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Le football serbe face au démon du racisme

Par Julien Duez, avec Loïc Tregoures
7 minutes
Le football serbe face au démon du racisme

Les incidents racistes qui se sont produits à l'encontre du Brésilien Everton Luiz il y a une dizaine de jours ont provoqué un bad buzz inattendu qui a permis de remettre en lumière le climat délétère qui gangrène le football serbe. Et de jeter l'opprobre sur le plus terrible de ses enfants : le FK Rad. Mais si United Force 87, son principal groupe de supporters, parvient à se démarquer à travers la violence extrême de ses propos, force est de constater qu'il n'est pas le seul responsable de la situation.

Dès le coup de sifflet final, alors qu’il vient d’essuyer deux mi-temps de cris de singe en plus d’un tombereau d’insultes inscrites sur une banderole, Everton Luiz craque. Le milieu de terrain du Partizan Belgrade ose faire face au kop du FK Rad et adresse un doigt d’honneur à ses détracteurs, avant de pointer le blason de son club contre son cœur. Un geste qui va mener les joueurs du Rad à tenter de s’en prendre à ce Brésilien mat de peau. Il faudra une intervention de la police couplée à celle de ses coéquipiers pour qu’Everton finisse par quitter le terrain, en larmes. Des larmes brutales, sincères, qui ont fait le tour de la planète foot et rappelé à quiconque l’aurait oublié le grave problème de racisme qui sévit dans les tribunes serbes. En conférence de presse, Everton lâche : « J’étais en colère à cause de l’attitude des joueurs adverses qui ont envenimé la situation plutôt que d’essayer de la calmer. J’aime la Serbie et les gens qui y habitent. Ce pays est comme ma maison. »

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Le racisme comme moyen d’exister

Dans l’ombre du Partizan et de l’Étoile rouge, les deux géants du football serbe, le FK Rad (en français, « travail » ) tente d’exister à sa manière sur la scène belgradoise. Jadis propriété d’une entreprise de BTP aujourd’hui disparue, il est davantage connu pour ses supporters sulfureux que pour son palmarès sportif. Si partout en Serbie, les ultras sont loin d’être des enfants de chœur, ceux du Rad ont franchi toutes les limites. « Il y a un profond sentiment patriotique et nationaliste chez les supporters serbes, mais celui-ci ne s’exprime pas de manière raciste, explique Dejan Zec, fondateur de l’ONG Centre for Sport Heritage, basée à Belgrade. Au Rad, on retrouve tous les néo-nazis qui se sont regroupés au sein d’un club disposant d’une faible base de fans et qui y ont trouvé un moyen d’exprimer leur nationalisme de manière politique. »

Ces supporters sont rassemblés sous la bannière du groupe United Force. En tribune, ils n’hésitent pas à afficher des Totenköpfe, symbole de la SS, des croix celtiques, des versions nazifiées de l’emblème du Rad, une crosse épiscopale, et multiplie les hommages à Ratko Mladić, le « boucher des Balkans » , actuellement jugé par le TPI pour l’organisation du massacre de Srebrenica en 1995. Un génocide dont la United Force fait l’apologie à travers certains de ses chants, particulièrement lorsque le Rad affronte le FK Novi Pazar, l’équipe de la minorité bosniaque, de confession musulmane.

Le niveau de violence est tel que l’on considère en Serbie que la United Force gère le club en sous-main. Pour Dejan Zec, c’est cette omniprésence autour du terrain qui explique le soutien des joueurs envers leurs supporters, malgré un comportement bien peu orthodoxe : « Je crois vraiment qu’ils ont peur d’eux. À cause de leur comportement, les joueurs en sont arrivés à craindre pour leur propre sécurité. De manière générale, l’influence des ultras sur les clubs est bien plus importante en Serbie que dans n’importe quel autre pays. »

La contamination nationale

Si le racisme est la marque de fabrique des supporters du FK Rad, les groupes des autres clubs serbes ne sont pas exempts de tout reproche. À commencer par les rivaux locaux du Partizan et de l’Étoile rouge. Mais au-delà de quelques incidents racistes et antisémites (notamment à Tottenham l’année dernière), ceux-ci ont la particularité d’agir comme de véritables groupes mafieux, actifs entre autres dans les trafics de drogue et d’armes, souvent en lien avec les édiles politiques locaux et nationaux, un peu à la manière des barras bravas argentines. C’est pourquoi, après la rencontre, les déclarations de l’entraîneur du Partizan, Marko Nikolić, paraissaient peu crédibles : « C’est un retour à la réalité du football serbe. »

