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« Le FUS, un modèle de club différent des standards du foot maghrébin »
Une carrière d’entraîneur débutée en 2014, deux trophées à son palmarès : Walid Regragui n’a pas de temps à perdre. Un mois après avoir mené le Fath Union Sport (FUS) de Rabat au premier titre de champion du Maroc de son histoire, l’ancien joueur de Grenoble, de l’AC Ajaccio et du TFC s’exprime sur le foot marocain et sur les deux premières années d’un métier qu’il semble déjà bien maîtriser.
30e et dernière journée, le FUS avait besoin de prendre un point contre le Mouloudia d’Oujda pour être champion. 1-1 à la mi-temps, l’adversaire vient de revenir au score, vos joueurs commencent à perdre pied, qu’est-ce que vous leur avez dit dans les vestiaires ?
Ils étaient fébriles, ils sentaient le contexte peser sur leurs épaules. Offrir au club son premier titre de champion après 70 ans d’attente, c’est une sacrée responsabilité… Je leur ai dit qu’il fallait faire abstraction, jouer comme si on était en milieu de saison. La pression est un peu retombée. L’équipe d’en face devait gagner pour sauver sa peau en Botola Pro (première division marocaine) et ils nous ont bousculés, mais mes joueurs ont gardé leur calme, ils étaient plus relâchés. On a déroulé après le deuxième but, et c’était gagné (en gagnant 4-2, le FUS a fini champion avec deux points d’avance sur le Wydad Casablanca).
Ça fait deux ans que vous entraînez au FUS. Victoire en Coupe du Trône et top 5 en championnat la première saison, finaliste de la Coupe et champion du Maroc la deuxième saison. On a connu pire bilan pour débuter une carrière…Je suis vraiment gâté d’avoir eu la possibilité de me lancer au FUS et mettre mes idées en application. Avoir des résultats valide les méthodes et le projet de jeu, mais il ne faut pas se laisser griser, je sais que dans ce boulot tout va très vite et on n’a pas le temps de savourer.
Le FUS a un statut particulier dans le monde du foot marocain. Le club est stable, ne fait pas de vagues, renvoie une image paisible et fair-play. Il n’est détesté par personne, ses supporters (le FUS est le seul club de 1re division sans groupe ultra) sont bien accueillis partout, les gros titres des journaux pour problèmes extrasportifs sont extrêmement rares…
N’est-ce pas le cadre parfait pour un coach débutant ?L’aspect du cadre paisible n’influe pas tellement, s’il y avait eu des ultras ça ne m’aurait pas dérangé. Mais la gouvernance du club et son modèle, ce sont des conditions très favorables en effet. Regardez les grands clubs maghrébins, qui jouent le haut du tableau, que ce soit au Maroc ou dans les pays voisins. Les décideurs ont les yeux rivés sur les résultats du week-end, prêts à dégommer le staff au moindre faux pas. Il faut des résultats très vite, il faut bien jouer très vite, des coachs sautent au bout de quelques semaines, il y a plusieurs crises par an, la pression est permanente. Le FUS est un cas particulier, un club dont le modèle se situe loin des standards du foot maghrébin. Un projet a été lancé en 2008, l’Académie de jeunes joueurs, les infrastructures, le stade, tout a été repensé et construit patiemment. On réfléchit attentivement avant de choisir un coach, et par la suite le coach va au bout de son contrat. Moi, j’arrive en bout de chaîne de ce projet lancé depuis des années, on m’a fait confiance et on a cru en ma philosophie de jeu.
Parlons-en de votre philosophie. Les médias et les observateurs s’accordent pour dire que le FUS pratique un football plaisant. Quelle est votre conception du jeu, quelles sont les idées que vous avez voulu mettre en place ?Avant d’arriver au club, j’ai été l’adjoint du sélectionneur du Maroc (Rachid Taoussi), j’ai supervisé le championnat local pendant un an. J’ai vu des équipes qui jouent avec un bloc compact positionné très bas, qui attendent des opportunités pour contrer. Je ne voulais pas de ce type de schéma. Pour moi, le football, c’est la possession le plus haut possible, de la maîtrise. Un secteur offensif où la balle circule rapidement autour de 4-5 joueurs minimum, qui combinent entre eux. Je voulais imposer mes idées le plus vite possible, mais la première année, c’est délicat de chambouler l’effectif, les profils des milieux de terrain à ma disposition étaient plutôt athlétiques. Au terme de la première saison, j’ai cherché des joueurs avec des profils en adéquation avec ma manière de jouer.
