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Le jour où le FC Rouen a regardé Arsenal dans les yeux
La semaine dernière, le FC Rouen, leader de sa poule de National 2, s’est offert une belle victoire face à Metz en 32es de finale de la Coupe de France. De quoi donner le sourire à ses vieilles gloires. Il y a cinquante ans, jour pour jour, les Diables rouges défiaient Arsenal à Highbury, après une première manche au stade Diochon, le tout, en huitièmes de finale de la Coupe des villes de foires. Récit d’un déplacement sabré au champagne avec les joueurs d’Arsenal.
Daniel Druda est cloué au lit avec 40 de fièvre. On sonne à la porte de sa maison. Sur le palier, Pierre Vas, un dirigeant du Football Club de Rouen : « Daniel, lève-toi, il faut que tu joues ! » Depuis deux jours, le malade ne vient pas à l’entraînement. Mais il faut se rendre à l’évidence, ce 17 décembre 1969, le milieu de terrain de l’équipe normande est trop faible pour tenir sa place sur le terrain. « Je m’en souviendrai toujours. J’étais fou dans mon lit ! Je disais à ma femme : « Tu te rends compte, je ne peux pas jouer contre Arsenal ! » » Cinquante ans plus tard, Daniel Druda reste le joueur ayant disputé le plus grand nombre de matchs de première division au FCR, mais il a loupé le match à domicile le plus prestigieux de l’histoire du club parce qu’il avait la grippe. Heureusement, il était sur la pelouse d’Highbury pour le match retour. C’était le 13 janvier 1970, une date gravée dans la mémoire des Rouennais.
Des pancartes « Les grévistes avec les joueurs du FCR »
À la fin des années 1960, le plus grand club de football en Normandie n’est pas le HAC, ni le Stade Malherbe Caen, mais le FC Rouen. « C’était un club très populaire, complètement ancré dans la population rouennaise » , pose Claude le Roy. En mai 68, le jeune joueur à la tignasse blonde et son coéquipier François Bruant ont fait descendre l’équipe dans la rue en soutien des ouvriers en grève. « Les matchs suivants, les gens venaient dans la tribune populaire avec des pancartes « Les grévistes avec les joueurs du FCR » » , se rappelle François Bruant. Dans le même temps, à Paris, des footballeurs en colère occupaient le siège de la Fédération. « On n’avait pas de contrat à temps, rappelle Bruant. Mon transfert de Reims à Rouen (en 1965, N.D.L.R.), je l’avais appris sur la Côte d’Azur, en lisant le journal. »
Contrairement au Stade de Reims, arrosé par la maison de champagne de son président emblématique Henri Germain, le FCR manque d’un grand industriel pour renflouer les caisses. « Nos sponsors, c’était un entrepreneur de bus, un notaire, c’est tout » , note André Mérelle, arrière gauche qui deviendra plus tard directeur de l’INF Clairefontaine. À la fin de l’année 1967, l’équipe est dans la zone rouge et ses finances aussi : il y a 850 000 francs de déficit à combler. La mairie de Rouen refuse de sortir le chéquier, mais le dépôt de bilan est finalement évité grâce à l’intervention du groupement des clubs professionnels. Et l’équipe rouennaise parvient à enchaîner les victoires avant de se maintenir sportivement en D1. Mieux : la saison suivante, les Seinomarins cartonnent et terminent quatrièmes de D1, ce qui va leur ouvrir les portes de la Coupe des villes de foires. Un nom risible pour une compétition qui ne l’était pas : on retrouvait lors de cette édition l’Ajax, Anderlecht ou encore la Juventus et le FC Barcelone.
Au premier tour de cette édition 1969-1970, le FCR élimine Twente : victoire 2-0 à domicile, défaite 1-0 en Hollande. Au deuxième tour, le revers 3-1 sur la pelouse du Royal Charleroi est renversé par un succès 2-0 des Diables rouges en Normandie. Place aux huitièmes de finale. Cette fois, l’adversaire est d’un autre calibre : Arsenal. Six ans après avoir affronté et battu le Bayern Munich (en Coupe Rappan, l’ancêtre de l’Intertoto), le FCR accueille à nouveau un cador européen au stade Robert-Diochon.
FCR-Arsenal. (crédit : Presse Sports / L’Équipe)
« Ça tapait des pieds, je peux te le garantir »
Pour acheter leur billet, les supporters rouennais ont fait la queue devant le stade. Parmi eux, il y avait Jean-Marc, 17 ans à l’époque. « Officiellement, c’était 12 000 spectateurs, mais je suis sûr qu’il y en avait au moins 15 000, avec des gens sur les toits de la tribune » , rembobine celui qui était alors dans la tribune latérale populaire. « Ce qui rendait l’ambiance formidable, c’est qu’on était debout. Ça tapait des pieds, je peux te le garantir. » Dans les médias, en revanche, l’évènement n’en est pas un. Il ne fait pas la Une des journaux, il n’est pas diffusé à la télévision. « Je ne sais même pas si ça passait à la radio. Je n’ai pas souvenir de l’avoir suivi en direct, avoue Druda, le malade. À la fin du match, Michel Sénéchal, le défenseur central, est venu chez moi pour me faire un petit compte-rendu… »
« C’est sûrement la première fois où j’ai préparé un match comme il le fallait. J’ai fait attention à tout, je ne suis plus sorti des jours à l’avance… J’ai vraiment commencé ma carrière professionnelle avec ce match » , assure Le Roy, qui a remplacé le grippé Druda au milieu de terrain. Il a joué aux côtés du Tchécoslovaque Tomáš Pospíchal, un joueur technique qui voyait clair et qui présentait sur son CV une passe décisive délivrée à Masopust en finale de Coupe du monde 1962, face au Brésil (défaite 3-1). Lors de ce match aller, François Bruant a eu la seule occasion franche des Diables rouges. Et c’est Jean-Marc, le supporter, qui s’en souvient le mieux : « La balle a frôlé le poteau. Je le vois encore revenir au centre du terrain et tirer du pied droit alors qu’il était gaucher. Un beau tir, mais un tir trop fuyant. » Score final : 0-0. Tous les espoirs sont permis pour le FCR du coach André Gérard avant le match retour à Highbury.
