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Le grand Charles De Ketelaere
Appelé par Roberto Martínez dans la foulée de son début de saison XXL avec le Club de Bruges, Charles De Ketelaere devrait avoir l'occasion de pointer le bout de son nez lors de la Ligue des nations, mais aussi, et surtout, de prouver que la Belgique tient un joueur à part entre ses mains.
Il faut le voir errer dans la nuit, se balader sur ses longues jambes maigres et jouer avec son sourire comme un gangster s’amuse avec son colt. Le 20 septembre dernier, Charles De Ketelaere sort de la pelouse du Breydel comme s’il venait de s’envoyer une pinte de Fort Lapin, mais la meute d’hommes que le gamin du coin laisse derrière lui n’a rien d’un groupe d’étudiants. Avec fracas, le Club de Bruges vient alors d’accrocher le PSG (1-1) et Philippe Clement, le chef d’orchestre de la troupe locale, croque dans l’instant : « Je suis très fier de mes joueurs. Ils ont joué un très grand match, mentalement, physiquement et tactiquement. Ils ont eu beaucoup de discipline et aussi beaucoup de… couilles. C’est un match historique pour le club, et je pense que l’on peut parler d’un match presque parfait. » Dans la foulée, l’entraîneur belge a beau tenter de se débattre pour qu’aucune individualité ne ressorte de l’exploit réalisé par son équipe, il n’y en a quasiment que pour un seul homme : De Ketelaere, son visage poupon, sa coiffure de Playmobil et son nombre de followers qui vient d’exploser en un claquement de doigts. C’est du moins ainsi que le numéro 90 brugeois semble réussir à mesurer sa performance du soir. La preuve : « Je ne fais pas trop attention aux réseaux sociaux, mais là, j’ai reçu plein de notifications. Même mes amis qui ne s’intéressent pas au foot m’ont parlé de la rencontre. C’était vraiment particulier, je l’ai bien senti. »
Ce soir-là, le jeune offensif belge n’a pourtant ni marqué ni délivré la moindre passe décisive, mais Charles De Ketelaere a fait bien plus, en étant d’abord le moteur du pressing de son équipe (48 pressions effectuées !) et en s’amusant, ensuite, à régaler ses potes aux quatre coins du gazon. Ceux qui en ont pris l’habitude affirment que De Ketelaere a simplement fait du De Ketelaere. « Ce match face au PSG, c’est simplement le résumé du joueur qu’est devenu Charles en quelques années, appuie Thierry Siquet, l’actuel sélectionneur des U18 belges. C’est quelqu’un qui sait tout faire et rassemble beaucoup de qualités en un seul joueur. On a l’habitude qu’un joueur ait une qualité très développée, comme l’explosivité ou une frappe de balle puissante. Charles, lui, a un peu de tout à un très haut niveau, notamment quelque chose d’inestimable pour un entraîneur : il joue avec sa tête. » Avec ses 191 centimètres et son allure de baguette, CDK n’a en réalité pas eu d’autres choix pour exister que d’utiliser son cerveau, ce qui est un parfait écho aux propos tenus un jour par Johan Cruyff, un autre fluet, qui avait expliqué que « les joueurs les moins robustes développent une intelligence spéciale, une habileté à trouver des alternatives ». Si spéciale que les projecteurs se sont rapidement braqués sur De Ketelaere et que Roberto Martínez n’a pas hésité à convoquer le bonhomme pour disputer le Final Four de la Ligue des nations à la suite des absences combinées de Jérémy Doku et Dries Mertens.
