- Foot & alcool
Le guide du ballon rond comme un coing
Non, ce n'est pas bieng de jouer bourré. Mais parfois, on n'a pas le choix. Heureusement, un manuel de survie existe. Le voilà.
Les vacances. Le rendez-vous avec les potes, le Tetris du coffre – un sac en plus, c’est un pack en moins –, les longues heures de caisse et, enfin, l’arrivée au camping Pascalounet** de Martigues. Il est 17 heures, les jambes trépignent et le gosier hurle. Les tentes deux secondes sont balancées à la va-vite, la chaises pliantes déjà sorties, un cubi fait office de table magique. Quelques bières, un, deux, trois verres de rosé pas vraiment frais, et un shot pour marquer le coup parce que vraiment, « c’est bon d’être là, putain » ! Pile au moment de claquer le gobelet, le ballon oublié au pied de la haie fait son apparition. Poussé par le destin, il rebondit doucement et vient mourir contre le cubi, suppliant comme un chaton de jouer avec lui. Ni une, ni deux, mais trois cul-secs pour un échauffement express avec l’autre groupe de potes, celui de Rennes, passant par-là, et deux équipes se retrouvent alignées de biais. Le coup d’envoi va être donné. Seul souci, tout le monde est pété.
1 gramme = 1 but
Encore que, jusqu’ici, tout va bien. Pendant que les Bretons se motivent à coups de « Yaya yayaya… Touré ! » – car ils n’ont pas bu intentionnellement cette picole, c’est la bouteille qui leur a fait de l’oeil –, de l’autre côté, une tactique se dessine : ce soir, c’est tiki-taka sur le Maracanã qu’est l’emplacement B12 du Pascalounet**. Erreur. Si un mec comme Morten avait pris la parole, il aurait certes été trop tard pour prévenir que « le meilleur conseil, c’est de ne pas y aller complètement bourré » , mais il aurait pu donner une consigne de jeu assez simple : « Oublier la stratégie. Ne jamais passer le ballon, parce que tes partenaires vont sûrement être incapables de le recevoir. » Et Morten aurait été écouté dans la mesure des capacités de chacun, parce que Morten sait de quoi il parle. Lassé de s’entendre pérorer, à chaque coup dans le pif, qu’il aurait pu être joueur professionnel sans cette vilaine blessure à 16 ans, fatigué de radoter, entre deux tournées, son histoire d’essai au club pro de Vålerenga, et surtout saoulé d’entendre ses potes, accoudés au bar, débiter les mêmes prétentions que lui, le Norvégien a décidé de répondre à cette question : est-on vraiment si bon qu’on le croit quand on est rincé ? Alors Morten a organisé un match dans les règles de l’art, à l’exception d’une seule : pour qu’un pion soit valable, le buteur doit être contrôlé à un gramme minimum. Un truc simple comme santé.
La vie de bâtard
De son expérience, Morten n’a pas tiré un livre, puisque « 80 % des joueurs ont eu un blackout pendant le match » , mais un conseil et une leçon. Le conseil, c’est donc de la jouer perso, mais pas trop : « Dribble un mec et tire directement. Parce qu’une fois que t’en as dribblé un, tu vas croire que tu peux en dribbler cinq » , soit une illusion connue de tous ceux ayant un jour cru sentir George Best pencher son regard vitreux sur le berceau de leur cuite. « Et tu vas finir par ne plus trouver le ballon ou prendre un gros tacle dans les tibias. » Quant à la leçon, c’est celle que toute performance demande pratique : « Il faut s’entraîner, sortir les jours d’avant ! Parce que si tu n’es pas sorti depuis trop longtemps, tu vas être excité, boire comme un trou et ce sera encore pire. » Le pire, Morten l’a vécu : « Je ne l’ai pas fait et je le regrette. J’aurais dû dire à ma femme que c’était pour l’entraînement. » C’est que dans la cuite comme dans toute réussite, l’entourage joue un rôle primordial.
Si, avec un gardien comme celui de Morten – une bête de « 140 kilos, le genre de gars plus à l’aise dans un bar que sur un terrain, même sobre » – tout est plus compliqué, avoir un docteur Collado dans sa team peut en revanche permettre de sauver les apparences. Le médecin du sport, passé par la Ligue de Méditerranée de foot et par l’équipe de France paralympique de triathlon à Rio, n’est pas du genre à refuser une consultation. En apéritif, il sert les précautions d’usage : « Il y a beaucoup plus d’effets néfastes que positifs, c’est clair. À court terme, il y a la fatigue globale et le risque de blessure. À long terme, sur une alcoolisation chronique, un peu comme Gascoigne, il va y avoir une perte musculaire, une perte de forme et d’équilibre. Ça, c’est la base. » Ok, mais après ? Si le mal est fait et que l’on se retrouve Souley comme Diawara sur le pré ? « On peut essayer de voir comment faire en sorte que les choses ne se passent pas trop mal ! » rigole le doc’. Utile, pour tous ceux qui ne mènent pas « une vie de bâtard » .
Joue-là comme Jordan
Sur le plan de la tactique, le docteur rejoint Morten : lorsque l’alcool remonte entre les chicots, il y a impossibilité de distiller des passes limpides comme une vodka polonaise : « le champ visuel se restreint, vous ne voyez plus rien sur les côté et votre vision est limitée au ballon que vous avez dans les pieds. » Oeil fermé ou pas, mieux vaut donc y aller tout seul, validant ainsi cette étude selon laquelle l’alcool favoriserait les idées de droite. Mais le problème dans cette situation, c’est que les guiboles aussi ont tendance à prendre leur indépendance : « Non seulement vous n’avez pas la notion du danger, vous allez mettre le pied là où vous ne le mettez pas d’habitude » averti Dr Collado, « mais en plus vous sentez moins la douleur, or la douleur est utile pour vous arrêter à temps. Si vous êtes à jeun (et non pas à gin, ndlr) la douleur va vous empêcher de courir, de sauter, de faire des bêtises. » Alors que les histoires d’alcool finissent mal, en général.
En fait, rond comme une queue de pelle, il n’y a qu’une seule chose à faire : boire. Mais de l’eau, et sans pastis de préférence : « Il faut hyper s’hydrater, pour essayer d’évacuer, de pisser, d’évacuer, de pisser. Faire en sorte que les reins éliminent l’alcool le mieux possible » propose le docteur. Et la galette, une bonne idée ? « C’est pas l’alcool en soi. Le fait de vomir, ça fait du bien parce que vous diminuez le volume dans l’estomac, donc vous allez être mieux. Sauf si vous avez bu cinq minutes avant, alors oui, il vaut mieux évacuer l’alcool qui reste dans l’estomac en vomissant. Après, un médecin qui donne le conseil de vomir… (rires) » Finalement, puisque le médecin impose aussi la douche froide et interdit le café fort, le mieux est peut-être de retourner écouter le sage Morten. Lui, c’est sûr, il ne le refera jamais : « En revanche, basket ou tennis, pourquoi pas. C’est sûr, bourré au basket, je vais être bon ! (rires) » Dommage qu’il n’y ait pas de paniers au Pascalounet**.
Par Eric Carpentier
L'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer selon son sens de la modération.