Claude Le Roy et une Américaine sur la piste de La Brocherie
Entre les deux manches, Claude Le Roy fait une rencontre avec une belle Américaine lors d’une soirée à La Brocherie ( « c’était une boîte très branchée. Où les Bee Gees, les Beatles, les Stones passaient prendre un verre. Où Brigitte Bardot était descendue quand elle tournait L’Ours et la Poupée » ). Le blond a reconnu ce mannequin qu’il avait vu sur des affiches en ville. « J’ai demandé à Ivan Poupardin, le patron, si c’était bien elle. Il m’a répondu : « Oui, c’est une Américaine, elle est intouchable, ne t’avise pas d’aller la voir. » Donc, évidemment, ça m’a titillé… » En bon danseur de rock, Claude Le Roy invite sur la piste celle qui deviendra son épouse.
Joueur de foot, rebelle, noctambule, danseur, Le Roy est également journaliste pour un quotidien normand. Et il consacre aussi du temps à faire connaître l’une de ses passions : le théâtre. « J’étais directeur intérimaire du théâtre d’Évreux. Je voulais faire découvrir ce qu’était un théâtre géographiquement, physiquement, sensuellement, à des gens qui n’avaient jamais osé y mettre les pieds. Pas qu’à mes coéquipiers, mais à toute la population. On louait des cars et on faisait descendre les gens [de Rouen] pour qu’ils découvrent le théâtre. »
Quatre semaines après la réception d’Arsenal, l’équipe rouennaise décolle d’Orly vers l’Angleterre. Lors du quartier libre d’avant-match à Londres, Le Roy, le cultivé de la bande, va faire office d’interprète à ses coéquipiers. « Moi, j’allais souvent à Londres – quatre fois par an. J’adorais la mode anglaise, j’adorais la musique anglaise. Je m’habillais à Carnaby Street. J’ai amené mes potes dans les endroits que je connaissais. »
L’ambiance d’Highbury, le champagne et les boutons de manchette
Pour les Rouennais, le choc culturel survient au moment de s’échauffer sur la pelouse d’Highbury. Cette fois, Daniel Druda est titulaire. Le match n’a pas commencé, mais les supporters d’Arsenal se font entendre. « Dans tout le stade, ils n’arrêtaient pas de chanter ! Nous, on n’avait jamais vu ça. On avait des frissons. C’était terrible. On s’arrêtait même pendant notre échauffement pour les écouter. » André Mérelle, lui, est chargé de s’occuper de la nouvelle vedette d’Arsenal : Peter Marinello. Annoncé comme le nouveau George Best, l’Écossais va vivre les mêmes excès que le cinquième Beatles, mais pas la même carrière(1). Reste que ce soir-là, les fans des Gunners sont croc love de leur ailier droit. Il y a un kop qui lance des « Mari… » et l’autre répond avec des « … Nello ! »
Arsenal domine outrageusement la partie, mais Pierre Rigoni semble infranchissable. Le jeune gardien rouennais enchaîne les parades, avant de céder, finalement, à la 87e minute. Il n’y a pas de trace d’archive vidéo du but sur Internet, mais il semblerait que l’Anglais Jon Sammels ait marqué du talon avec beaucoup de réussite. Un but cruel, mais une victoire (1-0) méritée pour Arsenal. Dans une histoire rêvée, Johan Cruyff aurait pu jouer à Diochon. Car Arsenal a remporté cette Coupe des villes de foires en battant l’Ajax en demies, puis Anderlecht en finale (défaite 1-3, victoire 3-0). Mais les souvenirs d’Highbury des Rouennais ne s’arrêtent pas là. « Après le match, on a tous mangé ensemble avec les joueurs d’Arsenal dans les loges. On nous avait demandé ce qu’on voulait boire. On avait répondu du champagne en rigolant. Eh bien, ils nous ont amené du champagne ! » , raconte Druda dans un éclat de rire. Avant de reprendre l’avion au petit matin, tous les joueurs visiteurs ont eu droit à des boutons de manchette en or avec le canon d’Arsenal. La grande classe.
« Les dirigeants ont abandonné la première division »
Plus dure sera la chute pour le FCR. À la fin de la saison, qui s’est terminée à la 12e place en D1, les dirigeants rouennais décident de repartir en D2. « Ils ont abandonné la première division pour un déficit infime, rage Le Roy. Pour rien du tout ! Je pense même que si on avait su tout ça, on se serait cotisés, nous, les joueurs, afin de trouver des gens pour nous aider à continuer en D1. » La saison suivante, la bande de potes se retrouve éparpillée dans tous les clubs de D1. « On était très jeunes. Cette équipe avait le potentiel pour être championne de France les années suivantes, affirme Le Roy. C’était une époque bénie où le FC Rouen était un excellent club avec de piètres dirigeants. »
Par Florian Lefèvre
Tous propos recueillis par FL. // crédit photos : le site de la Fédération des Culs Rouges
À lire : le magnifique livre des 120 ans du FCR co-édité par le club et Paris Normandie.
(1) cf : l’article « Peter Marinello, ou comment rater sa vie en 11 leçons » à retrouver le SO FOOT hors-série 50 Légendes