, qui a été prononcé par Ali Sami au moment de la création du bébé : « Nous devons jouer en équipe comme les Britanniques, porter le nom d’un club associé à des couleurs distinguées et battre les équipes non turques. » Le contact est alors noué avec l’équipe de l’Empire austro-hongrois de Kolozsvár – champion de Transylvanie et plus communément appelé aujourd’hui CFR Cluj en Roumanie – pour sa grande première. Pourquoi Kolozsvár ? Encore aujourd’hui, des zones d’ombres demeurent. Les hypothèses avancées sont d’abord que, de chaque côté, le français était une langue maîtrisée, qui permettait ainsi de faciliter les correspondances.
Le second, lui, est lié à la situation dans les Balkans, région pourtant plus proche d’Istanbul, qui se dégrade de mois en mois. Le 14 avril 1911, le club de Kolozsvár débarque en grande pompe à Istanbul et fait un premier match nul 2-2 avec Galatasaray. Deux jours plus tard, les Stambouliotes s’imposent 4-2 et s’adjugent leur premier succès face à une formation étrangère. Le temps est alors venu de préparer la manche retour, au cœur du Vieux Continent, qui aura lieu en septembre. Ali Sami Yen, lui, est nerveux : « Il ne voulait pas rater ce premier déplacement à l’étranger. Pour ce faire, il a fourni une liste stricte pour dire à ses coéquipiers et amis comment ils devaient s’habiller, comment parler aux étrangers, comment danser… Il voulait que tout soit parfait pour ne pas se décrédibiliser. » Le trajet en train se déroule sans accroc, porté par les envolées lyriques du joueur et éminent poète turc Emin Bülent. Une certaine idée du romantisme.
Voyage à l’autre bout du monde
Le 11 septembre 1911, Galatasaray s’incline 5-1 pour son premier match en terres austro-hongroises à l’occasion de l’inauguration du nouveau stade de Kolozsvár. Un dîner est prévu après la rencontre, en compagnie des deux équipes. Au menu, en français, « Croquette de Cervelles a la cote d’azur » ou encore « Poulard roti salade et Compot » viennent garnir les assiettes des vingt-deux acteurs. Avant une petite dose de stress en dessert : « Sur cette liste, Ali Sami oublie néanmoins une chose : c’est qu’il va falloir chanter l’hymne du club. Après le match, au moment du dîner, les Roumains commencent à entonner celui de leur club. Les joueurs de Galatasaray se regardent alors entre eux, et comprennent qu’il faut rapidement trouver quelque chose pour ne pas être ridicules. Ils décident rapidement de chanter un chant que tous connaissent et qui est très populaire du côté de la mer Noire : « Hamsi koydum tavaya da bashladim oynamaya »(J’ai mis un poisson dans une poêle à frire et j’ai commencé à danser, N.D.L.R.) » complète İzzeddin Çalışlar. L’esprit de groupe, ça ne s’achète pas.
Deux jours après le festin, Galatasaray reprend une valise 4-1 face aux locaux avant d’en recevoir une autre face à Ferençvaroş (7-1) sur le chemin du retour. Qu’importe, car l’essentiel est ailleurs pour l’historien turc : « Cluj, c’est le début de la soutenabilité de ce mouvement. Car on voit que ça continue dans les années 1920 et 1930, avant la guerre. C’est le point de départ. » Presque 110 ans plus tard, force est de constater que ce voyage au fin fond de la Roumanie en valait bien la peine.
Par Andrea Chazy, à Istanbul