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Le football français financièrement en danger, vraiment ?
C’est un cri du cœur qu’a lancé mardi 8 septembre sur Twitter Jean-Michel Aulas, un véritable SOS. Le football français va mal, depuis la crise du coronavirus, et rien n’est fait pour l’aider et le soutenir. Vraiment ?
Tous mes cris, mes SOS. Dès l’annonce du syndicat européen des clubs, l’ECA, d’une perte globale de 3,6 milliards d’euros pour le football européen, avec l’épidémie de Covid-19, le président de l’Olympique lyonnais, Jean-Michel Aulas, a lancé un appel à l’aide. Un véritable message d’alerte à la ministre des Sports, Roxana Maracineanu : « Il y a vraiment matière à trouver des solutions économiques et sociales pour les clubs français de football qui ont investi le plus #sos. »
Selon le boss de l’OL, la situation est catastrophique. L’arrêt de la saison en France, la rupture des contrats droits TV et le ralentissement global de l’économie ont mis le football français dans la panade. Même si le championnat a repris et qu’un nouveau diffuseur, Médiapro, s’est positionné, les caisses resteraient misérablement vides. Il faut prendre des décisions, et vite, avant que tout l’édifice ne s’effondre !
3,6 milliards d’euros de pertes pour tout le football européen
D’accord, mais à y regarder de plus près, on ne peut que nuancer les propos alarmistes du président de l’OL. Tout d’abord, l’étude qu’il cite, celle de l’ECA, fait état d’une perte globale de 3,6 milliards d’euros étalées sur 2 saisons, 2019-2020 et 2020-2021. Elle ne concerne pas seulement la France, mais bien les dix principaux championnats européens, dont la Premier League, la Liga ou la Serie A. Bien qu’il faille pondérer le calcul et y ajouter des variables différentielles, des paramètres précis, cela ne ferait, en chiffre absolu, qu’une perte de 360 millions d’euros par ligue. Et sur deux ans. Pour la seule année 2019-2020, l’ECA estime les pertes à 1,5 milliard d’euros, soit 150 millions d’euros par Ligue, sans pondération de la moyenne.
Un chiffre proche de celui qu’avait dévoilé la DNCG, il y a quelques semaines, évaluant les pertes du football français professionnel à 291 millions d’euros. Tout comme l’UNFP, le syndicat des joueurs, qui avait chiffré le coût de l’épidémie à 333 millions d’euros. Des calculs très éloignées de ceux du président Aulas, qui parlait d’un milliard d’euros pour la France, ou du syndicat des clubs Première Ligue, à plus de 600 millions d’euros. C’est la bataille des chiffres, mais il semblerait que, sur ce point, la réalité soit moins cauchemardesque que certaines estimations. Il est indéniable que l’économie du foot a souffert et continuera de souffrir tant que le risque sanitaire se maintiendra en Europe. Les conséquences des pertes économiques sur la saison 2019-2020 se poursuivront et s’étaleront (par des effets indirects et induits), et les effets directs, comme les matchs à huis clos ou en semi-huis clos, se maintiendront.
L’État a déjà aidé le sport professionnel à hauteur de 2,8 milliards d’euros
Alors oui, il faut aider ce secteur qui, en France, pèse plus de 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires et crée 36 000 emplois. Sauf que depuis le début du confinement, des mesures ont été prises qui, au total, ont représenté un investissement de 2,8 milliards d’euros de l’État et du ministère des Sports. On pense notamment aux prêts garantis d’État octroyés aux clubs, à un taux de 0% – Lyon en a d’ailleurs été l’un des bénéficiaires –, aux mesures de chômage partiel et aux exonérations de charges patronales. Certes, les prêts ne sont pas des dons et devront être remboursés à partir de 2021, il faudra intégrer cette nouvelle ligne de dette au passif comptable des clubs. Certes, le chômage partiel était plafonné à 4,5 SMIC et n’a représenté qu’une aide minime pour les clubs, qui versent des rémunérations souvent supérieures au plafond de 5 400 euros par mois. Et certes, l’exonération de charges patronales a été plafonnée à 800 000 euros, très loin des montants payés par Lyon, près de 28,6 millions d’euros en 2019.
Mais des mesures ont été prises et elles ont eu le mérite d’éviter la catastrophe. Qu’est-ce que l’État peut faire de plus ? Maintenir l’exonération des charges patronales, comme demandé par le syndicat Première Ligue, tant que la jauge de 5000 supporters dans les stades est conservée ? Alléger la loi Evin afin d’autoriser la vente et la publicité de produits alcoolisés dans les stades, qui pourrait rapporter, selon un rapport sénatorial, entre 40 et 60 millions d’euros au football français ? Oui, il existe des solutions. Mais peut-on véritablement appeler à l’aide, lancer un SOS et interpeller la ministre et les autorités publiques pour sauver son club, alors que beaucoup a déjà été fait et que la situation ne s’est absolument pas enrayée ? Dans d’autres secteurs d’activité, la situation est bien plus grave, avec des licenciements massifs, une forte augmentation du chômage et un ralentissement total de l’activité. Le plan de relance, voté par le gouvernement, de plus de 100 milliards d’euros, permettra de corriger ces défaillances.
Le football ne va pas mourir
Il faut, enfin, noter une dernière chose : le football professionnel n’a pas autant souffert que les autres. D’abord parce qu’il reste populaire, et qu’il continue, malgré tout, d’engendrer des audiences importantes et d’attirer des annonceurs et des partenaires commerciaux. Puis, parce que la France a bénéficié de l’arrivée d’un nouveau diffuseur, Médiapro, qui a assuré la croissance des droits TV et donc des sources de répartition. Tant que les matchs ont lieu et que les gens regardent, il n’y a pas à s’inquiéter.
Les pertes ont été lourdes, comme partout, mais pas plus qu’ailleurs. Oui, le football, les joueurs, les fans ont souffert, mais nous sommes très loin d’un danger menaçant imminent. Oui, les pertes peuvent se chiffrer en milliard, mais elles sont à relativiser à toute l’Europe et a répartir entre tous les clubs du continent. Donc non, le football français n’est pas en danger. Il devra faire attention, surveiller ses finances et peut-être la jouer petit bras pendant plusieurs saisons, mais rassurez-vous Président Aulas, il ne mourra pas de sitôt.
Par Pierre Rondeau