L’homme sans poste
Il se murmure que le grand Charles, systématiquement utilisé comme chapeau du système de Clement depuis le début de saison, a toujours eu cette science pour détecter les zones et lire au mieux les espaces, ce qui se traduit de nouveau cette saison dans les chiffres, dont deux marquants, repères de son influence : après dix journées de championnat, De Ketelaere est le deuxième joueur du pays qui a touché le plus de ballons dans la surface adverse (67, soit 6,07 par rencontre) et le sixième plus gros fournisseur de passes-clés (13). Siquet explique : « Charles joue numéro neuf depuis quelque temps, mais c’est plus un créateur d’occasions qu’un finisseur pur. C’est ce qu’on a vu face au PSG, ce qu’on a vu lors du match à Leipzig, ce qu’on voit depuis le début de saison… Il ne va pas mettre 25 buts sur une saison, mais il peut en offrir tellement qu’il est indispensable. Ce rôle est l’aboutissement d’un long travail qui fait qu’aujourd’hui, vous pouvez le mettre n’importe où, il jouera avec égal bonheur et réussira toujours à tirer son épingle du jeu. »
Invité régulièrement à définir son profil depuis le début de sa carrière, celui qui a effectué ses débuts chez les Diables en novembre 2020 n’a jamais vraiment réussi à le faire. « Ma meilleure arme, c’est de créer des opportunités, a-t-il répondu au printemps dernier à La Dernière Heure. J’ai aussi un bon moteur qui me permet de beaucoup courir.(…)Je suis incapable de vous dire à quelle position j’évoluerai à l’avenir. J’ai joué dans l’entrejeu toute mon enfance et cette saison, j’ai quasiment joué attaquant. Je n’avais jamais joué dos au but, mais j’ai trouvé ça sympa. » Seul défaut à gommer : le réalisme, car s’il est le quatrième plus gros tireur du championnat belge, De Ketelaere n’en est que le quinzième meilleur buteur (il a jusqu’ici cadré moins de 40% de ses tentatives).
« Charles voit avant tout le monde »
Porté par un toucher subtil et une première touche en permanence dirigée vers le but adverse, le gosse de la Venise du Nord a toujours eu ce sens de l’anticipation, don qu’il a notamment ramené d’une jeunesse passée avec une raquette à la main avant de se concentrer à 100% sur le foot à l’âge de dix ans. « Entre toujours prendre des leçons particulières avec un adulte et jouer au foot avec tes amis : que pensez-vous qu’un garçon de cet âge préfère ? », a un jour justifié à La Dernière Heure celui qui, fervent admirateur de Roger Federer, fut quand même champion de Flandre en deuxième série avant d’affirmer à ses entraîneurs de tennis qu’il voulait plutôt devenir « footballeur au Real Madrid ». La raison de son rejet pour la petite balle jaune ? Charles De Ketelaere détestait « les tricheurs, les gars qui criaient « out » alors que la balle était dans le terrain » au point de parfois « balancer toutes les balles hors du court ou de carrément arrêter de jouer ». « Je me mettais à insulter, je cassais des raquettes. Ma maman a tenté de changer ce comportement, car ça devenait embarrassant au bord du terrain, concède-t-il. J’ai même eu un coach pour apprendre à méditer et à me calmer. »
L’enfant Kinder a bien grandi
À 20 ans, De Ketelaere, qui possède encore dans sa chambre des posters de Kevin De Bruyne et du Real Madrid, a aujourd’hui appris à maîtriser sa fougue. Mieux encore, le Belge, qui avoue ne pas avoir été « le plus chouette des gamins », respire la tranquillité et s’amuse désormais à jouer avec le temps. « Il faut arrêter son regard sur lui lors de ses matchs, enchaîne Thierry Siquet. Il est toujours en mouvement, il réussit à se créer de l’espace, à trouver de l’efficacité. Mais pas de l’efficacité pour lui, de l’efficacité pour les autres. C’est pour ça que quand il était avec nous chez les jeunes Diables, je l’ai parfois utilisé en défense centrale. Parce que Charles voit avant tout le monde. » C’était le cas, jeune, à l’heure de sortir un revers à une main et c’est encore le cas, aujourd’hui, crampons au pied. Cette Ligue des nations peut être une bascule de dimension et confirmer que la Belgique tient bien un talent à part.
Par Maxime Brigand et Matthieu Darbas