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Le jour où Contador a dormi chez Élie Baup
Ceux qui aiment les vidéos de chien jouant avec un chat pour les plus traditionnels, ou de koala taquinant un kangourou pour les plus exotiques, adoreront cette histoire de cohabitation entre cyclistes et footballeurs sur le Tour 2005. Récit d'une histoire oubliée, loin de la domination éléphantesque de Lance Armstrong lors de cette édition, au cours de laquelle Élie Baup aura logé un Alberto Contador alors âgé de 23 ans.
« Ha ben justement, je suis à vélo là, dans les Pyrénées » balance Élie Baup au bout du fil, sans doute perdu au milieu d’un col hors catégorie, casquette vissée sur le crâne, visière en l’air, en plein chasse-patate. Cet aficionado de la petite reine devait en tout cas être l’homme le plus heureux du monde il y a dix ans, jour pour jour, lors de la 20e étape du Tour de France 2005, quand les équipes Crédit Agricole et Liberty Seguros ont débarqué à l’Étrat, le centre d’entraînement de l’AS Saint-Étienne. Alors, lorsqu’on lui demande, sur un air de Sardou, « Te souviens-tu d’un Tour, dix ans plus tôt, déjà dix ans » , ni une ni deux, l’homme invite à monter dans sa machine à remonter le temps.
Un contre-la-montre pour être sur la photo avec Lance
Le 23 juillet 2005, les forçats de la route sont dans le bassin houiller de la Loire, à Sainté, pour l’avant-dernière étape du Tour qui va sacrer Lance Armstrong pour la 7e fois consécutive. L’ogre texan a d’ailleurs assassiné le suspense depuis bien longtemps, et débarque dans la ville natale de Bernard Lavilliers avec le maillot jaune collé au corps depuis la 10e étape. Également sur le podium provisoire au matin de ce 20e épisode, Ivan Basso et Michael Rasmussen. Derrière eux se bousculent, en vrac, Jan Ulrich, Alexandre Vinokourov, Levu Leipheimer, Francisco Mancebo… Bref, un Tour de pharmaciens. En outre, l’étape de Saint-Étienne est un contre-la-montre individuel de 55 km promis à Lance Armstrong, et seules les places pour être sur la boîte avec lui le lendemain sur les Champs-Élysées sont encore à prendre. Voilà pour le topo, au moment où la caravane du Tour pose ses valises dans le 42. Et qui dit Tour de France qui arrive, dit forcément centaines, voire milliers de personnes à loger. L’Étrat, le grand centre d’entraînement de l’AS Saint-Étienne, est donc mis à contribution et doit ouvrir ses bras à deux équipes, alors qu’au même moment, « on préparait un match de Coupe Intertoto » , se souvient Élie Baup.
Welcome to the hotel Étrat
La première équipe sélectionnée pour loger à l’Étrat est choisie selon une logique parfaite. Le Crédit Agricole étant l’un des partenaires du centre et ayant financé en partie sa construction, les coureurs aux tuniques vert et blanc reçoivent une invitation d’office. Personne ne semble en revanche comprendre comment la Liberty Seguros de Roberto Heras, Joseba Beloki et Alberto Contador s’est elle aussi retrouvée chez l’ASSE. Roger Legeay, manager du Crédit Agricole à l’époque, a sa propre explication : « C’est tombé sur eux comme ça aurait pu tomber sur une autre équipe. » Implacable. Et malgré la pression et les enjeux, ce featuring improbable entre cyclistes en train de terminer la course la plus importante de leur saison et footballeurs préparant une compétition européenne fonctionne. « C’était rigolo » s’amuse encore Élie Baup, toujours entre deux lacets pyrénéens. Legeay, lui, retient surtout la qualité de vie du lieu, et les conditions parfaites pour des sportifs de haut niveau : chambres calmes, fraîches, et repas cuisinés par du personnel connaissant les besoins des athlètes. « C’est le Tour, on est absorbé, on est dedans du matin au soir, même la nuit. On arrive le soir, on dîne, on va au massage, puis au lit, et on repart tôt le matin. Alors une structure comme ça, c’est super ! » , jure-t-il dix ans plus tard.
Fast & Furious entre Élie Baup et Christophe Moreau
En deux soirées de voisinage, footballeurs et cyclistes échangent et se découvrent, dans une sorte de Rendez-vous en terre inconnue en cuissard et en crampons. Avec des surprises à la clé : « Les cyclistes, on pensait qu’ils mangeaient des tonnes ! » , balance un Élie Baup qui n’avait sans doute pas bien regardé les jambes de végétalien de Patrice Halgand. Coach Baup qui est d’ailleurs celui, chez les Verts, qui aura le plus profité du passage du Tour en ville. Il a ainsi eu la chance de suivre le contre-la-montre dans la voiture de Roger Legeay, dans la roue de Christophe Moreau, et n’a pas hésité à se rendre aux conférences de presse organisées à cette occasion. « J’ai vu Armstrong, c’était fou, c’était la star, il avait ses gardes du corps, ses fans. Plus que certains joueurs de foot ! » . Cet Armstrong allergique à la surprise remporte le contre-la-montre en passant en tête à tous les temps intermédiaires, et qui déclarera le lendemain sur la plus belle avenue du monde : « Je vais dire à ceux qui ne croient pas au cyclisme, aux cyniques et aux sceptiques : je suis désolé pour vous. Désolé que vous ne croyiez pas aux miracles. Dans le Tour de France, il n’y a pas de secrets, c’est une épreuve sportive difficile et c’est le dur labeur qui permet de la gagner. Vive Le Tour. » Le Texan a peut-être perdu ses Tours depuis, mais l’Étrat continue de garder ces bons souvenirs. Et Baup de pédaler, là-bas, dans les Pyrénées.
Par Alexandre Doskov