- Disparition de Christophe Revault
Le football français pleure Christophe Revault
Depuis jeudi soir, la nouvelle du décès de Christophe Revault émeut l'immense majorité de la famille du football français. « Tophe » n’était pas qu’un gardien de but, il était non seulement l’une des références du championnat à son poste dans les années 1990 et 2000, mais aussi un formidable coéquipier à la fois sur et en dehors du terrain. Ses anciens partenaires et amis lui rendent hommage.
Florent Sinama-Pongolle, formé au Havre entre 1996 et 2003 :
« Quand je commence à m’entraîner au HAC, Christophe Revault est déjà un emblème du club. Je suis au centre de formation et je servais en tant que ramasseur de balle pour les matchs des pros. L’endroit où il fallait être, c’était derrière les buts, car on était le plus proche des joueurs. Et Revault, c’était un peu celui qui nous faisait tous vibrer parce qu’il dégageait quelque chose d’intense dans ses cages. C’était l’un des premiers gardiens à fêter ses arrêts dans ma mémoire, ça fait partie de la mystique du personnage. C’était aussi Jules-Deschaseaux, une ambiance extraordinaire quand tu te tournais vers le kop. C’était la belle époque avec Vikash, Djibril Diawara… Je me souviens de cette époque face au PSG où Diawara fait un match extraordinaire contre George Weah et où il est soutenu par Christophe. Il avait une assurance avec sa grosse voix, un charisme vraiment spécial. Revault, c’est aussi le souvenir que la porte était toujours ouverte au moment où j’ai décidé de quitter le HAC. À chaque moment où j’étais dans le dur et que je devais revenir en forme, la porte du club était toujours ouverte pour moi. Depuis que je suis rentré, j’avais l’habitude de croiser Christophe dans la ville ou au stade quand on pouvait encore y aller, on discutait et il avait toujours un mot sympa. C’est vraiment un gars qui apportait de la bonne humeur grâce à sa simplicité, sa singularité sur le terrain comme en dehors. Il est le grand bonhomme du HAC. Le Havre, c’est très familial : les gens sont fidèles à leur port et leur ville. Je fais partie du comité d’organisation des 150 ans du HAC l’année prochaine, et je peux déjà te dire qu’il y aura beaucoup d’émotion à la suite de la perte d’une des grandes légendes du club. Il travaillait encore pour le club où il a exercé plusieurs rôles, il ne l’a jamais lâché. Il a tout donné pour le HAC. Revault était un gros nounours : tu l’écoutes quand il parle, mais ses paroles sont toujours d’une grande gentillesse. Dans les périodes de tempête que le club a traversées, ça faisait du bien d’avoir quelqu’un comme lui pour apaiser les esprits. »
Pierre Mankowski, entraîneur du HAC entre 1988 et 1993 :
« C’est triste, bouleversant d’apprendre une nouvelle aussi tragique. Christophe était adorable, à la fois sur le plan humain et sportif. C’était quelqu’un de rassembleur, simple et à la portée de tout le monde. Il était deuxième gardien du club autour de ses 17 ans, son tout premier match chez les pros était un amical en Angleterre. Il était très bon, mais je voulais le préserver un peu des grands rendez-vous. Et puis vient ce match à Paris où Fabien Piveteau se blesse au dos. Il m’explique qu’il a le dos bloqué et qu’il ne peut pas jouer. Christophe avait été prévenu très tard de sa titularisation, la préparation n’était pas simple pour lui. Mais pourtant, ce soir-là, il fait un excellent match. Au Parc, cela s’est tout de suite médiatisé, et Christophe a été perçu comme l’un des futurs talents du football français au poste de gardien de but. Ensuite, il a pris son envol et il a réalisé la carrière que l’on connaît avec fidélité, gentillesse et surtout énormément de travail. C’était très agréable pour ses coéquipiers, le staff et le personnel administratif. Il a toujours été là pour le bien de tout le monde. J’ai aussi le souvenir de la coupe Gambardella gagnée par le club en 1989, Christophe faisait déjà partie des cadres de l’équipe. Quand j’étais allé voir la finale (face au PSG, N.D.L.R), j’avais noté que nous avions un gardien très solide et fort. Dans les buts, c’était un sacré gabarit qui ne laissait pas beaucoup de place. C’était déjà un gardien très complet. Le voir partir à 49 ans, c’est une énorme surprise. Je ne sais pas comment il a passé ses dernières années au Havre et s’il les a bien vécues, je ne saurais pas le dire. »