C’est dans cette optique que vous avez renforcé un groupe assez jeune avec des éléments expérimentés, tels que Skouma (29 ans) et Benjelloun (31 ans, qui a joué en Écosse et en Belgique) ?Ce sont des milieux offensifs qui avaient besoin d’un nouveau challenge et qui correspondent bien aux profils que je cherchais. Benjelloun joue en pivot dans l’axe et distribue bien sur les ailes, Skouma combine beaucoup avec ses coéquipiers. Le danger venait de partout, et ça a libéré mon ailier Mourad Batna, une des révélations de ces deux dernières saisons au Maroc, mais qui était surveillé de près. Je voulais aussi un gardien adroit avec ses pieds sur le jeu court et le jeu long. Du coup, j’ai aussi misé sur l’expérience avec El Houassli (31 ans).
Les acquis de votre carrière de joueur, en France et en Espagne notamment, ont dû énormément vous servir pour vos méthodes. De quoi et de qui vous êtes-vous inspiré ?De tout le monde ! À part certaines exceptions, dans ce métier, on n’invente rien, on reproduit ce que les autres font en essayant d’apporter sa touche personnelle. Je suis allé voir Rudi Garcia (que j’ai eu comme entraîneur à Dijon) quand il exerçait à la Roma, pour observer comment il travaille. Je me suis inspiré de Rolland Courbis pour mes causeries, j’ai repris quelques enseignements du temps passé avec Giresse, Nouzaret, Bijotat… En revanche, à Santander, ce n’est pas le coach qui m’a le plus marqué, mais le public espagnol et sa vision du football. L’exigence du spectacle. Le beau jeu sinon rien. Si tu gagnes et que tu n’as pas diverti le public, tu es hué. Je me suis dit que ce serait la base principale de ma méthode : il faut du spectacle, il faut proposer aux gens un jeu qui leur donne envie de revenir. De préférence en privilégiant la jeunesse et ne pas oublier de valoriser l’identité locale.
Au-delà de la tactique et du jeu, les médias marocains se sont focalisés sur votre communication, qui a souvent suscité la polémique. Avant le match décisif pour le titre contre le Wydad Casablanca, vous avez tout fait pour mettre la pression sur eux : « Le Wydad est un grand club, avec un grand public, un coach renommé. Ils ont des internationaux, un immense budget. S’ils ne gagnent pas ce sera la crise, si on peut les empêcher de dormir ce sera déjà très bien. » Ces propos ont mis le feu aux poudres avant le match…
(Rires) Mais c’est un coup qu’il fallait tenter, et ça a marché au-delà de mes espérances ! Les joueurs des différents clubs parlent entre eux, et certains éléments de mon groupe m’ont dit que les joueurs du Wydad n’ont pas aimé mes déclarations. Ça a chauffé leur public aussi. Conséquence : ils ne voulaient plus battre le FUS, mais me battre moi, pour que je me taise. Ça a soulagé mes joueurs, qui ont eu moins de pression. Tout le monde s’est focalisé sur moi. C’est ce que je voulais. Au Maroc, le style de communication est principalement fait de déclarations calculées, qui ne cherchent pas la polémique. L’objectif était de changer de mode et de faire en sorte que les débats soient axés sur d’autres sujets que le match.
Vous avez passé des mois à annoncer que le FUS jouait le titre, et un soir de mauvais résultat (match nul contre le MAS Fès 0-0 le 21 février 2016), vous débarquez fou de rage en conférence de presse, vous allumez vos joueurs et votre public, et vous dites « le titre, c’est fini, on n’est plus dans la course » . Vous pensez ce que vous dites à ce moment-là ou il y avait aussi une part d’intox ?
Mi-vérité, mi-intox. Avant d’aller à la conférence, j’ai parlé à mes joueurs dans le vestiaire, et je leur ai dit que j’allais parler aux médias, en précisant ce qui serait vrai et ce qui ne le serait pas. La vérité, c’est que je n’étais pas content d’eux. Certains sont rentrés du CHAN (la CAN réservée aux joueurs locaux) exténués et manquaient de rigueur et de concentration. D’autres n’adhéraient carrément plus au projet. Alors j’ai décidé de serrer la ceinture. J’ai fait des reproches au public parce qu’il se doit de se mettre au diapason de notre travail. On était deuxièmes à ce moment-là, on avait besoin de soutien, pas que les gens rouspètent. En revanche, quand j’ai dit que je ne croyais plus au titre, je ne le pensais pas du tout. C’était la bonne saison pour être ambitieux, s’affirmer et changer de dimension. J’avais hâte qu’on se mesure aux autres, et quand on bat le Raja Casablanca à domicile pour l’ouverture de la saison (2-0, le 6 septembre 2015), j’ai su qu’on ne s’était pas trompés. J’y ai cru tout le long, mais si on peut faire un peu d’intox pour induire les autres en erreur, je ne vais pas m’en priver.
