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Le football sur Eriskay, entre ciel et mer
Reconnu comme l'un des terrains de football les plus atypiques au monde, la pelouse du Eriskay Football Club a même fait l'objet d'un reportage de la FIFA, la semaine dernière. Pourtant, avec ses lignes tordues, ses bosses et ses trous, difficile de croire que ce terrain accueille des matchs de football.
Perdu tout au sud des Hébrides extérieures, un archipel aussi connu sous le nom des îles de l’Ouest, un minuscule morceau de terre, coincé entre Barra, au sud, et South Uist, au nord, abrite l’un des terrains de football les plus atypiques au monde. Fait étonnant, la minuscule île d’Eriskay (prononcé Eriski) ne mesure que sept kilomètres carrés et n’héberge que 143 habitants à l’année. Bien loin de Glasgow et d’Édimbourg, l’une des plus petites îles de l’archipel vit au rythme des vagues qui meurent au pied de ses falaises et de ses vieilles légendes gaéliques. Une seule route traverse l’île, et il était même impossible de l’emprunter avant 2001. Dans ce décor qui mériterait amplement un numéro entier de Thalassa, on ne s’attend pas vraiment à trouver une équipe de football. Et pourtant, le Eriskay Football Club existe depuis aussi longtemps que son terrain battu par les vents. Créé dans les années 1950/1960, le EFC participe à la South Uist & Barra League, un championnat d’été organisé entre six clubs des îles voisines.
Une école, un bus et un terrain
Alasdair MacDonald, joueur du Eriskay FC à l’accent plus que prononcé, connaît tout de l’île qui l’a vu grandir et taper dans son premier ballon de football. « J’ai grandi sur cette île, j’y ai passé 18 ans. Je suis allé à l’école primaire sur cette île, et au collège et au lycée sur une île voisine » , explique-t-il. Seulement, une fois l’école terminée, et comme dans la plupart des campagnes reculées, il est très difficile de trouver du travail. Alors la plupart des jeunes sont contraints de quitter la terre de leurs parents. « Je suis allé à Glasgow. Je viens juste de terminer ma deuxième année à l’Université » , raconte Alasdair, qui a hâte de retourner sur son petit lopin de terre : « Je retourne y travailler pendant deux mois dans un petit magasin. De quoi me permettre de passer du temps chez moi et de jouer au football ! » Il faut dire qu’une fois l’île quittée, personne ne s’amuse vraiment à multiplier les aller-retour là-bas. Alors, le reste de l’année, il faut attendre patiemment le retour des beaux jours pour enfin retrouver Eric’s Isle.
« La plupart des îles des Hébrides extérieures sont connectées entre elles par des ponts. Avant 2001, notre petite île n’était pas du tout connectée » , se souvient l’étudiant, qui rentre au bercail en ferry, puis en bus. De North Uist à Eriskay, en passant par South Uist, une seule ligne traverse verticalement l’archipel. Alors, après un trajet plus long qu’un Glasgow-Paris, l’envie de jouer au foot avec les camarades est forcément incontrôlable. Heureusement pour tous les jeunes de retour, le terrain de l’île est prêt à les accueillir tout l’été. À quelques mètres des falaises, quelques lignes blanches et deux cages ont été posées là, au milieu d’un pâturage de moutons cabossé et dénivelé. « Il y a quand même un écart d’un mètre entre les deux côtés ! Et puis, il y a un an, on a installé une barrière d’un côté. C’est toujours aussi marrant de voir un gars essayer d’éviter un tacle pour se retrouver avec les moutons de l’autre côté de la barrière » , raconte Alasdair, hilare. Alors, à terrain atypique, il fallait une équipe hors du commun.
Eriskay FC, à la vie à la mort
« C’est un peu ce qu’on pourrait appeler une Pub Team : si t’es un garçon et que tu as entre 12 ans et 40 ans, tu peux venir jouer pour l’équipe » , explique Alasdair, qui a rejoint l’équipe dès 14 ans. Comme leur maillot le prouve, 99% des joueurs d’Eriskay sont supporters du Celtic Glasgow. « D’ailleurs, le seul supporter des Rangers, c’est le manager ! » s’amuse le jeune joueur. Avec leurs rayures blanches et vertes, les valeureux Robinson Crusoé participent chaque année à la South Uist & Barra League, avec six autres équipes. Un championnat amateur qui se déroule en plein été, pour éviter toute déconvenue. « Même en été, la météo peut faire des siennes, alors imaginez en septembre… C’est aussi une question de disponibilités : il faut que les équipes soient capables d’aligner onze joueurs. Et pendant l’année, beaucoup de gens travaillent » , explique le natif d’Eriskay. Pour qu’aucun match ne soit décalé, voire annulé, le règlement n’est pas des plus sévères, et quelques hommes du continent sont en mesure de venir porter les couleurs d’une île ou d’une autre.
Pour l’instant, le petit club d’Eriskay traverse des moments compliqués. Les joueurs n’ont gagné aucun match sur les cinq premiers, mais la saison est encore longue. Et puis, financièrement, les affaires sont parfois compliquées à gérer. D’autant plus que les ballons ont vite fait de se retrouver perdus dans la mer… « Parfois, quand il y a beaucoup de vent et qu’il y a un gars avec une bonne frappe, le ballon part sur la plage, ou plus loin… À ce moment-là, on peut souffler pendant dix minutes, parce qu’un petit ou un vieux doit aller récupérer le ballon sur terre ou dans la mer » , confie Alasdair. Mais malgré les contretemps qu’il impose parfois, jamais Eriskay ne se séparera de son terrain. Tout le monde en garde de tels souvenirs… « Il y a quelques années, on avait cinq coins. En fait, sur l’un des quatre, il y avait un caillou géant, donc on avait créé un cinquième coin pour tirer les corners. Et puis, ça a posé des soucis, parce que les gars d’Eriskay se servaient du caillou pour faire des une deux » , se remémore le jeune homme. « C’est ce qui fait que ce terrain est unique au monde… » Parce que même au fin fond de l’Écosse, sur un terrain défoncé, le football ne cesse d’exister.
Par Gabriel Cnudde