Fabien Piveteau, gardien de but du HAC de 1990 à 1994 :
« Au quotidien, il n’y avait aucun souci avec un coéquipier comme Christophe. Il aimait bosser, il était toujours à fond. Dans les petits jeux d’opposition, c’était vraiment impossible de gagner s’il était en face. C’était un monstre, un truc de fou. Comme on le dit vulgairement, il me poussait toujours au cul ! (Rires.) Je ne pouvais pas me permettre de me relâcher, car si c’était le cas, il pouvait prendre ma place rapidement. C’était l’époque où l’on commençait à effectuer des entraînements spécifiques gardien. On a toujours eu une superbe relation. D’ailleurs, j’ai le souvenir de spécifiques à la Cavée verte très tôt le matin, juste avant d’aller prendre le bus ou l’avion pour aller jouer le match dans la soirée. On était un peu timbrés. On avait fait un deal avec Christophe : je lui laissais jouer les matchs amicaux et je m’occupais des matchs officiels. Ça me gonflait les amicaux… Mais avant d’aller jouer au Parc des Princes, je me bloque le dos. Là, je lui dis : « Christophe, prépare-toi parce que là, je suis blessé. » Il ne me croyait pas et pensait que je lui racontais des conneries. Mais quand je lui ai confirmé le truc la veille du match, je l’ai senti un peu plus tendu. Mais il avait fait une grosse prestation : je me souviens que L’Équipe lui avait mis 9 sur 10. Et c’est allé de mieux en mieux, je me souviens que lors de ma prolongation de contrat, c’était déjà prévu que Christophe prenne le relais. Il était prêt. À la fin de ma carrière, j’ai choisi de devenir agent et j’ai toujours gardé contact avec lui concernant le recrutement au HAC. Je crois que ses dernières années ont été un peu plus dures à vivre, il a peut-être été affecté moralement. C’était vraiment une personne avec de belles valeurs. Quand Toulouse s’est cassé la gueule, j’ai le souvenir d’être en Écosse, et un club de première division s’était montré intéressé par son profil. J’ai appelé Christophe, mais il m’a dit : « Non, je reste à Toulouse, je vais aider le club à rebondir. » Sincèrement, combien de footballeurs diraient à leur club d’aller se faire foutre aujourd’hui ? Christophe était un mec à part. Le seul truc que je n’ai pas compris chez lui, c’était son passage en tant que coach au Havre. Les deux fois où il a repris les rênes de l’équipe première, ça s’était super bien passé (en 2012 et en 2015, pour un total de dix victoires, un nul et une défaite, N.D.L.R). »
Alexander Vencel, gardien de but du Havre de 2000 à 2005 :
« J’ai appris la nouvelle ce matin, ça m’a choqué. Je connaissais Christophe avant d’arriver au Havre, nous avons toujours eu une excellente relation professionnelle. Avant les matchs, on discutait et on échangeait parce nous étions d’abord tous les deux gardiens avant d’être adversaires. Mon arrivée au HAC et mon après-carrière n’ont fait qu’amplifier notre relation. Lors de ma signature au Havre, j’ai compris à quel point il était emblématique et que ça allait être dur de lui succéder. Mais finalement, je crois que le public havrais a établi une forme de parallèle avec Christophe parce que j’étais aussi un gardien qui aimait aller au contact des supporters et être proche du public local. Christophe était quelqu’un de sympathique, ouvert et agréable. Il y avait aussi une similarité avec les pantalons qu’on portait tous les deux pour les matchs, mais on ne se passait pas le mot. Personnellement, j’avais commencé à en mettre parce que mes genoux étaient fragiles, donc je jouais avec des genouillères. Qu’il fasse -10 ou 40 degrés, ça ne me dérangeait pas. Je ne sais pas si c’était pareil pour Christophe, nous n’en avons jamais vraiment parlé. J’exprime toutes mes condoléances à sa famille, ses proches et la famille du HAC. »
Édouard Cissé, ancien coéquipier au PSG en 1997-1998 et au Stade rennais en 1998-1999 :
