- Foot et voyage
Le guide du voyageur footballistique
Sebastian Abreu va jouer pour le 25e club de sa carrière, égalant au passage le record de l'Allemand Lutz Pfannenstiel. Mais d'autres, véritables routards du ballon, ont fait encore mieux. Et ils livrent leur guide de voyage, pour ceux qui chaussent du 42 et pour les autres.
Pour lui, la réponse n’est pas 42. Pas encore. D’ailleurs, cherche-t-il vraiment la réponse à la grande question sur la vie, l’univers et le reste ? Non, la quête de Sebastian Abreu est plus simple, elle tient en trois mots : ballon, buts et plaisir. Trois mots et désormais 25 clubs, puisque l’autre Loco est parti pour jouer avec le modeste Deportes Puerto Montt, en deuxième division chilienne. Il égalera au passage l’Allemand Lutz Pfannenstiel, qui a signé dans 31 clubs, mais n’a gardé les bois que de 25. Et si l’Uruguayen fou a déjà prévu de prendre seul le record en rejoignant en février prochain, et à 41 printemps, le Santa Tecla FC au Salvador, Pfannenstiel a lui réalisé le rêve d’un paquet de globe-trotters modernes, à savoir courir sur les cinq continents. Parce que oui, collectionner les miles et les games n’est pas réservé aux Sud-Américains sur le déclin. Un projet de vie au contraire accessible au premier licencié de District venu, à condition de partir avec un bon guide.
Roulez jeunesse
Si Lutz Pfannenstiel parcourt désormais le monde pour alerter sur le réchauffement climatique, d’autres ne cherchent pas cette excuse pour remplir les pages de leur passeport. Thomas, Gwendolyn ou Christian font partie de ceux-là. Le premier, avec son cousin Romain et leur pote Aurélien, part un 12 juillet 2008 avec l’idée de jouer au foot au hasard des rencontres, en Afrique, en Amérique du Sud, en Asie. 18 mois de voyage, et une conclusion : « Il n’y a pas de tuto, pas de mode d’emploi, chaque situation est différente. » Bon. Fin de l’histoire ? Gwendolyn, professionnelle pendant quelques mois à Santos et habituée des pick-up soccer en Californie depuis, apporte un conseil utile : « L’heure, c’est 17 heures. Partout, à cette heure-là, les matchs commencent. » Et pour s’y intégrer, celle qui est partie avec Luke réaliser Pelada, un film sur ces matchs improvisés, a une technique toute simple : « Tu montres le ballon, tes pieds, le ballon, tes pieds, tout le monde comprend. » Simple comme le football vu par Bill Shankly.
Christian est un compatriote du Red éternel, il a une autre technique à proposer : depuis 2002 et tous les quatre ans, lui ou un autre trimbale un seul et unique ballon, The Ball, pour un voyage au long cours jusqu’à la Coupe du monde. Et quand il veut jouer, il le sort, le met au sol et le passe à la première personne intéressée : « Personne ne part jamais avec en courant. Naturellement, les gens te renvoient la passe et commencent à jouer. C’est simple, on n’a failli perdre la balle que deux fois en quatre voyages et 27 pays traversés. » Une fois quand il a fallu se battre avec un Chinois pour récupérer le précieux, une seconde lorsqu’un athlète paralympique n’avait pas très bien compris la consigne et embarqué le ballon chez lui. Cela dit, Christian évite de verser dans l’évangélisme et préfère prévenir : « Dans certaines communautés les plus pauvres, le ballon vaut cher, il vaut mieux bien faire comprendre son projet pour ne pas le voir disparaître. » En l’occurrence, faire signer le cuir par tous les joueurs pour le transformer couche après couche.
La technique de Gwen, la descente de Roger
Mais, pour jouer, pas besoin d’avoir toujours son ballon sur soi. Thomas est parti avec un ballon, « mais à chaque match un gosse voulait le garder, ou il crevait, du coup on a rapidement joué avec les ballons locaux. Des balles, des agglomérats de sacs plastique, un peu tout en fait » . Question matos, Gwen fait dans l’ultra light : « Les chaussures sont la plupart du temps inutiles. Le football, c’est souvent pieds nus ! » Pour l’Américaine, au-delà de l’équipement, les deux qualités essentielles à emporter avec soi sont le courage « pour dépasser la timidité première » , et la technique « pour te faire respecter sur le terrain. Surtout quand tu es une femme » .
Dernière chose indispensable pour les aventuriers de la balle : savoir chambrer, ou se faire chambrer. Thomas rapporte une histoire venue d’Afrique, du Cameroun plus précisément : « Romain part se faire couper les cheveux chez un mec qui s’appelle Étienne Daho et qui nous invite à jouer le lendemain matin. On dit oui, mais le soir même on rencontre Roger Milla qui nous emmène dans les bars chauds de la ville. Le mec est un bon fêtard, on prend une bonne cuite et on débarque à 8h30 le lendemain avec une énorme gueule de bois. Direct, les Camerounais nous charrient sur le physique, ils sont super baraqués, on sent que ça va être compliqué. Au bout de quelques minutes, Romain tombe et se pète le poignet. Et les mecs continuent à chambrer ! » De l’inconvénient de jouer à l’extérieur sur la Terre de foot, du nom du livre tiré de leur voyage.
Marseille tout puissant
Mis à part la blessure, les risques du jeu improvisé sont finalement limités. Si Thomas et ses acolytes se sont fait courser au Ghana, ils n’étaient alors pas sur le terrain. Au contraire, pour Gwendolyn, le ballon est comme un drapeau blanc : « Même dans les zones les plus pauvres ou les plus dangereuses, une fois que les gens ont compris que tu ne veux que jouer, ça se passe toujours bien. » Pour elle, le plus grand danger est de tomber sur un match chiant : « Tu comprends vite que tous les matchs ne sont pas égaux. Il y en a certains où tu te retrouves avec un mec qui tente de dribbler tout le monde alors que les autres sont grumpy, d’autres où il n’y a aucune énergie, aucune intensité. » Mais en amont, quelle différence y a-t-il entre le bon et le mauvais match ? « Le bruit ! » retourne Gwen. « La foule ! Quand il y a des vieux qui crient, c’est bon signe. Ou quand il y a un mélange de jeunes et de vieux sur le terrain, la vitesse contre l’expérience, et le respect au milieu de tout ça. » Un truc beau comme une campagne de l’UEFA pour dire non au racisme.
Reste qu’au-delà de la collection de souvenirs à rapporter (matchs dans une forêt de baobabs, au milieu des temples bouddhistes, sur le salar d’Uyuni ; troisième mi-temps au saké japonais, à la Brahma brésilienne, au couscous franco-algérien…), il reste une question, la seule qui vaille vraiment : qui sont les meilleurs ? Puisque Christian évacue en citant « le joueur le plus fair-play » , il faut se tourner vers Gwen pour obtenir un début de réponse. Pour l’Américaine, c’est en Afrique que les femmes sont les plus habiles et au Brésil que la population est aussi uniformément qualifiée balle au pied. Mais son plus grand souvenir reste français : « Mon meilleur match, c’est à Marseille que je l’ai joué. Avec des gamins venus de tous les pays, du hip-hop à fond, c’était exceptionnel. » Plusieurs tours du monde pour réaliser qu’en fait, la réponse à la grande question sur la vie, l’univers et le reste n’est pas 42, mais bien 13. C’était bien la peine.
Par Eric Carpentier