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Le jour où Baldivieso a fait jouer son fils de 12 ans
Júlio César Baldivieso, actuel sélectionneur de la Bolivie, est entré dans les annales, lorsqu’en 2009, il fait débuter son fils de 12 ans pour un match de championnat local. Retour sur un jour qui a certainement tué la carrière du gamin.
Dimanche 19 juillet 2009. Dans le stade Hernando Siles de La Paz, Aurora affronte La Paz FC, devant environ 7000 courageux venus assister à cette rencontre du tournoi de clôture bolivien. À la demi-heure de jeu, Iván Huayhuata marque contre son camp et offre l’avantage au club de la capitale. Le seul fait de match intéressant, jusqu’à la 80e minute. Júlio César Baldivieso, entraîneur du club de la ville de Cochabamba, décide de mettre un peu de folie dans cette rencontre. À dix minutes du terme donc, il franchit le pas. Pendant la semaine, une petite polémique est née au pays. La raison ? Le coach de Club Aurora a convoqué son fils Mauricio, 12 ans, pour le match de championnat en fin de semaine.
Le dimanche, il lui donne le numéro dix, et le fait entrer en jeu.
Un record mondial vient d’être battu. Les défenseurs de La Paz FC n’en ont rien à foutre, de l’âge du gamin. Premier ballon reçu, premier énorme taquet. Les embrouilles vont se poursuivre pour la famille Baldivieso. Une semaine plus tard, l’entraîneur fait ses bagages et quitte le club avec son fils : « J’ai préféré trouver un accord avec les dirigeants et quitter le club. Je suis sûr que certains n’ont pas apprécié le début de carrière de mon fils. Je pense qu’eux ou leurs enfants ont échoué dans la vie. Le pays doit se rendre compte qu’ici, on coupe les pieds aux jeunes talents » , explique-t-il à la télévision locale. Retour sur un match qui a gâché la carrière de Baldivieso fils.
Des taquets comme cadeau de bienvenue
« Je suis fier, je veux remercier mon père qui m’a donné cette opportunité de débuter. » À l’heure où il devrait s’occuper de ses devoirs ou regarder un dessin animé, Mauricio Baldivieso répond aux questions de la presse bolivienne après le match. Le précoce joueur professionnel vient d’entrer dans une nouvelle dimension. « Mon père est un héros. J’espère un jour jouer en Angleterre ou en Espagne, pour Manchester United ou le Real » , poursuit-il pour l’AFP. Comme « El Emperador » , son père à la carrière de globe-trotter (plus de dix clubs dans huit pays), le gamin porte le numéro 10 et semble manier habilement le ballon. Rapidement, la Bolivie s’enflamme. Ici, on entend que le fils a bien plus de talent que son père.
Là, on peut lire que la Bolivie tient un crack prématuré qui va marquer l’histoire du football local. Aujourd’hui âgé de 19 ans, celui qui a débuté à douze piges se souvient d’un « jour très spécial » : « Les gens me demandent souvent si j’étais prêt pour débuter aussi jeune. Il n’y a pas d’âge selon moi. J’étais prêt physiquement à 200%, comme tous mes coéquipiers. Évidemment, j’étais nerveux, mais tout a changé au moment où je suis entré. Mes coéquipiers m’ont énormément aidé » , raconte le fils « Baldi » .
Tendrement accueilli par les adversaires ce jour-là, il se remémore un moment en particulier : « Un joueur adverse est entré en même temps que moi, il s’appelle Jenry Alaca. Sur l’un des premiers ballons que je touche, j’essaie de faire un contrôle, et je me prends un énorme coup de pied. Même pas un tacle, vraiment une balayette. C’était une manière de me dire « bienvenue en Primera », je pense. » Celui qui a le visage de son géniteur tatoué sur le bras revient sur le soutien que ce dernier lui a apporté : « Mon père m’a aidé pour ma carrière, il me donne des forces pour poursuivre, des conseils qui sont gravés en moi. C’est la personne que j’admire le plus et je lui dois ma carrière dans le football. » Pourtant, sept ans après les débuts de Mauricio Baldivieso, on peut se demander si son père ne lui a pas coupé les ailes.
Une carrière déjà en dents de scie
Lui n’y croit pas. Il préfère paraphraser une formule utilisée par Maradona en 1994, après sa supension : « Ils m’ont coupé les jambes. » Ils ? Les dirigeants du Club Aurora, qui ont cédé aux sirènes de la vox populi. Critiqué de toutes parts, « irresponsable » , selon un canard local, « mettant en danger la santé et la croissance de son fils » , selon Raúl Alberto Morales, ancien joueur bolivien, Baldivieso décide de tourner la page.
Il quitte le club, une semaine après l’avoir lancé chez les professionnels. Lors d’une conférence de presse qu’il donne, il explique que son « fils ne continuera pas non plus dans un club où il n’est pas soutenu, où on ne lui donnera pas sa chance. » Et de poursuivre ironiquement : « Il y a eu beaucoup de jalousie. Le seul délit de Mauricio, c’est d’avoir fait parler de lui dans le monde. »
Plus tard, il dévoilera que les dirigeants d’Aurora lui ont imposé un choix clair : rester à son poste sur le banc du club de la ville de Cochabamba, ou faire ses valises. Depuis, le fils se balade de club en club : après ses débuts, il file au Real Potosí, revient à Aurora l’année d’après, signe au Nacional Potosí, est lourdé deux saisons plus tard à Universitario de Sucre. Aujourd’hui, à dix-neuf ans, il joue pour le Club Jorge Wilstermann.
International des moins de 20 ans, il attend désormais un appel de la sélection majeure… de son père. Júlio César Baldivieso, qui a disputé le seul Mondial de la Bolivie en 1994, dirige aujourd’hui la sélection, qui affronte la Colombie dans le cadre des éliminatoires pour la Coupe du monde 2018. Et doit, comme souvent, gérer une situation catastrophique. Certains joueurs ont menacé la Fédération de ne pas rejoindre la sélection si la dette que l’institution du football bolivien doit aux joueurs n’était pas réglée. Cette fois-ci, il ne pourra pas noyer le poisson en mettant son fils sur scène.
Par Ruben Curiel
Propos de Mauricio Baldivieso recueillis par RC.