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- Turquie-France (2-0)
Le grand vide
C'était à la fois vide de sens et plein d'enseignements. Les Bleus ne sont pas invincibles, ça on le savait déjà, mais on avait peut-être oublié qu'ils pouvaient aussi se faire avoir contre une équipe tout juste issue du top 50 mondial. De là à tout renverser ? Non. Rideau, place à Andorre.
Ont été mauvais : Digne, Varane, Umtiti, Pavard, Sissoko, Matuidi, Pogba, Griezmann, Giroud. A été catastrophique : Mbappé. A été bon : Lloris. Si l’on avait dû confier l’écriture du scénario de ce Turquie-France à Sergio Leone, probable que le bonhomme en aurait fait un western spaghettis avec plus de revolvers, plus de virevoltants et plus de grimaces, avant d’intituler le bébé : « Le bon, l’abruti et les truands » .
À la place, voilà probablement le film le plus barbant déroulé par Didier Deschamps depuis longtemps, le plus déprimant, le plus noir, le plus dénué de réjouissances, où l’ennui de la seconde période n’a pour point positif que de faire oublier l’indigence de la première. L’équipe de France n’avait plus livré prestation aussi vide depuis belle lurette, un constat par ailleurs partagé par le sélectionneur français à mi-course – « On joue sur la pointe des pieds, que ce soit avec ou sans le ballon » –, comme sur la ligne d’arrivée – « Rien. Ce soir, il n’y a rien à retenir de positif. » Alors, où le Titanic a-t-il coulé ?
Kanté plus là, c’est compliqué…
Si la faillite collective du soir est multi-factorielle, et a peut-être commencé au moment du forfait de N’Golo Kanté, elle est principalement imputable à quelque chose qui ne dépend de rien d’autre que d’un état d’esprit : l’engagement. C’est simple : peu après l’heure de jeu, la Turquie avait remporté 66% de ses duels, une mainmise incompréhensible dépendant uniquement du tempérament de l’armée alignée, et de l’ambiance du stade de Konya. Conséquence, certains Bleus ont explosé. Physiquement, d’abord, Moussa Sissoko, appelé en renfort aux côtés de Paul Pogba, disputant là son 45e match de la saison, et rapidement enseveli sous les coups d’épaules.
Techniquement, ensuite, les errements défensifs de Pogba, Varane, Umtiti, Digne et Pavard ayant laissé Lloris seul à ses affaires sur les deux buts, et de nombreuses fois ensuite. Puis mentalement, enfin, les Bleus dans leur ensemble ayant été incapables de faire preuve d’un esprit de révolte efficace, terminant la rencontre avec zéro tir cadré. On peut d’ailleurs continuer avec les statistiques, elles sont éloquentes : l’équipe de France n’avait par exemple plus été menée de deux buts à la mi-temps depuis un fameux 22 juin 2010 face à l’Afrique du Sud. Mieux, elle qui n’avait plus perdu de match en éliminatoire d’Euro depuis 2010 contre la Biélorussie (1-0) encaisse là son plus gros revers dans la compétition depuis le 16 juin 1987, face à la Norvège (2-0 également). Deux points communs : le mois. Juin est une période d’hécatombe pour les Bleus de Deschamps, à l’instar de ce qu’a longtemps représenté novembre pour le PSG, et la Suède s’en souvient encore. 35% des défaites françaises sous l’ère de la Dèche ont d’ailleurs eu lieu à cette période (six sur dix-sept).
Yılmaz impérial
Sans être exceptionnelle d’inventivité tactique ou technique, la Turquie, emmenée par un excellent Burak Yılmaz, a tout simplement profité de ce qui lui était offert. Un fruit à terre ? Autant se pencher pour le ramasser. Les hommes de Şenol Güneş prennent seuls au passage la première place du groupe H de qualification à l’Euro 2020, dont, pas d’inquiétude, il reste sept matchs à disputer.
Alors, on cède à la panique ? Non. Passer à côté d’un match, de son bac, du grand amour ou d’une finale de Grand Chelem arrive parfois, et peut même servir de tremplin à la suite. Reste à en être conscient – c’est le cas –, et à faire confiance à un architecte qui sait ce qu’il fait, pourquoi il le fait, et qui a de toute évidence passé un savon à ses joueurs après la rencontre. Être champion du monde, c’est bien. Mais cela ne protège pas des défaites affligeantes, et encore heureux. Faisons simplement confiance. Il paraît que la nature a horreur du vide ? Voilà qui tombe bien, Deschamps aussi.
Par Théo Denmat