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Le jeu des câbles
BT en Angleterre, Telefónica en Espagne et depuis quelques semaines, le tout puissant Altice qui souffle ses ambitions sur la France. C'est désormais la norme : le foot et le secteur des télécom' se sont engagés depuis plusieurs années dans un mariage de raison. Avec une once de déraison.
Il ne cesse de le répéter. Comme un refrain, incessant. Richard Scudamore, la tête pensante de la Premier League, est une sorte de metteur en scène avec un objectif précis : il veut que son produit pète à la gueule du spectateur, qu’il le fasse jouir de plaisir et que sa marque se développe dans le « collectivisme » qui lui est si cher. Le système est en réalité assez simple, et ce, depuis la création du business Premier League. Chacun des vingt clubs possède une voix décisionnaire. Oui, Bournemouth pèse autant que Manchester United ou Chelsea. Tout simplement car, comme l’expliquait en août dernier dans les colonnes de L’Équipe Scudamore, « la Premier League, c’est du sport, du spectacle, du business » . Aujourd’hui, le championnat anglais est le plus regardé du monde, mais il a un prix. On se bat pour croquer une part du gâteau. La dernière redistribution des droits TV pour les saisons 2016-2019 l’a prouvé avec une augmentation de 71% par rapport à la dernière distribution. On parle d’un total de sept milliards d’euros là, soit cinq fois plus qu’il y a dix ans. Un chiffre permet de s’en rendre compte : diffuser un match coûtera à partir d’août prochain, en Angleterre, 10 millions de livres. 168 rencontres seront projetées en direct, la cagnotte est belle et le dernier en fin de saison touchera 97 millions de livres. Dans tous les cas, soit plus qu’un vainqueur de Ligue des champions. Voilà aussi pourquoi le maintien vaut cette saison de l’or en Angleterre.
Le puits football
Depuis sa création il y a 24 ans, le produit Premier League a mûri. Son niveau sportif a alterné entre le bon, le très bon et le plus discret. Un club anglais n’a plus besoin de briller sur la scène européenne pour vivre financièrement. C’est une simple question de prestige. « La situation en Angleterre est singulière. Pendant plusieurs années, BskyB jouait l’inflation tout seul pour faire monter la valeur du produit, détaille Vincent Chaudel, consultant chez Kurt Salmon. L’explosion des montants est arrivée naturellement, dans le sillage de la naissance de BT Sport, filiale sportive du géant des télécommunications britannique BT en août 2013. » Un ambitieux qui grattera 42 matchs par saison à partir de l’été prochain. Une chaîne aussi où circule souvent des gros noms comme Rio Ferdinand, Owen Hargreaves ou Steve McManaman.
Les télécom’ sont devenus des nouveaux acteurs, ceux du futur et de demain. La France le sait par le visage d’un homme : Patrick Drahi et son patrimoine évalué à 14 milliards d’euros cette année par le magazine Forbes. Doucement, le Pac-Man a grignoté le groupe MCS TV, Libération, L’Express et a créé Altice Media Group. Pour finalement réaliser son premier coup de boule au monde du foot il y a quelques semaines : rafler la Premier League à Canal Plus. « Depuis des années, Canal Plus était en situation de quasi-monopole sur le secteur du foot. Le sport, c’est une histoire de cycles.(…)Aujourd’hui, quand vous êtes un média, vous avez besoin de mettre en ligne du contenu sur tous vos canaux. Et le foot est le vecteur le plus puissant, car vous pouvez avoir du contenu en permanence. Si on regarde le calendrier, il y a des compétitions tout le temps, des transferts, des rumeurs, un avant-match, un après-match. C’est un puits sans fond » , ajoute Vincent Chaudel. Si l’on ne sait pas exactement comment cela va s’organiser la saison prochaine, on connaît les détails d’un contrat que la direction explique « bon pour son plan industriel » : 120 millions par saison, sur trois ans, là où Canal Plus dépensait jusqu’ici 63 petits millions. Toujours plus haut, toujours plus fort.
L’absence de scénario
Le pari est différent d’une série où Canal a perdu beaucoup d’argent ces dernières années. Vincent Chaudel complète en expliquant qu’avec le foot, « il n’y a aucun travail à faire sur le scénario, l’improvisation est permanente, on sait qu’il va se passer des choses. C’est un investissement qui doit s’appréhender désormais avec des retours directs et indirects. » Ce qui explique l’apparition de ces nouveaux acteurs qui ont un point commun : une présence massive dans le monde de la téléphonie, ce qui ouvre de nouvelles possibilités de diffusion. La donne est similaire en Espagne où on a appris la semaine dernière que le tout puissant Telefónica venait de conclure un accord avec la concurrence, Mediapro, de 2,4 milliards d’euros pour enrichir son offre de diffusion. Ce qui permettra au groupe de retransmettre, entre autres, des matchs de Coupe d’Europe, mais aussi des rencontres jusqu’ici uniquement disponible sur beIN Sports, chaîne de Mediapro. Le tout dans un pays où, contrairement au reste de l’Europe, les clubs négocient eux-mêmes les revenus télés. Chacun son câble.
Par Maxime Brigand