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Le jour où Courbis s’est inventé un grand-père grec
Rolland Courbis est une histoire. Alors qu'il retrouve ce soir le Gazélec Ajaccio avec son club de Montpellier, l'entraîneur héraultais a également marqué le foot français par ses aventures. Comme à l'été 73 où, pour rejoindre l'Olympiakos, déjà géant d'Athènes, le joueur Courbis va s'inventer un ancêtre. Récit.
Il a la gueule et le verbe. Rolland Courbis est un personnage, avec tout ce que ça comporte. Un homme avec des histoires et un homme à histoires. Jeune, son père policier estimait que le gamin pourrait « s’envoler plus haut » . Courbis est un gosse de Marseille avec tout ce que cela représente. Sa vie à lui, c’était le quartier de La Joliette, une scolarité bancale et le foot pour le plaisir. « C’est quelque chose qui a toujours accompagné ma vie. Je viens d’une famille modeste financièrement et l’école n’a jamais été mon truc. J’ai eu le BEPC, mais le bac, je ne l’ai même pas passé. J’avais le souci de mon avenir, mais j’avais envie de réussir dans le foot » , raconte aujourd’hui l’entraîneur de Montpellier. Au point de mentir, déjà, à l’âge de 16 ans auprès de son coach à l’OM, Mario Zatelli, pour venir tâter la balle auprès des grands. Raison officielle : « Je n’ai pas école, coach. »
La liste du Pirée
Sur le terrain, Rolland Courbis n’est pas le plus beau à voir jouer. Mais il a de l’envie, du caractère et du talent. À l’été 72, le jeune défenseur va alors servir de monnaie d’échange dans le transfert de Marius Trésor d’Ajaccio à Marseille avec quatre autres coéquipiers. Direction la Corse, le cadre et une famille d’adoption : l’ACA, un club qu’il coachera à deux reprises après sa carrière de joueur. Le second club d’Ajaccio est alors en pleine transition, un an après avoir manqué de peu un ticket pour l’Europe. Dominique Baratelli a alors déjà quitté le club, la star Trésor suit donc un an après. L’ACA va alors s’écrouler, terminer la saison à la traîne et être relégué. Courbis est alors placé depuis un an sur une liste mystérieuse en Grèce. Athènes est alors en pleine ébullition, théâtre de la dictature des colonels marquée par le coup d’État d’avril 67. Le roi Constantin II est poussé à l’exil, le colonel Geórgios Papadópoulos prend le pouvoir avec ses officiers et cherche à dézinguer toute contestation. L’Olympiakos est déjà un géant et vient de voir débouler depuis quelques années un sauveur : Nikos Goulandris, actionnaire du club depuis 1970 et devenu progressivement président deux ans plus tard. L’ancien sélectionneur national, Lakis Petropoulos, est placé sur le banc avec la volonté de faire grandir le club malgré la dictature.
À l’époque, le football grec est exclusivement réservé aux footballeurs grecs ou ayant des origines grecques. En sous-main, les dirigeants dressent une liste de joueurs évoluant à l’étranger et pouvant potentiellement rejoindre l’Olympiakos en remontant dans l’arbre généalogique. On y retrouve les cheveux longs de Jean-François Larios, Alfred Vitalis, Delio Onnis, mais aussi Rolland Courbis. « Le club avait commencé à me suivre lorsque je suis parti à Ajaccio. L’Olympiakos était déjà un club très riche, une sorte d’eldorado pour footballeur. Ma priorité était alors financière et les retours que j’avais des pionniers étaient bons. Quand l’occasion s’est présentée, je n’ai pas hésité » , détaille Courbis.
Liverpool, le vieux port et les signes
Problème, si Rolland Courbis remonte longuement la lignée de ses ancêtres, aucun lien avec la Grèce n’est trouvé. « Il fallait simplement un papier pour prouver ses origines. Sincèrement, de mon côté, elle devait être vieille, car je n’avais pas la preuve. J’avais un pote qui bossait alors à la mairie de Marseille qui m’a fait ça simplement avec un tampon. Ce n’était pas non plus une grosse escroquerie et quand je suis arrivé en Grèce, on a fait les recherches. Je n’ai pas été qualifié pendant quatre mois avant d’obtenir une dérogation » , explique Rolland Courbis. Une dérogation obtenue dans « le bénéfice du doute » . Financièrement, l’affaire est belle : « Si je me rappelle bien, c’était 80 bâtons, soit 80 000 francs sur cinq ans dont 60 direct à la signature. » Courbis n’a alors que dix-neuf ans et estime pouvoir mettre sa famille à l’abri. Il retrouve à Athènes « un Autrichien, un Argentin, un Chilien et bizarrement un Uruguayen qui avait la même histoire » que lui. Le grand-père imaginé viendrait alors de la région de Salonique et s’appelle Alexandre. Il n’a jamais existé, mais Courbis imagine avec son ami uruguayen que leurs grand-pères respectifs « se sont disputés pour une gonzesse dans un night club » .
Au niveau foot, Courbis estime ne pas avoir perdu son temps malgré ses quatre mois d’attente à jouer des matchs trois mercredis sur quatre dans le mois en amical contre Liverpool, Everton, Benfica ou Montevideo. Il fera ensuite quelques matchs officiels avec l’Olympiakos avant de rentrer en France, à Sochaux, pour la naissance de son fils. Restent des souvenirs d’une vie semblable à celle de son enfance. « J’avais l’impression d’être à Marseille, à la Joliette. Juste, tu ne savais jamais si une boutique vendait des fringues, de l’alimentation ou si c’était une pharmacie. On ne comprenait rien, c’était un nouvel alphabet, on ne voyait que des signes. En six mois, j’ai appris à parler un peu le grec, même plus rapidement que certains qui arrivent aujourd’hui en France » , se souvient le coach. Un homme à histoires, on disait.
Par Maxime Brigand