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Le jour où Bernabéu a découvert Di Stéfano
C’était le 28 mars 1952. Le stade madrilène et Santiago Bernabéu voient pour la première fois « La Saeta Rubia », l’homme qui va changer l’histoire du club. C’était sous le maillot des Colombiens de Millonarios.
Noemí Sanín a les larmes aux yeux. Ancienne politique devenue dirigeante de club, la dame maîtrise les discours. Elle lève son verre, annonce un toast. « En hommage à un joueur de football, laSaeta Rubia, ce danseur duBallet Azul, un grand être humain, au président d’honneur du Real Madrid, à notre exemple, à la personne à qui nous devons l’histoire des Millonarios. » Nous sommes en septembre 2012, et le club de Bogota rend un vibrant hommage à celui qui a porté le maillot bleu entre 1949 et 1952. « C’est une équipe que je porte dans mon cœur, sachant que j’y ai passé une belle partie de ma jeunesse » , affirme Alfredo Di Stéfano à la fin de la cérémonie. Grâce à la légende argentino-espagnole et aux souplesses de la FIFA, un club fondé trois ans auparavant va se hisser sur le toit du monde à coups de renforts et de football esthétique. C’est l’époque d’El Dorado des Millonarios, celle qui débute en 1949, quand Adolfo Pedernera, Alfredo Di Stéfano et Néstor Raúl Rossi rejoignent la capitale colombienne. Trois titres de champion plus tard, les Millonarios des étoiles argentines, très prisés dans le monde, se rendent à Madrid. En mars 1952, ils viennent fêter les noces d’or du Real, dans un tournoi à trois équipes, avec le Norrköpping suédois. Nous sommes le 28 mars 1952, et le public du Nuevo Estadio Chamartín et Santiago Bernabéu vont découvrir l’un des plus grands joueurs de l’histoire de ce sport.
River rejette l’invitation du Real
À l’été 1949, Alfredo Di Stéfano quitte River Plate, le club qui l’a vu naître. La cause ? Une offre alléchante venant de Colombie, qui vient de créer un championnat parallèle à la marge de la FIFA. L’exil débute avec les Argentins qui émigrent à Bogota, les Brésiliens majoritairement à Barranquilla, et les Uruguayens à Cucutá. Une ligue « illégale » selon l’instance du football mondial qui accueille alors les meilleurs joueurs du continent. Di Stéfano et deux compagnons de l’immense Maquína enfilent le maillot bleu du club fondé par Alfonso Senior. En plus d’écraser le football local, le club de Bogota se fait désirer à l’étranger : tournées, matchs amicaux, les Millonarios se trimbalent dans le monde entier. Dans une interview pour So Foot, Alfredo Di Stéfano se souvenait de la supériorité du club de la capitale colombienne : « Quand le speaker du stade des Millionarios annonçait les noms des joueurs, il citait tous les anciens footballeurs de River Plate : « Rossi, Baez, Cozzi, Pedernera, Reyes et Di Stéfano accompagnés de leurs musiciens. » C’était assez gênant vis-à-vis de nos autres coéquipiers… » En mars 1952, une escale à Madrid va changer l’histoire du football. Dans un documentaire de Fox Sports, Juan Carlos López, ancien président des Millonarios raconte les prémices de ce tournoi : « Pour fêter cet anniversaire, le Real Madrid a d’abord invité River Plate. Mais les dirigeants du club de Buenos Aires leur ont répondu que le meilleur club sud-américain n’est pas en Argentine, mais en Colombie, à Bogota. Et c’est comme ça que le Real a invité Millonarios. » La première rencontre est disputée face au club suédois. Di Stéfano plante un doublé, sous les yeux de Bernabéu. « Je veux ce joueur dans mon équipe » , affirme le président du Real après le spectacle offert par la Saeta Rubia. Deux jours plus tard, Millonarios affronte le club madrilène. Et va gâcher la fête.
Le récital de Di Stéfano contre son futur club
Nous sommes le 26 mars 1952. Dans un stade plein, les joueurs de Bogota affrontent le Real Madrid. Avant la rencontre, chaque joueur reçoit un bouquet de fleurs. Sur le terrain, les joueurs de l’équipe colombienne écrasent le rival madrilène sans pitié : 4-0, le tout en une mi-temps. Le festival est mené par Alfredo Di Stéfano, auteur d’un doublé exceptionnel. « La première mi-temps est une démonstration de classe des Millonarios » , relate une chronique d’ABC de l’époque. Comme le public espagnol, qui applaudit l’équipe colombienne après le récital, la presse ibérique découvre un football nouveau. « Le spectateur, s’il est vraiment fanatique, ne se sentira jamais trompé. Que les Millonarios gagnent ou perdent, de nombreuses actions pendant le match sont des exhibitions, d’une précision d’orfèvre. Dans ce football colombien, il n’y a pas de gros tacles ni de dégagements » , poursuit le chroniqueur du canard espagnol. Julio Cozzi, gardien des Millonarios de l’époque, se souvient, dans le documentaire de Fox : « On voulait montrer aux gens qu’on était une grande équipe. Le monde ne nous connaissait pas. » Jorge Benegas, qui a disputé cette rencontre, poursuit : « À vingt minutes de la fin, deux de nos joueurs se blessent et on se retrouve à neuf. C’est là qu’on a pris deux buts. » Un festival de l’équipe colombienne qui se termine sur le score de 4-2. Un joueur en ressort grandi. « Un footballeur extraordinaire sort du lot : Di Stéfano, puissant, dynamique, qui multiplie les efforts sur tout le terrain. Un joueur d’une telle prestance que le public croit voir un homme doté du don d’ubiquité » , raconte la chronique d’ABC. L’humiliation est telle pour les Espagnols que l’arbitre de la rencontre est signalé comme le principal responsable de la débâcle.
Malgré la défaite, une relation naît entre la Maison-Blanche et le club colombien le plus titré. Surtout, en 1963, Alfredo Di Stéfano rejoint Madrid. Le voyage des Millonarios a donc changé l’histoire du football espagnol. Et tous les vœux de Santiago Bernabéu seront exaucés.
Par Ruben Curiel