« Sans entrer dans les généralités, c’était une personne très humaine et drôle. Quand j’arrive à Paris, je tombe sur Christophe car on séjourne dans le même hôtel avec les nouvelles recrues. Il y avait aussi Franck Gava et Flo Maurice. Là, il me dit de venir manger à sa table. C’est comme ça qu’on a fait connaissance. Et il y a un truc qui m’a rapidement choqué : c’était un grand gaillard avec des yeux bleus et ses cheveux clairs, mais je l’entendais parler en verlan. Là, je lui dis : « Mais d’où tu parles en verlan ? » Et puis il m’a expliqué son attachement à Paris, qu’il était fan depuis tout petit… J’ai senti un grand professionnel et une grande passion. Là, je lis par-ci par-là qu’on parle d’un passage manqué au PSG, mais la vérité, c’est qu’il n’a pas du tout fait que des mauvais matchs ! D’ailleurs, je me souviens très bien de mon premier match titulaire à Paris, c’était le match retour contre le Bayern en C1. On avait gagné 3-1. Christophe avait fait un bon match, mais personne n’en avait parlé ! Les gens étaient restés sur le match aller où tout le monde était passé à travers quinze jours plus tôt… Ce n’était pas le maillon faible, c’est faux de dire ça. C’est aussi pour cela que ça n’a pas fonctionné à Paris : même si tu as une bonne ambiance, les attentes sont totalement différentes. Tu rentres dans le bain du haut niveau, ça signifie qu’on te critique sur ce que tu fais mal, mais on ne te dit rien sur ce que tu fais bien. Paris ou Marseille, c’est un climat spécial où on peut te torpiller quand tu n’es pas bon. Et si tu n’es pas préparé à ça, c’est très violent. Il n’y a pas de juste milieu. Christophe en voulait à Paris. Il avait l’impression d’avoir été lâché par beaucoup de monde dans le club. Ensuite, il est allé à Rennes où il a fait une très bonne saison malgré une blessure au genou, on termine cinquième. J’étais jeune, il m’amenait à l’entraînement. Après chaque victoire, on allait se prendre quelques binouzes à trois avec David Sommeil et on en profitait pour décompresser, on rigolait beaucoup. Il avait un esprit guerrier, mais très axé sur la camaraderie. Et puis à Toulouse, il a montré tout son cœur : accepter de descendre en National alors que tu as le niveau et les offres pour l’élite, pas beaucoup de joueurs professionnels seraient capables de le faire. Christophe était profondément humain. D’ailleurs, il faisait aussi partie du sketch de Canal + sur le dispositif anti-Juninho. Il faut que je me le regarde, c’était un bon moment. C’était typiquement symbolique de Christophe, ce truc : l’autodérision, l’humour. Ça s’était fait naturellement, sans trop se prendre au sérieux. J’étais le maquilleur de Jérôme Alonzo et je fais une imitation de Gérard dans Les Filles d’à côté. Christophe était un mec drôle, mais j’ai cru comprendre qu’il traversait une période un peu dépressive ces dernières années. J’ai suivi ça de loin. Le foot, c’est un milieu qui peut parfois rendre un peu fou. »
Joël Bats, co-entraîneur du Paris Saint-Germain lors de la saison 1997-1998 :
« Je regardais Arsenal-Villarreal et le commentateur a annoncé son décès en direct. C’était très violent. Cela m’a transporté plus de vingt ans en arrière avec des flash… Le temps passe, des choses restent et d’autres s’effacent. Ce que je retiens chez Christophe, c’est une extrême sensibilité enfouie dans un corps de Robocop. Ou comme ils l’appelaient aussi, Bioman… Les gens le voyaient sous cet aspect-là, celui du type indestructible et fort. Mais intérieurement, il y avait une vraie sensibilité. C’est probablement ce qui l’a empêché de ressortir ce qu’il était capable de réaliser au Havre, où il était sollicité très régulièrement et devait réaliser beaucoup d’arrêts avec un talent fou. À Paris, il y a deux ou trois arrêts à faire et il ne faut pas les manquer, car cela peut aller très vite. Je garde aussi en tête que Christophe a eu le cran pour succéder à Bernard Lama, il a osé le faire. Je me souviens l’avoir accompagné dans la tête, car il devait être accompagné dans ce domaine. C’était quelqu’un qu’il fallait protéger, car il ne pouvait pas se protéger lui-même. Après la défaite à Munich, j’ai fait ce que j’ai toujours fait avec mes gardiens : je leur apprends à relativiser. Même si c’était un match de Ligue des champions contre le Bayern, il ne faut jamais oublier que ce n’était qu’un match de foot. L’important, c’est l’après. Mais à Paris, les médias sont plus durs que les médias du Havre… Quand vous faites des erreurs devant les caméras, cela pardonne moins. Nous l’avons mis en concurrence avec Vincent Fernandez qui s’occupait des coupes pendant que Christophe jouait le championnat. En fin de saison, nous gagnons la Coupe de France et la Coupe de la Ligue, mais je veux être clair : Christophe a également remporté ces trophées, ce n’est pas parce qu’il ne jouait pas qu’il n’a pas participé à la joie de ces victoires. Plus tard, nous avons parlé, et