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Le jour où le Brésil a lancé le réal pendant la Coupe du monde 1994
Au Brésil, football et politique sont bien sûr indissociables. En dictature ou en démocratie, pour des bonnes ou mauvaises causes, l’instrumentalisation du futebol est monnaie courante. En 1994, c’est justement une réforme monétaire couplée au parcours de la Seleção en Coupe du monde qui fit le succès du candidat Cardoso à l’élection présidentielle...
Le 28 juin 1994, le Brésil finit sur un score de parité avec la Suède au Silverdome de Pontiac (1-1). Ce match nul permet à la Seleção de Raí, Romário et Bebeto de décrocher la première place du groupe B du Mondial US et de se projeter vers un huitième de finale contre la nation hôte, les États-Unis, prévu le 4 juillet. Au Brésil, c’est justement entre ces deux matchs contre la Suède et les USA que le gouvernement a décidé de lancer une réforme monétaire historique…
Le Real galactique…
Face à l’hyperinflation et au mécontentement populaire, le gouvernement du président Itamar Franco avait lancé fin 1993 le Plan réal (Plano réal) pour stabiliser l’économie. Rien à voir avec le club meringue : le réal était le nom de la nouvelle unité monétaire qui aurait bientôt cours légal. Avec le cruzeiro, le Brésil subissait jusqu’à 600 % d’inflation en 1993 et 50% par mois avant l’avènement de la nouvelle unité monétaire élaborée par le ministre des Finances, Fernando Henrique Cardoso. Et c’est finalement au 1er juillet 1994 que le lancement du réal est décidé. Un hasard ? Pas vraiment… Comme le raconte bien Pelé dans son autobiographie Ma vie de footballeur (2014), « Fernando Henrique était persuadé que les Brésiliens seraient plus susceptibles d’accepter le réal s’ils étaient de bonne humeur et avaient confiance en leur pays. Pouvait-on rêver meilleur moyen pour y parvenir que de remporter la Coupe du monde ? »
Peut-être bien : aux États-Unis, la Seleção conquérante peut en ce 1er juillet envisager sereinement la qualif en quarts avant d’affronter en favori logique les USA d’Alexi Lalas et de Cobi Jones… Or, en cet été 1994, le Brésil était déjà entré en campagne politique intense en vue de l’élection présidentielle du mois d’octobre. On se dirige alors vers un duel entre le célèbre syndicaliste Lula (pour le PT, Parti des travailleurs) et Fernando Henrique Cardoso (pour le PSDB, centre droit libéral). Jusqu’en mai 1994, Lula était en tête des sondages, alors Fernando Henrique va miser sur sa réforme monétaire… et sur un succès de la Seleção ! « Ainsi Fernando avait décidé de lier son destin à celui de l’équipe nationale, invitant des journalistes dans son appartement pendant qu’il regardait des matchs à la télé, rembobinait Pelé dans son autobiographie. C’était un pari un peu risqué : après tout, le Brésil n’avait pas remporté de Coupe du monde depuis 24 ans ! Mais bien sûr, tout s’est bien passé, et le Brésil a battu l’Italie au Rose Bowl. Coïncidence ou non, le lancement du réal avait été un succès. »
La victoire de Cardoso
Exact ! Le processus de désinflation s’est opéré de façon rapide, et le Plan réal s’est avéré populaire, même parmi les propres électeurs de Lula. Et c’est dans ce double contexte d’euphorie nationale, Seleção championne du monde et lancement réussi du réal, que se déroule le lundi 3 octobre 1994 le premier tour de l’élection présidentielle. Le résultat tourne au plébiscite historique pour Fernando Henrique Cardoso. Avec une majorité absolue de 54,3% des suffrages exprimés contre 27% à Lula, soit la plus forte avance jamais obtenue par un candidat victorieux dans l’histoire du Brésil, « FHC » est élu président de la République, éliminant ainsi la nécessité d’un second tour… En 1970, le troisième titre de champion du monde du Brésil avait permis à la junte militaire au pouvoir d’instrumentaliser sans vergogne ce succès planétaire en placardant partout dans le pays d’immenses panneaux publicitaires affichant un Pelé triomphant sous ce slogan : « Rien ne peut plus retenir le Brésil, maintenant ! » En 1994, l’instrumentalisation du football ne s’était pas produite a posteriori comme en 1970, mais avant la Coupe du monde. Chapeau à l’artiste Cardoso, donc !
Deux mois plus tard, en décembre 1994, le président Cardoso tentera de pousser son avantage « futebol » en proposant à Pelé, lors d’une rencontre à Brasilia, de devenir le ministre des Sports de son futur gouvernement. Une offre mal engagée au départ, puisque O Rei avait déjà décliné plusieurs fois dans le passé un ministère quelconque… Mais, comme nombre de ses compatriotes, Pelé avait été impressionné par le succès du Plan réal et du quatrième titre mondial de la Seleção. « La politique et le football, de nouveau main dans la main. Je n’en croyais pas mes yeux », avait-il écrit un peu naïvement dans son livre. Alors après un premier refus poli, Pelé s’est laissé convaincre avant d’accepter le ministère lors de cette entrevue présidentielle à Brasilia. Réal, Copa do Mundo & Pelé : en 1994, Fernando Henrique Cardoso avait été tri campeão…
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