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Le football hors de contrôle
En convoquant et en révoquant respectivement leur ADN, Liverpool et la Roma ont écrit un petit bout d'histoire comme on les aime, qui nous rappelle que le football va parfois bien au-delà de nos espérances.
Le football n’est jamais vaincu. Même attaqué de toute part, par ses propres cancers ou ceux qu’on lui greffe, il surgit toujours sur le terrain, là où il demeure roi 90 minutes durant. Ce mardi 10 avril, sur les coups de 20h45, sans doute que la plupart des regards étaient portés sur l’Etihad Stadium, car l’impossible ne semblait réalisable que par ceux qui affichent ostensiblement leur désir de grandeur. Mais même mené 1-0 au bout d’une centaine de secondes, Liverpool n’a jamais eu peur. Comment Liverpool pourrait-il avoir peur ? Chaque fibre de son maillot est imprégnée d’exploits plus grands les uns que les autres, de larmes de joie, de souffrance, de petites et grandes histoires. Comme pour le Real Madrid aux dépens de Paris le mois dernier, la qualification des Reds tient autant de leur supériorité sur 180 minutes que d’un héritage qui pèse forcément un peu quand résonne l’hymne de la Ligue des champions.
Oui, Liverpool ne sera pas champion d’Angleterre, une nouvelle fois, et ce, depuis vingt-huit longues années. Oui, Manchester City sera l’un des plus beaux champions d’Angleterre du XXIe siècle. Mais, comme au milieu des années 2000, les pensionnaires d’Anfield ont créé un chemin pour se donner le droit de vibrer, eux aussi. C’est aussi à ça que l’on reconnaît les grands clubs : ils combattent la fatalité, sans cesse, la renversent de temps en temps et rappellent aux nouveaux conquérants à quel point il est dur de conquérir, à quel point il est dur de gagner les plus grandes batailles, celles qui rendent fiers, qui remplissent les cœurs à ras bord. Manchester City ou le PSG en sont les victimes aujourd’hui, il ne faut ni s’en féliciter ni s’en désoler, juste constater qu’il n’y a jamais de bond démesuré dans l’histoire. Le passé se construit au présent et donne ses fruits dans le futur. L’horloge reste maîtresse.
Nouvelle romance
Fort heureusement, le football n’est pas juste un éternel recommencement contre lequel il serait impossible de lutter. Et c’est là un espoir pour tous. Parfois, l’histoire se convoque, parfois elle s’incline après avoir pourtant tout fait pour ramener à la réalité ceux qui la défient. C’est ainsi que sans sa légende, Francesco Totti, et sans celui qui est devenu l’un des tout meilleurs joueurs au monde, Mohamed Salah, la Roma a fait d’un énième brouillon mal engagé un chef-d’œuvre. C’était bien plus qu’une « rimonta » ou qu’une « remontada » . Car pour en arriver là, il a d’abord fallu tenir en respect deux autres cadors européens – Chelsea et l’Atlético – en phase de poules. Il a fallu, dans une double confrontation où elle aurait pu perdre pied, combattre son immense attirance pour l’échec face au Shakhtar Donetsk.
Il a fallu « avaler le venin » au Camp Nou, intégrer que la poisse qui lui colle au corps l’attendrait au tournant, sur chaque centre, chaque tir. Il a fallu qu’elle se combatte elle-même autant qu’elle a combattu l’un des rares monstres sacrés qui savait encore allier romantisme et sang-froid. Il a fallu qu’elle envoie balader la raison qui aurait fait renoncer n’importe qui. Elle l’a fait comme elle devait le faire : avec tout un peuple derrière, tout un peuple sur les épaules, qui l’étouffe d’un amour irrationnel, qui place en elle des attentes démesurées depuis des décennies. Elle l’a fait malgré tout ça. Un exploit ? Non, il faudrait inventer un autre mot. Un mot à la hauteur de ce qu’un supporter de la Louve a dû endurer pour connaître le bonheur de vivre ça. Elle le mérite, De Rossi et toute son équipe le méritent. Car en corrompant leur ADN de perdants magnifiques, les Romains ont aussi envoyé un message que chaque club en Europe peut s’approprier et s’efforcer de transmettre.
La flamme ne s’éteint jamais
La Roma peut aujourd’hui fièrement porter le flambeau éphémère de plus grand des « petits » clubs. Elle l’a pris à l’AS Monaco ou Leicester qui eux-mêmes l’avaient pris à d’autres. Certains gardent la flamme ou la raniment de temps en temps, la plupart se contentent de la transmettre, car durer reste la performance ultime. Peu importe. Chaque conquête irrationnelle en inspire d’autres, c’est le grand cercle vertueux du football. Quand tout semble balisé, écrit, cadenassé par les fixations de l’histoire, l’aura des uns, les moyens des autres, quand notre faim de football semble rassasiée, il demeure toujours une parcelle de pelouse quelque part dans le monde qui ouvre un champ des possibles. Séville l’avait déjà prouvé cette année à Manchester. Ce n’était qu’un apéritif. Car le football est bel et bien une nourriture inépuisable, de Bruce Grobbelaar à Kóstas Manolás.
Par Chris Diamantaire