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Le goût de Madrid

Par Thibaud Leplat, à Madrid
Le goût de Madrid

Quel goût a le football au Real ? À l’Atlético ? Si une équipe est d’abord un « état d’âme » comme disait Valdano, comment choisir la sienne sans se tromper ni sur Madrid, ni sur soi-même ? Réponse ci-dessous.

Les Madrilènes savent de quoi ils sont faits. Cette ville construite au milieu d’un désert et au pied d’une chaîne de montagnes solitaires, ne ressemble pas vraiment à une capitale. Madrid est imperméable à la modernité et à ses modes changeantes et souvent irritantes. Elle ne veut pas ressembler à New York, elle se fiche un peu de Londres, Berlin. Elle préfère Tolède et Ségovie. Sa seule rivale, c’est Vienne. Qu’on la dérange en la forçant à se moderniser, à changer ses habitudes, elle s’obstine à être différente et anachronique. Le Real Madrid est l’allégorie de l’âme de cette ville qui, par la grâce d’une décision de Philippe II, devint, au mois de juin 1561, le centre de l’Espagne du Siècle d’or (et donc le centre du monde) : « Le plus vaste empire que le monde ait connu a choisi pour centre un village étriqué, sans grandeur, ni perspective » (Michel De Castillo, La Tunique d’infamie). Tolède disparut de la carte du pouvoir et 500 ans plus tard, les traces de la grandeur impériale se fixèrent sur le costume toujours bleu d’un président aux allures de comptable, mais à l’ambition d’empereur romain. Florentino Pérez ne serait roi dans aucune autre ville du monde. Cette façon d’être fier de payer toujours plus cher les plus grands talents du football tout en conservant un train de vie de vieux garçon est une éthique toute madrilène de la grandeur d’âme. Le goût de Madrid pour le football n’est pas celui des autres. Ici, il a une vocation universelle. Être du Real Madrid est une autre façon de convertir le monde à sa religion et à son dieu. Le Real a le goût sec et aéré de la meringue qui se prépare dans les cuisines des monastères, mais qui se déguste en plein soleil.

La victoire en chantant

Madrid a aussi le goût des larmes et de la sueur. Cette ville a grandi dans la défaite contre Napoléon ou contre les troupes franquistes qui l’encerclèrent pendant la Guerre civile. Quand on ordonna aux Madrilènes d’évacuer la ville avant les bombardements, ils furent 12 000 à déposer des demandes de dispense. Parmi eux, il y avait beaucoup de femmes enceintes qui préférèrent supporter les massacres et la disette plutôt que leur enfant naquisse dans une autre ville que celle-ci. Ces enfants qui virent le jour dans des caves ou sous la mitraille sont certainement nés colchoneros. Madrid resta loyale à la République parce qu’elle porte en elle cette passion pour les luttes perdues d’avance et les exploits qui ne servent à rien d’autre qu’à mourir dignement. Ici on appelle ça « mourir avec ses idées » . Les indignés de 2011 prirent les rues de Madrid comme si on pouvait faire la révolution en chantant, comme si les bonnes volontés suffisaient à faire trembler le grand capital. Eux aussi, ils étaient colchoneros, c’est certain. Alors quand El Cholo Simeone grimpa sur le podium de la victoire installé en plein centre ville (à 150 mètres du Parlement espagnol, à 200 mètres de Cibeles), ce n’est pas de l’avenir dont il parla, mais bien du présent de ce Madrid qui souffre, qui se bat contre la crise, mais qui ne se plaint jamais. Avec son accent argentin chantant, il prit le micro et regarda chaque Madrilène dans les yeux : « Je voulais vous dire quelque chose. Ceci n’est pas seulement un titre de champion, mes frères, mes sœurs. C’est quelque chose de beaucoup plus important : si on croit en ce que l’on fait et si l’on travaille, alors on y arrive. ¡ Arriba todos ! » Et le cholisme devint une philosophie politique.

La droite et la gauche

Pour cette finale de Champions League, Madrid se délocalise à Lisbonne, sa sœur. Quelle équipe faut-il soutenir, le Real ou l’A(t)léti ? Les Madrilènes ont fait leur choix depuis longtemps. C’est maintenant au reste du monde de se prononcer. D’un côté, il y aura ceux qui croient aux vertus du talent et qui rêvent d’accomplir des exploits que personne n’a jamais accompli avant eux. Pour ceux-là, la Decima serait la plus grande des récompenses et la seule satisfaction à cette folle ambition de grandeur. Et à ceux qui doutent encore, dîtes-leur que oui, on peut être de gauche et soutenir le Real Madrid. Parce qu’au Real, on croit aussi à l’éthique du travail et en la révolte contre le destin. Au Real, il y a Valdano, son discours des valeurs et le violet sur l’écusson qui est aussi la couleur de la République espagnole. En face, il y aura ceux qui parlent de travail, d’efforts et d’humilité. Ceux-là font du pressing un art de vivre. Leurs idées sont séduisantes parce qu’elles ont l’air de parler de notre vie quotidienne.

Mais aux plus sûrs de leur foi, dîtes-leur que l’Atlético fut aussi le club de l’armée de l’air (celle qui bombarda Madrid) qui prit le pouvoir sportif juste après le coup d’État franquiste. On peut être de droite et avoir le cœur colchonero, ce n’est pas interdit. On peut être de gauche et avoir l’âme madridiste, ce n’est pas une maladie . À l’A(t)léti aussi on croit au talent et à l’histoire. Luis Aragonés fut formé au Real avant de devenir une icône de l’Atlético. Son obsession de la gagne est une valeur toute madridiste. De l’autre côté, Raúl est né colchonero avant de devenir un symbole merengue. Son abnégation et son éthique de travailleur acharné ressemblent beaucoup à ce dont parle Simeone. Choisir son camp est impossible car ces deux clubs appartiennent à la même âme. Alors, comme ils avaient célébré l’Euro 2008, le Mondial 2010 et l’Euro 2012, les Madrilènes célèbreront maintenant la Champions 2014 comme le triomphe d’une certaine façon d’aimer ce sport. Le goût de Madrid est celui du football comme métaphore de l’existence. Rien n’est jamais droit, rien n’est jamais facile. Tout est toujours mélangé. Madrid contre Madrid, c’est toujours Madrid qui gagne à la fin. Qui d’autre pourrait en dire autant ?

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« D’ici deux ans, le gardien de l’équipe première aura un casque »
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Par Thibaud Leplat, à Madrid

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