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Le joueur emblématique doit-il avoir peur du banc ?
Devenir entraîneur d’un club dont on a fait les beaux jours dans la peau du joueur représente un véritable risque. Entre pression et attente des fans, celui qui se réinvente coach doit avoir les nerfs solides pour faire honneur à sa réputation.
Pep Guardiola, Luis Enrique, Carlo Ancelotti, Johan Cruyff, Franz Beckenbauer, Diego Maradona, Michel Platini, Filippo et Simone Inzaghi, Vincenzo Montella, Clarence Seedorf, Frank Rijkaard, Luis Aragonés, Arsène Wenger, Jean Tigana, Claude Puel… Très nombreux sont les hommes qui, après avoir fait lever les foules d’un club ou d’une sélection, en avoir été l’emblème ou le symbole en tant que joueur, se sont risqués à en devenir l’entraîneur. Parmi eux, certains ont triomphé et embelli encore plus leur image auprès des supporters. Le meilleur exemple ? Zinédine Zidane, évidemment. Mais il n’est pas rare d’observer d’anciennes gloires chuter et ne pas parvenir à porter au sommet des entités qu’elles avaient dans le cœur. En résulte une réputation souvent déchue dans la tête des fans. Ces mêmes fans qui portaient en triomphe leur idole avant qu’elle ne décide d’emprunter la casquette de technicien.
Entraîneur, un point c’est tout
Alors, entraîner une teamdans laquelle on a joué et réussi, est-ce une bonne idée ? En vérité, la question n’envahit guère les cerveaux des principaux concernés, qui se sentent souvent obligés de relever le défi quand on fait appel à eux. À l’image de Marco Simone, plus de 100 matchs et un championnat de France avec Monaco entre 1999 et 2003, qui ne peut qu’accepter lorsque le prince Albert lui réclame de l’aide en 2011 : « Je venais juste de passer mes diplômes, mais je ne pouvais pas refuser. Voir le club que tu aimes souffrir et ne rien faire alors que tu as l’opportunité d’agir, ce n’est pas possible. » Idem pour Bernard Casoni, défenseur de l’Olympique de Marseille de 1990 à 1996 catapulté à la tête de l’équipe phocéenne en 1999 alors qu’il tient la réserve : « Ça ne s’est pas fait normalement, c’était forcé. J’étais jeune, je poursuivais mon apprentissage tranquillement avec la B, ça se passait très bien… et j’ai dû prendre la suite de Rolland Courbis dans un bordel monstre. Dans ces conditions, connaître les infrastructures, ça ne m’a pas suffi pour m’en sortir. » Conséquence : Marseille termine 15e, Casoni est remercié et ne remettra plus jamais les pieds à l’OM.
Idole du peuple ou pas, le coach est avant tout l’entraîneur. Avec tout ce que cela exige, et notamment l’obligation de résultats. « Quel que soit son nom, l’entraîneur est le chef d’orchestre et reste donc, évidemment, extrêmement exposé à la pression des tribunes, rappelle Ludovic Lestrelin, sociologue du football et auteur d’un ouvrage sur les supporters de l’OM.On a vu combien Míchel, pourtant ancien joueur emblématique du Real, s’est fait conspuer lors de sa saison sur le banc de l’OM. La qualité d’ancien joueur n’est pas un gage d’acceptation pour le public. »
Toujours à l’aide du modèle Marseille où il a été formé et où il a été entraîné par Didier Deschamps (seul capitaine à avoir soulevé la coupe aux grandes oreilles avec un club français), Garry Bocaly confirme : « Peu importe que tu t’appelles Zidane ou Deschamps, ça ne change pas grand-chose pour les supporters. Ils veulent juste des titres. Et ça, Deschamps le savait très bien. Du coup, même dans le vestiaire, il ne faisait jamais allusion à son passé en tant que joueur. Il voulait absolument qu’on comprenne que c’était à nous d’écrire l’histoire du club. » Même Luis Enrique, pourtant habitué au succès avec les Blaugrana – triplé C1-Championnat-coupe en 2015 notamment –, a estimé en conférence presse qu’ « avoir été ancien joueur ou ne pas l’avoir été, aucune des deux options n’est une garantie de succès » . Un statut qui n’assure aucun bouclier, donc.
