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Le jour où Chirac a interrompu la finale de la Coupe de France
Le 11 mai 2002, Lorient et Bastia s’affrontent pour le compte de la quatre-vingt-quatrième finale de la Coupe de France. Mais ce jour-là, le président de la République Jacques Chirac va aussi s’élever contre les sifflets d’une partie des supporters bastiais lors de La Marseillaise, au point de retarder le démarrage de la rencontre. Récit d’une soirée pas comme les autres.
« Ça siffle ? Je m’en vais. » Sourcils froncés en direction de Claude Simonet, Jacques Chirac vient tout à coup de passer d’une soirée paisible à un cauchemar en bonne et due forme. Venu pour assister à la rencontre Lorient-Bastia et la remise du trophée de la Coupe de France 2001-2002, l’homme politique fraîchement réélu pour un second mandat présidentiel va couper court à toute forme de festivité. La raison ? Un mélange de huées et sifflets durant La Marseillaise jouée avant la finale de la compétition comme le prescrit le protocole du tournoi. Sept mois auparavant, le chef d’État avait constaté passivement les sifflets lors de l’hymne national français lors du match amical entre la France et l’Algérie. Mais cette fois-ci, Chirac souhaite agir avec force et conviction. Il faut que cela cesse !
« Ils sifflent ? Je m’en vais. » Jacques Chirac & le football. pic.twitter.com/iifqHmPBPM
— Sport Reporter (@Sport__Reporter) September 26, 2019
Chirac : « Ces sifflets sont inadmissibles et inacceptables »
Excédé, le président de la République file dans le salon de réception situé à l’arrière de la tribune. Le Corrézien d’adoption se remet de ses émotions et invite le président de la FFF à calmer la foule pendant que son homologue le supplie de rester pour assister à la rencontre. Marché conclu. Résultat : Simonet récupère un micro et fait fonctionner les haut-parleurs du Stade de France à plein régime. « La Fédération française de football présente ses excuses à la France parce qu’on a sifflé La Marseillaise ! Le match ne reprendra que dans la tranquillité parce que nous sommes des Français ! » Si les huées redoublent d’intensité dans un premier temps, le message est bien passé. En bas, Lorientais et Bastiais sont rentrés depuis un moment dans leurs vestiaires respectifs. « Le sujet numéro un pour notre équipe, c’était de garder les joueurs sous concentration, car sinon, cela peut être préjudiciable, évoque l’entraîneur du Sporting Club Bastia Robert Nouzaret. Sincèrement, je n’ai pas fait le rapprochement entre les sifflets et la raison de ces sifflets. Quand il s’agit d’une finale, l’adrénaline prend le dessus sur tout ce qu’il peut se passer autour. C’est seulement après coup que nous avons pris conscience de cela. »
Le match prend dix minutes de retard, puis les deux équipes sont rappelées pour démarrer la rencontre. Mais là, nouveau coup de théâtre : Jacques Chirac en personne demande à ce que tout ce beau monde retourne à nouveau dans les vestiaires. Le président souhaite faire passer un message clair à l’antenne de France Télévisions. « Quelques irresponsables ont souhaité siffler la Marseillaise ce soir, au début de ce match, décrit Chirac. C’est inadmissible et inacceptable. Je ne tolérerai pas que soit porté atteinte aux valeurs essentielles de la République et à ceux qui les expriment. » Au fur et à mesure des minutes de retard, l’évènement sportif se transforme progressivement en un conflit politique que les joueurs sont à mille lieues d’imaginer. « Au moment où La Marseillaise se termine, on se dit que le président n’est pas là, qu’il est en retard, décrit Antony Gauvin, titulaire dans la charnière centrale des Merlus ce soir-là. Et puis on attend… Tu essaies de regarder dans la tribune pour voir le président, mais tu ne vois rien bouger. Au total, l’attente avait duré vingt minutes, mais cela paraissait beaucoup plus long. On avait envie de leur rentrer dedans ! » Sans avoir serré la main du président, les acteurs finissent par commencer les hostilités.
Darcheville et Gaillard, chevaliers d’honneur
Battus trois semaines plus tôt par les Girondins de Bordeaux en finale de la Coupe de la Ligue (3-0), les Lorientais ne veulent pas manquer cette deuxième finale au stade de France, et peu importe les conditions de match. Au terme d’une solide prestation collective, les Bretons s’imposent grâce à un exploit personnel de Jean-Claude Darcheville (1-0). Pour le Sporting Club de Bastia, la pilule est dure à avaler. « Je me souviens quand même de la montée des marches, car c’est la seule fois que je suis allé à Saint-Denis, dévoile l’attaquant Nicolas Dieuze, entré en cours de jeu. Si j’ai serré la main de Chirac ? Oui bien sûr, il était là pour nous féliciter de notre parcours malgré la défaite. Après, je ne suis pas du genre à accorder une importance majeure aux personnalités. Je respecte sa fonction, hein, mais ça s’arrête là. En vrai, le souvenir que je garde de Chirac, c’est la vidéo au moment de l’annonce des joueurs de l’équipe de France en finale de la Coupe du monde 98. Ça, c’était marrant ! »
Relégué en Ligue 2 à l’issue de la saison, le FC Lorient s’offre un joli lot de consolation auquel Chirac participe avec bonhomie. « Tout le monde ne peut pas toucher la main du président de la République et j’ai ressenti une forme de fierté à le faire, avoue Gauvin. J’ai perçu Chirac comme un personnage sympathique, toujours prêt à sourire. Il utilisait des mots très simples envers nous, mais il savait rester très convivial. À ce moment-là, je ne sentais plus de barrière avec le président : nous venions de gagner et il accentuait notre euphorie par sa simple présence. » Incontrôlables après avoir soulevé le trophée, les lauréats vont même zapper la présence incongrue du vidéaste Rémi Gaillard lors des photos de célébration. « Le souvenir que les gens garderont en tête, c’est celui de Rémi Gaillard, conclut Gauvin. Une fois que tu as soulevé la coupe, tu es comme un dingue et tu fais n’importe quoi. Il n’y a plus de filtre. Chirac, c’est une émotion plus fédératrice. » Comme quoi, Jacques Chirac n’était pas n’importe qui.
Par Antoine Donnarieix
Propos de Nouzaret, Dieuze et Gauvin recueillis par AD.