- Uruguay
- 25 septembre 2006
Le jour où Darío Silva a perdu sa jambe
Le 25 septembre 2006, le monde apprend que l'international uruguayen, Darío Silva, qui avait connu son quart d'heure de gloire en France après un match de poule du Mondial 2002 (0-0) où il s'était comporté en véritable hyène, a été amputé. Depuis, un peu comme un reptile dont les membres repoussent, l'attaquant a connu plusieurs vies.
Sa carrière touchait à sa fin. Il avait beau avoir 49 sélections avec la Celeste à revendiquer, Darío Silva avait déjà 34 ans et se trouvait sans club depuis plus de six mois. Libéré par Portsmouth, le 14 février, autrement dit lourdé un jour de Saint-Valentin, le teigneux attaquant uruguayen n’était toutefois pas encore résolu à raccrocher les crampons. Une pige au Nacional Montevideo était même dans l’air. Mais la carrière de la cabra (la chèvre), son surnom, connaîtra un épilogue brutal. Un petit matin de septembre, dans une rue de Montevideo, un véhicule part en tonneau avant de s’écraser contre un poteau électrique. Avant le choc, qui se serait produit à près de 100 kilomètres/heure, le conducteur venait de se baisser pour ramasser une part de gâteau tombée au sol. Traumatisme crânien et perte de connaissance, Darío Silva est interné à l’hôpital en état critique. Les médecins parviendront à lui sauver la vie, mais pas sa jambe droite, qui a subi de multiples fractures lors de l’accident. Le 25 septembre, la nouvelle est communiquée au monde : l’attaquant uruguayen Darío Silva a été amputé.
Aviron et équinothérapie
Quand la décision est prise de l’amputer, Darío Silva se trouve sous coma artificiel, et ne se découvrira unijambiste qu’une fois réveillé. Malgré ce sale coup de la vie, l’avant-centre qui disputait chaque ballon comme s’il s’agissait du dernier ne s’est jamais apitoyé sur son sort. Son handicap, il préférait même en rire, moins d’une semaine après l’accident : « Je me trouvais en fin de carrière, ma réaction aurait été différente si j’avais 20 ans, déclarait-il, j’ai dit aux médecins qu’ils m’avaient amputé pour m’empêcher de jouer au Nacional. » Silva était identifié aux couleurs des Peñarol, le grand ennemi du Nacional, l’autre géant uruguayen. Ses buts avec les Carboneros lui vaudront l’intérêt de l’Europe, en 1995. Après trois saisons en Italie, à Cagliari, Silva s’installera en Liga : Espanyol Barcelone, Málaga, puis FC Séville. Quelques semaines après sa sortie d’hôpital, l’attaquant se lance un nouveau défi : participer aux Jeux olympiques de Londres, pas comme footballeur, mais en aviron, une discipline qu’il pratiquait enfant. Darío Silva a su se réinventer. Et plutôt deux fois qu’une.
Si l’estropié n’est finalement pas parvenu à concrétiser son rêve olympique, il a ensuite investi son temps et son argent dans les chevaux. Silva a d’abord fait des canassons un usage thérapeutique, quand il s’est astreint à un traitement d’équinothérapie, avant d’ouvrir une affaire d’exportation de pur-sang arabes, et de participer à des jurys de concours ici ou là. L’ex-attaquant du FC Séville a aussi touché à la politique. L’homme qui se dit ami de l’ex-président José Mujica, Silva ambitionnait de devenir le maire de Rocha pour le compte de Concertación Republicana Nacional, parti d’opposition. Définitivement hyperactif, Silva a aussi contribué, en 2014, à la conception de sa propre nouvelle prothèse, et sa participation à un show télévisé de danse a même été dans l’air, après s’être déhanché sur un plateau argentin.
3000 dollars envolés
Après son opération, Darío Silva avait assuré qu’il jouerait à nouveau au foot « dans deux mois » . Son retour sur les pelouses ne se produira toutefois que plus de deux ans après son accident, quand la cabra participe à un match de charité, à Punta del Este, qui oppose l’Argentine à l’Uruguay, des sélections composées par des célébrités des deux pays. Malgré une prothèse qui rend sa course heurtée, Silva parvient à inscrire deux penaltys. L’ex-attaquant ne s’est jamais résigné à vivre au ralenti, malgré un accident qui aurait pu lui coûter la vie et sur lequel pèse encore quelques incertitudes. Avait-il trop bu ? Lui assure que non, mais il a été donné positif à un examen sanguin. Ce jour-là, la cabra a perdu sa jambe droite, mais aussi pas mal d’argent. Quand son véhicule a percuté le fatal poteau électrique, Darío Silva portait sur lui 3000 dollars en liquide, et des bijoux de valeur, qui ont disparu. « Je n’ai pleuré qu’une fois, dira Silva, un an après son accident, quand j’ai vu tous ces gens à la télé qui me soutenaient. »
Par Marcelo Assaf, avec Thomas Goubin