De quoi rire jaune. Lorsqu’il entraînait l’Olimpija Ljubljana en 2016, il s’était rendu coupable d’avoir traité de « noir idiot » l’un de ses joueurs nigérians qui avait célébré une égalisation un peu trop longtemps à son goût. Une déclaration non sanctionnée par le président de l’Olimpija, le Serbe Milan Mandarić. La Fédération slovène prendra ensuite la décision de le sanctionner jusqu’à la fin de la saison. Nikolić n’a d’ailleurs pas attendu longtemps pour faire volte-face sur sa déclaration qui suivit le match face au Rad, en demandant à ce que tous les protagonistes de l’incident soient sanctionnés, y compris Everton Luiz. Chassez le naturel…

Le lendemain des incidents, la sanction tombe : dans un communiqué, la Fédération serbe (FSS) ordonne la fermeture « jusqu’à nouvel ordre » du stade Pierre Ier, une arène de quartier faite de béton décrépit et de bois vermoulu. Un verdict qui paraît bien léger au vu de la gravité des faits, aucune décision concrète n’ayant été prise directement à l’égard des supporters, bien que le porte-parole de la FSS nous affirme qu’ « une enquête de la commission de discipline suit actuellement son cours » . Se pose alors la question suivante : la Fédération aurait-elle réagi si les larmes d’Everton n’avaient pas fait le tour du monde ?

Pour Mina Milanović, du magazine d’investigation Insajder, la législation serbe est inefficace : « Depuis 2003, le gouvernement s’est lancé dans une guerre contre le hooliganisme, mais seulement sur le papier. Aucune action concrète n’a vraiment eu lieu. » Dejan Zec tempère : « La législation serbe ne pénalise pas automatiquement les délits haineux. Si des faits de violence avaient eu lieu sur le terrain, la justice se serait saisie du dossier. Il y a des discussions pour changer la loi et faire des délits haineux des faits de violence à part entière qui pourront être immédiatement sanctionnés. »

Ultras, directions, politiques : tous complices ?

En attendant, le football serbe est dans une impasse. « Récemment, nous avons demandé au Premier ministre Aleksandar Vučić si la problématique des violences liées au hooliganisme serait un jour résolue, se souvient Mina Milanović. Il nous a répondu qu’il « n’avait pas la force nécessaire pour s’attaquer à ce problème à l’heure actuelle ». Si même l’État n’a pas la « force nécessaire », alors on comprend aisément pourquoi personne ne réagit à ce genre de comportement anti-sportif. » Ajoutez à cela les connexions avérées entre ultras mafieux et cercles du pouvoir et l’on obtient un statu quo qui arrange tout le monde.

Dix jours après les incidents, la FSS n’a prononcé aucune autre sanction à l’égard du Rad. En interne, le discours est bien lissé : « Nous nous battons contre toutes les formes de discriminations et accepterons toutes les décisions de la Fédération, explique Uroš Tošić, le manager général du club. En attendant, nous avons mené notre propre enquête et banni les coupables de notre stade. Nous croyons que l’éducation est la clé et qu’il faut séparer les hooligans des vrais supporters. Car sans les fans, le football n’est rien. »

Selon lui, le noyau des fauteurs de troubles comporterait une dizaine de personnes. Mais la pomme pourrie a gangrené tout le panier et cela, la direction semble incapable de l’admettre. Pire encore, certains membres de la direction tiennent publiquement un discours radicalement contraire, à l’instar de Jelena Polić, la vice-présidente du club. Sur les réseaux sociaux, celle-ci dénonçait les prétendues larmes de crocodile d’Everton en conférence de presse : « Moi je lui dis : cher ami, retourne donc dans ton joli pays, montre-leur tes doigts sombres, insulte les mères brésiliennes et tout se passera bien. » Le message a entre-temps été supprimé, mais une chose est sûre : tant que l’infernal triangle d’intérêts entre ultras, directions de club et monde politique ne se brisera pas, la situation n’a aucune chance de changer. Là encore, il faudra que les solutions partent d’en haut, pour montrer une bonne fois pour toutes que le racisme n’est pas une spécificité serbe, mais concerne l’ensemble du monde du football.

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Par Julien Duez, avec Loïc Tregoures

Sauf mention contraire, tous propos recueillis par Julien Duez.

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