La pression du passe-droit
La pression sur l’ancien joueur emblématique devenu entraîneur serait même accrue. Les fans se remémorant les heures mythiques passées avec leur chouchou, l’attente serait bien plus forte qu’avec un coach classique. « Cela réactive une certaine passion chez les supporters, corrobore Ludovic Lestrelin.Chez eux, les souvenirs sont omniprésents. Il y a une dimension très mémorielle dans le football, on se rappelle d’un match en particulier, d’un but, d’une époque…
Donc si vous faites revenir un joueur, vous réactivez tout ça. Les supporters s’emballent et leur attente est énorme. » « On demandera par exemple plus à Zidane tout simplement parce que c’est Zidane » , ajoute Casoni. Cette pression, Marco Simone l’a vécue de l’intérieur. Lorsqu’il débarque sur le Rocher, l’ASM est en pleine crise, embourbée dans les bas-fonds de la Ligue 2. « C’est très pesant psychologiquement. Monaco, c’est ma ville, mon village, ça fait quinze ans que je suis installé là-bas, et je ne pouvais pas imaginer être l’entraîneur qui ferait descendre le club en National. Or, au début, tout allait mal. Après les journées de travail, je rentrais directement chez moi parce que j’avais honte du regard des Monégasques. »
Finalement, Simone réussira largement sa mission maintien… et sera remercié en fin de saison. Signe que l’aura propre à l’ancien joueur ne protège pas. Reste que la gloire du passé apporte tout de même son lot d’avantages. Quand des profils moins sexy devront batailler pour arracher le poste dans les plus grands clubs, Zidane ou Guardiola n’ont pas à prouver quoi que ce soit pour devenir le manager principal. Ce qui avait d’ailleurs légèrement exaspéré Ottmar Hitzfeld, entraîneur allemand aux deux C1, lors de la nomination du Français au Real. Nomination qui ne serait due qu’à « son illustre nom de joueur » , comme il l’a souligné dans Blick: « Pour lui, c’est comme gagner le jackpot au loto. C’est une folie.(…)Zidane n’a rien prouvé comme entraîneur et il est désormais en charge des plus grandes stars mondiales. » Les 18 mois de Zizou à la tête du Real ont néanmoins donné tort à Hittzfeld.
Au-delà des opportunités qui s’imposent d’elles-mêmes et du pistonnage, le joueur retraité peut également compter sur sa réputation et ce qu’elle en dégage auprès des joueurs. Qui a oublié les déclarations d’amour de Gabi Heinze à l’intention de Diego Maradona quand celui-ci a pris les rênes de la sélection argentine ? Jouer sous les ordres de Johan Cruyff, ce n’est pas la même chose qu’obéir à un inconnu. Ainsi, les joueurs se montrent au diapason, au moins dans un premier temps, quand il s’agit de respecter les ordres d’une légende. Même si ce crédit est loin d’être illimité pour Fabio Celestini : « La notoriété ne suffit pas. Ça amène un immense plus, mais cette influence n’est qu’éphémère sur un groupe. Je dirais qu’elle ne dure qu’un mois. »
Choisir les bonnes clés relationelles
Autre atout : le temps d’adaptation minimal, voire inexistant. Le joueur qui connaît le club comme sa poche a moins de difficulté à s’installer dans son nouveau costume. « Deschamps était parfaitement conscient de l’environnement qui l’attendait. Il connaissait tout le monde. Genre le kiné, il l’avait eu en tant que joueur. Ça aide pour gérer la pression, témoigne Bocaly à propos du Bayonnais qui a redonné le goût des titres à l’OM après 17 ans de disette. Et puis, on sentait son amour du maillot. Il respectait le club comme personne. Forcément, quand t’es guidé par un mec comme ça… » Avec un peu de bol, le nouveau coach peut avoir été bercé par la philosophie du club pendant quelques années. Comme Zidane avec le Real, où il fut adjoint d’Ancelotti et entraîneur des jeunes. « C’est un avantage indéniable, reprend Casoni. Pourquoi croyez-vous qu’entre Barcelone et Luis Enrique ou Pep Guardiola, cela ait si bien collé ? Bah parce qu’ils ont été préparés à la sauce Barça. »
N’empêche que l’échec survient bien plus souvent qu’on ne le croit. José Anigo l’a ainsi appris à ses dépens. Joueur de l’OM pendant près de dix ans (1979-1987), le Marseillais d’origine revient au club s’occuper du centre de formation au début des années 2000. Alors adoré par les abonnés du Vélodrome, le crâne rasé n’est plus le bienvenu aujourd’hui. La raison ? Des passages loupés au poste d’entraîneur. « Il détenait pourtant un crédit d’autochtone.
Ancien joueur, enfant de Marseille… Désormais, ce crédit est complètement épuisé. Il est fortement critiqué ici, relate Ludovic Lestrelin. S’exposer au rôle d’entraîneur dans un club dans lequel vous avez écrit les plus belles pages par le passé, c’est très risqué. Les probabilités d’écorner votre réputation sont grandes. Il y a certes une période d’immunité, mais elle s’effrite rapidement. Comme les présidents de la République. » Que Didier Drogba, qui songe sérieusement à entraîner, réfléchisse bien à son avenir. Car son statut de roi à Chelsea et Marseille n’est pas un totem éternel.
Par Florian Cadu
Tous propos recueillis par FC, sauf mentions