La victoire (1-0) contre le Wydad qui vous donne l’occasion de repasser devant au classement, c’est le tournant de la saison ?Non. Le vrai tournant, pour moi, ce sont les longs déplacements en mars et avril pour la Coupe de la confédération (C3 africaine) au Cameroun et en Ouganda. J’ai vu la cohésion collective évoluer, les gars commençaient à former un vrai groupe soudé et la motivation était intacte. Là, j’ai su qu’on allait y arriver, et aller jusqu’au bout.
Cette saison, le FUS a réussi à atteindre la phase de poules de la C3, un an après avoir échoué au stade des huitièmes de finale face aux Égyptiens du Zamalek (0-0, 2-3). Quels enseignements avez-vous tirés de cette double confrontation ?Cette élimination nous a été très utile. Le Zamalek faisait une grosse saison en Égypte, l’entraîneur Jesualdo Ferreira tirait le maximum d’un groupe talentueux et expérimenté. On a vu leur rythme, la manière avec laquelle ils gèrent les temps forts, l’organisation sur le terrain. On n’était pas habitués à jouer sur ce rythme dans le championnat marocain, ou alors très rarement. J’ai compris ce que c’était que le très haut niveau. Sur un plan plus personnel, j’ai constaté la difficulté d’aborder un match retour à domicile après un 0-0 à l’extérieur. C’est un faux bon résultat qui te met dans une position délicate, et les Égyptiens ont profité au maximum de nos hésitations. J’en ai tiré deux leitmotivs : être le plus offensif possible à l’extérieur pour marquer LE but qui te met dans les bonnes dispositions, et mettre une énorme intensité d’entrée à domicile. Cette année, en huitièmes, on ne s’est pas fait avoir : après le 0-0 à Bamako, on n’a laissé au Stade malien aucune chance de nous faire douter, et ça a payé (4-0 au retour à Rabat).
Il reste 8 prétendants pour remporter la C3. Quelles sont les chances du FUS dans la poule, avec les Tunisiens de l’Étoile du Sahel, vos compatriotes du Kawkab Marrakech et les Libyens d’Al Ahly Tripoli ? (Deux matchs de poules ont été disputées en juin et juillet, le FUS a pris 4 points)
Sur le papier, on est candidats aux deux premières places, mais dans la pratique, ce sera une autre histoire. Je considère cette compétition comme une nouvelle opportunité d’évaluer où se situe notre vrai niveau. J’aimerais pouvoir offrir une demi-finale à notre public. Après, tout est possible.
Quelle vision avez-vous de la situation actuelle du foot marocain ?On progresse d’année en année. La sélection, c’est à part, vu qu’on démarre un nouveau cycle, mais au niveau des clubs, on a mis du temps à intégrer la transition vers le professionnalisme, et la situation commence à s’améliorer. Les gros clubs sont traditionnellement bien pourvus au niveau des moyens, mais, à côté, on a d’autres clubs qui travaillent très bien comme l’Ittihad Tanger et la Renaissance de Berkane, par exemple. C’est bien d’avoir six ou sept clubs capables de jouer le haut du tableau. La passion et l’engouement sont toujours là. Après quelques années où la présence des clubs en coupes africaines a régressé, la mentalité a changé. Les clubs ont compris que c’était important de briller en Afrique, c’est une vitrine importante. Avant, ce n’était pas une priorité. La finale du Mondial des clubs du Raja en 2013 contre le Bayern, avec la visibilité internationale qu’elle a apportée, a constitué un déclic. Cette année il y a trois clubs dans le top 8 des compétitions africaines (C1 et C3). Trois clubs marocains sur seize, c’est une bonne performance.
Ce professionnalisme que vous évoquez, c’est ce que vous essayez d’inculquer et transmettre à vos joueurs ? Est-ce que vous sentez que ce que vous mettez en place est intégré, au-delà des résultats ?Là aussi, je sens une progression assez nette. Il y a des valeurs importantes liées au métier de footballeur que les jeunes joueurs doivent comprendre. Je vois des progrès dans l’hygiène de vie, dans l’implication. Avant, les jeunes arrivaient deux minutes avant l’entraînement et partaient tout de suite à la fin. À présent, je vois des joueurs rester une heure après, faire du travail spécifique. La génération d’aujourd’hui est délicate à gérer, et la plupart des jeunes viennent de quartiers populaires. Moi, j’ai grandi dans un quartier populaire comme eux, donc je connais le ton qu’il faut adopter. Les changements que je perçois sont la preuve qu’avec de la discipline, un cadre strict, un suivi des joueurs avec des ateliers de post-formation, des principes à inculquer, il n’y a pas de raison pour que ça ne fonctionne pas.
Propos recueillis par Farouk Abdou