- Réforme des retraites
Le football sonne la retraite
La réforme des retraites voulue, à coups de matraques si nécessaire, par l’actuel gouvernement, divise le pays selon la formule consacrée. Surtout, elle a suscité l’inquiétude légitime de nombreuses catégories professionnelles et conduit à une des grèves les plus longues jamais connues dans les transports. Parmi les concernés, figurent également les footballeurs pros, des salariés comme les autres. Et bien qu’ils soient restés discrets, à bien y regarder, et compter, ils devraient peut-être faire attention à ce qui les attend, non pas par conscience de classe, mais intérêt personnel.
Il faut d’abord poser les bases. Les sportifs de haut niveau et d’autant plus professionnels entretiennent un rapport singulier à la retraite par cotisation, ne serait-ce que parce que leur carrière ne peut pas s’étendre sur une trop longue période. Leur âge pivot peut difficilement se décaler éternellement. Être pro ne peut donc a priori que constituer une phase, parfois financièrement faste, dans le long marathon vers le pot de départ. Outre cette particularité liée à leur activité, il faut souligner le fait que leur corps représente leur instrument de travail, et s’abîme considérablement plus vite que pour d’autres, laissant des traces sur le long terme – même si pour le moment nous manquons d’étude exhaustive en la matière. À l’image de la situation des danseurs de l’Opéra de Paris, qui bénéficient à ce titre d’un régime spécial, profiter de leur retraite après 60 ou donc 64 ans n’aura pas forcément le même sens que pour l’employé de bureau. C’est ce qu’ont défendu Richard Bouigue et Pierre Rondeau dans une note de la fondation Jean Jaurès consacrée à cette question. « C’est donc bien à un régime particulier qu’il faudrait réfléchir. Il ne pourrait toutefois s’agir d’étendre celui existant pour les danseuses et danseurs de l’Opéra de Paris, le coût en serait trop important pour le budget de l’État. Mais des pistes de travail existent, nous en avons présenté ici quelques-unes, pour que ce régime soit adapté, finançable et pérenne. Les questions qui se posent quant à la création d’un régime particulier pour les sportives et sportifs de haut niveau font écho à celles qui font débat pour l’ensemble de la population : prise en compte de la pénibilité, taux de recouvrement, répartition des cotisations, etc. »
Chérie, j’ai rétréci la retraite
Autre facette, l’actuelle réforme va surtout lisser les années dorées, encore plus qu’aujourd’hui. Le montant de leur retraite était à présent calculé sur leurs 25 meilleures annuités de travail, dont 6 à 10 ans en Ligue 2 ou Ligue 1. Avec l’actuel projet, il s’appuiera sur la moyenne de tous les trimestres de cotisations, avec forcement des périodes bien moins rémunérées (pour ceux qui gèrent bien leur reconversion) ou de chômage. Ils y perdront tous mécaniquement. Sauf qu’évidemment, personne n’a envie de pleurer dans le contexte actuel où les plus lésés devront surtout d’abord réfléchir à comment se loger voire se nourrir. Par ailleurs, les pros ont largement les moyens de se prémunir et d’anticiper, quand ils ne profitent pas de dispositifs corporatistes comme le pécule d’après-fin carrière de l’UNFP. Il n’est pas question ici d’équité ou de défense des acquis, ni de justice au sein d’un système qui se veut « universel » , mais bien de morale, et le foot en sort rarement gagnant. Et les démagos attendent déjà au tournant les complaintes pour sortir les couteaux éthiques et les éditos rageux. On traite d’égotistes des cheminots et leurs régimes spéciaux, imaginez le joueur de Lyon ou Marseille qui oserait se plaindre.
Toutefois, une fois de plus, le diable est logé dans les détails. Tout d’abord en remettant un coup de projo sur l’exemption dite des impatriés qui permet aux footballeurs étrangers débarquant en France de ne rien payer pendant cinq ans. Cette mesure globale pour attirer les « talents » hors de nos frontières n’est pourtant jamais remise en cause, quand bien des « niches » ou « privilèges » sont cloués au pilori de « l’ancien monde » .
Enfin, dernier point qui n’était pas destiné au départ au seul football, au-delà d’un salaire de 120 000 euros brut de revenus annuels, le taux de cotisation tombera, ou chutera plutôt, à 2,81 %. Les personnes devront en revanche se préoccuper de capitaliser d’elles-mêmes pour leurs vieux jours. On ne se fait pas trop de soucis. Toutefois, de facto, dans un grand nombre de nos clubs de football avec grosses masses salariales, l’effet d’aubaine serait en effet non négligeable sur le bilan comptable. Et même Le Figaro le dit, enfin sans pleurer tout autant sur les grosses multinationales évidemment qui en bénéficieraient également. Sur ce dernier point, soyons honnêtes, nous ne sommes pas à l’abri que le ministre nous sorte de son chapeau une petite mesure dérogatoire pour calmer le bon peuple en tapant sur les stars à crampons. Comme d’habitude. Cela suffira-t-il ?
Par Nicolas Kssis-Martov