il m’a confié qu’il n’était pas prêt pour jouer dans un grand club comme Paris. Il m’avait plus ou moins confié que ce n’était pas fait pour lui, ou du moins que ce n’était pas le bon moment. Il faut avoir du courage pour dire des choses comme ça. Sa grande sensibilité faisait qu’il n’avait pas une entière confiance en lui. Il a dû en souffrir beaucoup à l’intérieur. Il s’est aussi confié à moi sur d’autres choses qui étaient aussi très fortes, je me tairai à ce sujet. À son poste, Christophe avait des qualités et il les a démontrées durant sa longue carrière professionnelle. Nous nous sommes recroisés en première division lorsqu’il affrontait l’OL et nous avons parlé pour obtenir des informations sur du recrutement. Je garde aussi en souvenir ce sketch autour de Juninho, c’était fait avec beaucoup d’humilité et de second degré. »
Nicolas Gillet, coéquipier au HAC entre 2007 et 2010 :
« C’était un pote. Nous n’avons passé que trois saisons ensemble, mais c’étaient trois belles saisons, riches à la fois humainement et sportivement. Il était une personne attachante, il avait du caractère, mais il aimait profondément les gens. Il souhaitait le bien des gens autour de lui. On se donnait un peu moins de nouvelles ces derniers temps, ça fait bizarre… C’est le deuxième de cette génération qui s’en va : après Valéry Mézague, c’est Totophe. C’est dur, on ne s’y attend pas. Tout remonte à la surface là : c’était un super gardien et un super mec. J’ai eu la chance de jouer avec lui dans son club, où il était vraiment considéré comme un demi-dieu. Je me dis que j’aurais aimé l’avoir récemment au téléphone, mais c’est comme ça. Je ne pense pas que vous allez trouver une personne pour vous dire que c’était une mauvaise personne. Quand il nous racontait ses histoires de vie, ce qui lui était arrivé au cours de sa carrière… Avec Jérémy Hénin, il faisait partie des mecs qui revenaient chez eux en 2007. Pour nous, les recrues, c’était un point d’appui inestimable : Christophe nous faisait gagner énormément de temps dans notre intégration, il était hyper accueillant et il avait ce professionnalisme qui le mettait dans la catégorie des références. Nous n’étions pas toujours d’accord sur tout, mais nous avions chacun notre méthode pour permettre au groupe d’avancer et progresser. J’avais un profond respect envers lui parce qu’au Havre, il était aussi dans sa maison, il savait comment les choses fonctionnaient. Les mises au vert, les déplacements… Il gérait tout. Il a aussi laissé un souvenir fort à Toulouse, mais je crois que le HAC restera toujours accolé à son nom. C’était l’infranchissable Bioman. J’espère que vous allez lui rendre un bel hommage parce qu’il le mérite vraiment. »
Jamel Aït Ben Idir, coéquipier entre 2007 et 2010 au HAC :
« Je suis très touché. C’était une personnalité emblématique du HAC, mais aussi de la ville du Havre, il a fait une belle carrière, mais il dégageait surtout beaucoup de chaleur humaine. Aujourd’hui, j’ai l’impression que c’est quelque chose qui se perd. Il avait beaucoup d’humilité et il avait cette mentalité propre à la Cavée verte, il transpirait la gentillesse. Pour être franc, je n’ai pas d’images de lui où je le vois mal parler ou faire une mauvaise action. C’était quelqu’un de positif à 200%. Je suis resté en contact avec lui dernièrement, c’était son anniversaire fin mars. Je l’avais eu au téléphone, tout allait bien. Je suis encore sous le choc… Nous faisions partie de l’équipe championne de Ligue 2 en 2008, il était capitaine, on partageait la même chambre dans nos déplacements… C’était plus qu’un pote. Et quand je le voyais, il se mettait à la disposition des autres comme personne. Il s’est beaucoup sacrifié. On parlait de beaucoup de choses, mais dans le même temps, c’était une personne qui intériorisait beaucoup. L’égoïsme chez lui, c’était une notion qui n’existait même pas. Et sans doute que cela ne lui a pas rendu service, car à un moment donné, il faut aussi avoir cette part d’individualisme pour souffler. Christophe était généreux dans les rapports humains. On ne se rend pas compte à quel point sa perte va affecter Le Havre. Au HAC, il était aimé de tout le monde, il faisait l’unanimité. J’étais en contact avec lui pour le recrutement au sein du club, on avait prévu de se voir au Maroc… (Silence.) Écoute, c’est triste. »
Propos recueillis par Antoine Donnarieix