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Le jour où… Bastia s’est payé le Torino
Vaincre un cador italien à l’extérieur, dans l’armoire du foot français, c’est aussi rare que des trophées européens. Mais le Sporting Bastia l’a fait, le 7 décembre 1977, avec la manière. Entre neige, cheveux longs et têtes de Maure.
Derrière les panneaux publicitaires estampillés Martini ou Club Med, un épais manteau blanc coiffe la piste d’athlétisme. Sous la brume turinoise, 70 000 spectateurs garnissent les travées du Stadio Comunale de Turin. Ce mercredi 7 décembre 1977, l’hiver est arrivé avant l’heure dans le Nord de l’Italie. Pourtant, pas moins de 15 000 supporters bastiais se donnent rendez-vous dans la capitale piémontaise. Qu’ils viennent de l’Île de Beauté, des bords de la Méditerranée ou du reste de la métropole, tous sont venus pousser le Sporting Étoile Club Bastia en Coupe d’Europe. Torino – Bastia, une vraie affiche de prestige pour le club corse qui effectue seulement sa deuxième participation dans une compétition européenne (après l’élimination au premier tour de la C2 1972-73 par l’Atlético de Madrid). Eraldo Pecci, Renato Zaccarelli, Paolo Pulici, Francesco Graziani (futur champion du monde 82) et les homonymes Claudio et Patrizio Sala : le Torino ne manque pas d’internationaux, qui embarqueront à l’issue de la saison vers l’Argentine disputer le Mundial 78 sous la tunique de la Nazionale.
Scudetto, coup de massue et extra-communautaires
Avec la Juve, le grand rival qui partage le même stade, Il Toro domine le football italien de la fin des seventies. Les Grenats multiplient les places d’honneur et décrochent le Scudetto cuvée 76. À l’heure du tirage au sort des huitièmes de finale de la C3, comme le Barça de Johan Cruyff, l’équipe turinoise fait figure d’épouvantail. Mais le hasard du tirage au sort effectué à Zurich sonne comme un coup de massue pour le Sporting : ce sera une double confrontation face au Torino, avec match retour à l’extérieur. Un détail qui a son importance, puisque depuis le début de la compétition, les Bastiais sont à chaque fois allés chercher leur qualif’ sur le terrain adverse. D’abord face à un autre Sporting (Portugal), lorsque Johnny Rep délivre les siens à la 86e minute du match retour (3-2, 1-2), puis à Newcastle, où la star néerlandaise plante un doublé salvateur (2-1, 1-3).
« C’était une saison extraordinaire, se remémore l’attaquant hollandais, arrivé en provenance de Valence à la suite d’un litige avec le président du club espagnol. Là-bas, il n’y avait que deux places d’extra-communautaires. Pour assurer ma place à la Coupe du monde 1978, je suis parti à Bastia, et j’en garde de super souvenirs. » Avec le regretté Claude Papi (décédé à la suite d’une rupture d’anévrisme en 1983) en meneur de jeu, Johnny Rep forme le duo de choc de la formation de Pierre Cahuzac (le grand-père de Yannick, l’actuel capitaine du SCB). Une équipe composée de jeunes espoirs – Jean-Marie De Zerbi -, éléments maison – Paul Marchioni, Charles Orlanducci – et autres talents prêtés par l’AS Saint-Étienne – Jean-François Larios, Félix Lacuesta.
Fil du rasoir et plot italien
Premier acte à Furiani le 23 novembre. Quand Paolo Pulici débloque les compteurs en faveur des Italiens d’une superbe reprise de volée, les Corses ne s’inquiètent pas. Déjà en 32es et en 16es de finale, ils ont concédé l’ouverture du score. Et comme aux tours précédents, ils retournent la situation. Cette fois, c’est Claude Papi qui claque un doublé, 2-1. « C’était sur le fil du rasoir. On a fait une prestation sérieuse, mais on s’est fait bousculer. On a tout de suite vu qu’on avait affaire à une grande équipe » , appuie Paul Marchioni. Vient alors le match retour. Tombeur de l’APOEL et du Dinamo Zagreb, le Torino accueille les Bastiais en étant invaincu à domicile depuis le début de saison. « Après notre qualification à Newcastle, Victor Sinet, une figure du journalisme (il a couvert dix Coupes du monde, ndlr) qui suivait le football italien, nous avait prévenus, se remémore le défenseur bastiais : « Tout sauf une équipe… le Torino ! » » Et pourtant.
Quinze ans avant le but d’anthologie de David Ginola lors de PSG – Real, la lumière est venue de Jean-François Larios. Le long de la ligne de touche, Jean-Marie De Zerbi réussit un petit pont, sert Claude Papi qui se remet dans le sens du jeu et lance Félix Lacuesta dans le rond central. Ce dernier crochète un plot italien, lance en profondeur Johnny Rep. Le Hollandais met les gaz, crochète. Le reste n’est que grâce : contrôle et remise en pivot de Lacuesta pour Larios, qui dégaine une reprise imparable, 1-0 ! « C’est l’image qui m’a marqué, assure Marchioni. Même aujourd’hui, je regarde encore et encore ce but. »
Drapeaux bleu et blanc et gants rouges
Dans la foulée, Francesco Graziani égalise (22e), puis remet les deux équipes à égalité sur l’ensemble de la confrontation, 2-1 (47e). Mais les contre-attaques bastiaises calment les ardeurs turinoises. « C’est l’ouverture du score qui a fait la différence. Ils se sont dit « On va gagner tranquille »… Sauf qu’après le but de Larios, ils étaient beaucoup moins sereins, note Marchioni. En revanche, s’ils avaient ouvert le score, ça aurait été beaucoup plus compliqué pour nous… » Peu après le deuxième but turinois, Abdelkrim Merry dit « Krimau » trouve le chemin des filets pour le SECB (51e). Le Marocain honore de la plus belle des manières sa place dans le XI – il joue en lieu et place de François dit Fanfan Félix, touché au genou à cause d’un accident de voiture au soir du match aller. Un quart d’heure plus tard, le même Krimau pointe encore ses gants rouges vers le ciel au bout d’un contre assassin (65e). 2-3, Bastia tient son exploit !
En vrai, ce soir-là, le match s’est peut-être joué une heure avant le coup d’envoi. « À l’hôtel, on était un peu endormis. On est rentrés dans ce stade pour s’échauffer, nos supporters chantaient déjà. On a vu tous ces drapeaux bleu et blanc, on ne s’y attendait pas ! Après, il ne pouvait plus rien nous arriver » , sourit Marchioni, qui deviendra plus tard capitaine du Sporting et soulèvera la Coupe de France 1981. De retour sur l’île, le peuple corse se rassemble sur la place Saint-Nicolas pour fêter ses héros. La belle épopée s’arrêtera en finale devant le PSV Eindhoven (0-0, 3-0), avec, au passage, une raclée infligée aux Allemands d’Iéna, 7-2 à Furiani. « Mais la plus belle victoire reste celle à Torino. » Avec en prime un tour d’honneur du Stadio Comunale.
À lire : le site Bastia 78 dédié à cette épopée.
Par Florian Lefèvre
Tous propos recueillis par FL