- Ligue 1
- J11
- Bordeaux-Monaco
Le Jardim d’automne
Leonardo Jardim plante peu à peu les graines de son nouveau Monaco, même si quelques zones d'ombre subsistent quant aux contours de son onze.
« C’est mon travail de bricoler un peu pour toujours chercher l’équilibre. Je ne suis pas une personne qui perd son temps à penser au passé. Je pense aux joueurs qui sont aptes et j’essaie de chercher un équilibre avec eux. » Après avoir tenté de maintenir la dynamique du 4-4-2, Jardim semble s’être résolu à tester d’autres options. À vrai dire, il n’a pas vraiment le choix. La mauvaise passe traversée par son équipe depuis un mois, couplée aux blessures et méformes de certains de ses joueurs, l’ont conduit naturellement à l’expérimentation. Pas un problème pour le coach lusitanien, toujours heureux de dénicher des astuces là où d’autres se contenteraient de trouver des excuses.
Une attaque qui ne tient pas en place
Depuis le début de la saison, Jardim n’a jamais pu compter sur toutes ses forces offensives. D’abord confronté aux aléas du mercato et des préparations tronquées, il n’a pas pu encore réellement s’appuyer sur ses deux recrues phares en attaque : Baldé et Jovetić. L’international sénégalais commence à peine à enchaîner les matchs tandis que le Monténégrin s’est blessé après une première encourageante à Lille le mois dernier. Il devrait effectuer son retour ce soir, mais seulement dans la peau d’un remplaçant. Un détail qui prend l’épaisseur d’un souci, vu que ni Falcao, ni Carrillo ne sont disponibles. La solution s’appelle dès lors Baldé, intéressant seul en pointe il y a quinze jours à Lyon. Mais elle fait jaillir d’autres petits tracas. Si l’idée d’un 4-2-3-1 fait maintenant son chemin depuis plusieurs matchs, l’entraîneur de l’ASM n’a pas encore eu le loisir de fixer les rôles définitifs des individualités de son quatuor offensif.
L’option la plus enthousiasmante est celle qui s’est dessinée samedi dernier face à Caen : Lemar en 10, Baldé à gauche, Lopes à droite et Falcao en pointe. Au regard de l’animation offensive assez terne du début de saison, l’installation de Lemar en meneur de jeu axial résonne comme une petite révolution. Est-ce d’ailleurs un hasard qu’il ait offert sa première passe décisive dans le jeu à cette occasion ? Jardim a en tout cas apprécié « le mouvement de l’équipe » et le « dynamisme » de Lemar qui a « apporté vitesse de décision, accélération dans les espaces et capacité de pression devant » . Mais l’absence de Falcao au Matmut Atlantique sera un révélateur : si Lemar est replacé à gauche pour combler le probable positionnement de Baldé en pointe, ce sera peut-être le signe que son installation en 10 n’était qu’une opportunité et non un véritable choix fort.
Jardim déplante
Autre point de débat, la concurrence entre Moutinho et Tielemans. En 8, le milieu belge a été l’auteur de prestations hétérogènes. Inquiétant face à Montpellier et Strasbourg, il reste sur une note positive contre Caen, où il a rappelé les promesses entrevues lors du Trophée des champions. Assez pour écarter Moutinho du onze ? Si l’affaire se joue au mérite, le Portugais n’a pas de souci à se faire vu qu’il a été l’élément le plus fiable du milieu depuis le début de saison. Mais Fabinho, lui aussi meilleur le week-end dernier, a de par son profil l’assurance de débuter tous les matchs. Plus récupérateur, plus solide au duel, plus tranchant dans ses incursions et précieux dans le jeu long, il reste essentiel, même dans le dur. Alors, Moutinho et sa maîtrise du tempo lent ou Tielemans, plus brouillon, mais plus instinctif ? En Ligue des champions, Jardim n’a pour l’instant pas vraiment tranché, innovant deux fois sur trois une composition bâtarde où Tielemans montait d’un cran. Un poste où il n’est pas à l’aise. Placer un 8 presque aussi haut que son attaquant, une vieille habitude que le coach portugais ressort parfois dans les gros matchs. Lors de la campagne européenne 2014-2015, c’est Moutinho qui s’était farci ce rôle ingrat d’initiateur du pressing. Une ruse tactique qui, si elle a souvent solidifié l’équipe, n’a jamais servi le jeu monégasque. Reste à savoir dans quel état d’esprit se trouve Jardim à l’orée de ces deux déplacements compliqués. Panache ou austérité ?
Les couloirs obscurs
Dernière zone d’ombre du onze : les latéraux. Samedi dernier, Jardim a ressorti de son chapeau ce bon vieux pirate d’Andrea Raggi. Une vieille jambe de bois sur laquelle il apprécie s’appuyer de temps en temps quand les vents sont contraires. Sidibé blessé, Touré décevant, le défenseur italien a donc retrouvé une place de titulaire sur le côté droit de la défense face à Caen. 90 minutes plus tard, loin des surprises que peuvent réserver ses deux compères, capables du pire comme du meilleur, le sentiment d’avoir assisté à une prestation à la Raggi : à l’envie plus qu’au talent, il a prouvé qu’on pouvait compter sur lui occasionnellement. S’il a le caractère pour la mission commando que s’apprêtent à vivre les Monégasques à Istanbul, difficile tout de même d’imaginer Jardim écarter les deux prétendants naturels au poste, bien plus influents offensivement. Mais Sidibé, encore un peu juste, ne pourra pas tenir sa place ce soir et reste incertain pour Istanbul. À Touré ou Raggi d’en profiter. À droite comme à gauche, les borgnes sont rois. C’est à ceux qui perdent le moins de points et évitent les blessures. C’est ainsi que Jorge devrait consolider sa place par défaut. Par défaut, par les défaites et les victoires, c’est comme ça que se construisent les équipes. Et « Truelle d’or » le sait : si ses chantiers prennent parfois du retard, ils finissent par donner naissance à un bel édifice.
Par Christophe Depincé