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Le jour où Auxerre a piqué Szarmach au Bayern
Considéré comme l'un des meilleurs buteurs de la planète à la fin des années 1970, Andrzej Szarmach aurait dû porter le maillot d'un cador européen comme le Bayern Munich, qui voulait le recruter. Mais grâce à la ruse et au culot de Guy Roux et des dirigeants auxerrois, l'attaquant polonais a posé, en 1980, ses valises à l'AJA, dont il est encore aujourd'hui le meilleur buteur. Retour sur l'un des plus beaux transferts réalisés par un club français, sur fond de caisses de bières, d'appuis politiques et de verres de Chablis.
C’est l’histoire d’un mariage qui n’aurait jamais dû avoir lieu, mais qui finira par devenir une romance aussi belle qu’improbable. Automne 1980, la France commence à entendre parler d’Auxerre. Le succès de Coup de tête, réalisé par Jean-Jacques Annaud et tourné en partie à l’Abbé-Deschamps, ainsi que la finale de la Coupe de France 1979 perdue face à Nantes (4-1), y sont pour beaucoup. Mais une arrivée va faire basculer le paisible chef-lieu de l’Yonne dans une médiatisation et une popularité dont il ne se sortira jamais vraiment. Fraîchement promu dans l’élite, l’AJA peine en championnat. Pour assurer le maintien qui deviendra son leitmotiv, Guy Roux tente un coup : faire signer Andrzej Szarmach, avant-centre de l’équipe de Pologne troisième de la Coupe du monde 1974 (5 buts) et meilleur buteur des JO de Montréal, en 1976, dont il finira meilleur buteur (9 réalisations). Un peu comme si Évian Thonon Gaillard avait essayé de recruter Tévez au lieu de Duhamel cet hiver.
Infaisable sur le papier, le transfert va finir par se réaliser grâce à la malice des dirigeants auxerrois et aux jalons posés par Guy Roux des années auparavant. « L’idée m’est venue lors de la Coupe du monde 1974, où il a été à peu près le meilleur avant-centre. Je voulais l’avoir, mais il avait 24 ou 25 ans(les joueurs polonais n’étaient autorisés à quitter leur pays qu’à leurs 30 ans, ndlr). J’ai gardé mon idée, et entre-temps, on est montés en première division. Je suis allé à la Coupe du monde en Argentine. La Pologne jouait à Mendoza, une ville viticole du bas de la cordillère des Andes. Le camp polonais était dans la montagne, et j’ai décidé d’aller lui rendre visite pour me faire connaître. Mais la seule route pour y aller était gardée par l’armée du dictateur Videla, pas des tendres. J’ai été obligé de ruser. J’ai pensé que des Polonais, ça buvait de la bière. Je me suis dit qu’il devait y avoir quelqu’un qui livrait la boisson là-haut. J’ai fait une recherche dans Mendoza, j’ai trouvé le livreur, je l’ai persuadé que je voulais aller voir les Polonais, j’ai mis une casquette et un blouson et je suis monté avec un chauffeur. Quand on a passé le poste de police, on a donné une caisse de bières. » Et si Szarmach ne prête pas plus d’attention que ça à son visiteur, les noms de Guy Roux et d’Auxerre sont au moins ancrés dans sa tête.
Mercedes du Bayern, « coups de Chablis » et avion en détresse
Problème pour Auxerre, Guy Roux n’est pas le seul à avoir eu l’idée de recruter l’un des meilleurs avants-centres du monde. Et l’AJA, modeste club de D1, n’a pas les arguments ni les finances de ses concurrents, qui s’appellent Bayern Munich ou Juventus. « Je suis allé le voir jouer en Pologne, lors d’un match à Lodz. Et là, il y avait une Mercedes du Bayern et une autre voiture d’Anderlecht. J’ai pensé que j’avais peu de chances… » , avoue Guy Roux. Mais une brouille entre Szarmach et le ministère des Sports polonais, qui gère alors les transferts, empêche le joueur de quitter le pays à ses 30 ans. Un coup dur pour Auxerre ? Tout le contraire. Maire de la ville et ministre des Sports de Valéry Giscard d’Estaing à cette époque, Jean-Pierre Soisson fait jouer ses relations pour dénouer l’affaire avec son homologue polonais. « J’étais allé une fois ou deux, comme membre du gouvernement, à Varsovie. J’ai négocié à coups de Chablis pour permettre que la Pologne accepte de se séparer de Szarmach » , raconte l’ancien ministre.
Le duo Roux-Bourgoin entre alors en action pour finir le travail et ramener celui qui évolue au Stal Mielec. Et lorsque l’entraîneur auxerrois et le « roi du poulet » font le voyage, ils reviennent rarement à vide, quitte à employer des méthodes à la limite de la légalité. « Le passage à la banque de France était plus facile que maintenant pour avoir des liquidités, se souvient Bourgoin. Il fallait quand même y aller, elle remettait les liquidités, et je suis parti en Pologne, ne sachant pas si j’allais le faire ou pas. J’essayais de faire et si je le pouvais, je payais sur place et je ramenais le joueur. » « On est allé avec Gérard Bourgoin à Mielec. Ça n’a pas été facile d’atterrir, vous pouvez le supposer, sur un aérodrome où l’on fabriquait des mines soviétiques, poursuit Guy Roux. Mais Gérard Bourgoin avait un art particulier. Il a déclaré l’avion en détresse et on a eu le droit de se poser. Et on a même eu, à la sympathie, mais je ne vous dis pas comment, le droit de sortir de l’aéroport et d’aller au match. On a discuté avec lui et on l’a convaincu de venir à Auxerre. »
Roux : « Le meilleur avant-centre que j’aie jamais entraîné »
Szarmach, qui terminera encore troisième de la Coupe du monde 1982 avec la Pologne, marquant face à la France lors de la petite finale (3-2), arrive donc à Auxerre. La première vraie star recrutée par le club, avant Scifo, Roche ou Blanc. « J’étais en vacances quand mon frère m’a appelé et m’a dit que Szarmach avait signé à Auxerre, se remémore Lucien Denis, défenseur de l’équipe. J’ai dit : « Oui c’est ça, ça doit être son cousin ou son frère, mais ce n’est pas lui ». Mais quand il est arrivé, j’ai vraiment hésité à lui faire signer un autographe tellement j’étais ébahi » . « À son premier entraînement, on a doublé notre nombre de spectateurs. Il y en avait 20 au lieu de 10 » , s’amuse encore Guy Roux.
Le reste est gravé dans l’histoire de l’AJA, puisque le Polonais est encore aujourd’hui le meilleur buteur du club en D1, avec 94 réalisations, loin devant Djibril Cissé (70). « C’est le meilleur avant-centre que j’aie jamais entraîné, alors que j’en ai eu d’autres de très grande valeur, lance l’ancien coach auxerrois. Il ne courait pas beaucoup, ça choquait un peu, mais je ne lui demandais pas du tout de travail défensif, sauf sur les corners. Mais quand il avait un ballon en profondeur, il n’y avait pas besoin de regarder, c’était but. » Des buts à la pelle qui n’auraient logiquement pas dû avoir lieu à Auxerre et dont il est bon de se souvenir, à l’heure où le club icaunais galère en Ligue 2. Avec une bière ou un verre de Chablis à la main.
Par Axel Bougis
Propos de G. Bourgoin, JP. Soisson et L. Denis issus du documentaire Enraciné, de Canal +