- Football & marketing
Le football et le marketing de genre
Pour la première de Bibiana Steinhaus, le Hertha Berlin a proposé des billets à moitié prix pour les femmes. Bonne idée ou maladresse ? Si dans le football moderne, il apparaît normal que le public féminin soit une cible marketing comme une autre, force est de constater que la forme importe autant que le fond.
Berlin, terre de pionnières. C’est en tout cas le message qu’a souhaité faire passer le Hertha à travers un clip vidéo dans lequel apparaissent pêle-mêle la première bachelière de l’histoire, la première Allemande à obtenir son étoile sur le Walk of Fame, l’inventeur de la Currywurst ou Angela Merkel. Leur point commun : toutes ont un lien avec la capitale allemande. Alors en apprenant que l’Olympiastadion serait la première enceinte à voir une femme arbitrer un match de Bundesliga, la cellule marketing du club n’a pas hésité un instant. Il fallait marquer le coup.
In Berlin haben Frauen schon immer Zukunft gestaltet. Bibiana Steinhaus reiht sich ein am Sonntag bei #BSCSVW ein. Zeit wird’s! #hahohe pic.twitter.com/yifDWOCCw3
— Hertha BSC (@HerthaBSC) 7 septembre 2017
Des femmes au rabais
« Ils n’ont rien compris, c’est pathétique. » Béatrice Barbusse, sociologue et maîtresse de conférence à l’université Paris-Est Créteil, ne mâche pas ses mots. Le Hertha a en effet choisi d’honorer Bibiana Steinhaus en proposant aux femmes des billets demi-tarif pour la réception du Werder de Brême. « À mon sens, les femmes n’ont pas besoin qu’on leur offre 50% sur le prix de leur billet pour assister à un spectacle sportif. De plus, une telle action suppose que les femmes se rendraient au stade simplement parce que c’est une femme qui arbitre la rencontre » , poursuit-elle. Du côté de la cellule marketing du Hertha Berlin, on ne l’entend pas de cette oreille : « Les réactions qui nous sont parvenues, tant directement que par voie de presse, ont été très positives en Allemagne, se défend Marcus Jung, directeur de la communication des Bleu et Blanc. Cinq cents tickets ont été vendus par ce biais et nous en sommes très satisfaits. »
Mais pour Béatrice Barbusse, la démarche reste maladroite : « Certes, ce genre d’action part d’une bonne volonté puisqu’il vise à faire venir les femmes au stade. Mais pour marquer le coup, le club aurait dû faire 50% de réduction pour tout le monde en utilisant l’argument : « C’est quelque chose que vous n’avez jamais vu. » Là, on peut supposer que la rencontre a moins de valeur parce que c’est une femme qui arbitre » , ajoute celle qui a été présidente d’un club professionnel de handball masculin pendant cinq ans.
En marche vers la normalité
Aucune raison, en effet, de nier le caractère exceptionnel du match en question. « Si j’arbitre en Bundesliga, c’est parce que j’en ai les capacités, pas parce que je suis une femme. C’est une différence importante. Mais si je peux servir de modèle à des jeunes filles ou de pionnière pour plus l’égalité, alors bien sûr, j’en suis ravie » , admettait Bibiana Steinhaus à demi-mot avant la rencontre. « Qu’une femme arbitre une rencontre de Bundesliga n’est de facto pas dans la norme. C’est pour cela que nous avons voulu organiser une action spéciale, explique Marcus Jung. Nous aimerions que les choses continuent d’évoluer dans ce sens et nous sommes prêts, non seulement à chaleureusement accueillir les femmes chez nous, mais également à agir pour qu’à l’avenir, le match face à Brême devienne la norme. »
Un beau discours qui n’émeut pas Béatrice Barbusse. Pour la sociologue, spécialiste des questions de genre dans le sport, agir en one-shot ne sert à rien. Et de prendre en exemple l’Olympique de Marseille lors de la dernière Journée des droits des femmes. Pour toute place achetée, le client en recevait une autre gratuitement pour la personne féminine de son choix. Ou encore le Stade rennais qui proposait des tickets à prix réduits pour les femmes le jour de la Saint-Valentin. « À l’heure actuelle, aucune étude scientifique ne s’est penchée sur l’efficacité de ce genre de dispositif marketing. Les clubs font donc leurs propres expériences en attendant de voir si elles fonctionnent ou pas, » déplore Béatrice Barbusse, pour qui les promotions ponctuelles visent principalement à se donner bonne conscience. « Cela revient à dire : « Regardez mesdames, on fait quelque chose pour vous. Si vous ne venez pas, on n’y peut rien, mais vous ne pourrez pas nous reprocher de ne pas avoir essayé. » »
Willkommen in der @Bundesliga_DE, Bibiana Steinhaus! #BSCSVW #hahohe pic.twitter.com/yMuoYvXMvk
— Hertha BSC (@HerthaBSC) 10 septembre 2017
Vive le long terme !
Séduire le public féminin à travers des opérations marketing partirait pourtant d’une bonne intention, visant à augmenter la mixité dans les stades. « La saison dernière, 16% de nos abonnés étaient des femmes. Et nous serions heureux que ce chiffre augmente » , analyse Marcus Jung, qui reconnaît pourtant ne pas détenir la solution miracle : « L’avenir nous montrera comment nous pouvons agir pour y parvenir. Mais nous sommes d’ores et déjà prêts à nous atteler à la tâche. » Et si la solution résidait dans le long terme ? « Proposer des abonnements à prix réduit pour les femmes pendant une saison ne me choque pas, le sens de l’opération est complètement différent, tempère Béatrice Barbusse. Cela encourage la mixité au sein du stade de football vis-à-vis d’un public qui est moins enclin à s’y rendre spontanément. »
Loin des fastes de la Bundesliga, dans le relatif anonymat du National 2, un petit club en a fait l’expérience depuis plusieurs années. Au FC Chartres, les femmes accèdent aux rencontres de l’équipe première gratuitement en pourtour. « Et depuis cette saison, elles bénéficient d’un tarif préférentiel de deux euros par match pour un siège en tribune couverte. Nous proposons également un abonnement pour la saison à vingt euros, valable aussi pour les enfants » , se félicite Guillaume Foucher, responsable de la communication du club eurélien. Lorsque les pensionnaires du stade Jacques-Couvret sont montés dans le défunt CFA, une place assise coûtait sept euros, sans distinction de genre. « Nous n’avons pas encore assez de recul pour analyser les retombées de cette opération, mais les premiers échos qui nous sont parvenus sont tout à fait positifs. Beaucoup de supportrices nous ont dit que l’attractivité des tarifs proposés pour être assises confortablement à l’abri de la pluie les ont convaincues de venir au stade en famille plutôt que de rester à la maison. »
Le Stade Jacques-Couvret du FC Chartres (N2) accueille en moyenne 500 spectateurs par match.
Enceinte sécurisée
Mais alors, faut-il forcément passer par des tarifs préférentiels pour attirer les femmes au stade ? Pour Béatrice Barbusse, le caractère profondément masculin du football joue un rôle déterminant : « Je suppose que les attentes des femmes sont les mêmes que celles des hommes : voir un spectacle de qualité avec une bonne ambiance, dans une enceinte sécurisée. Et pour cela, pas besoin de demi-tarif. Début 2017, le public des championnats du monde de handball était mixte, sans que les organisateurs ne proposent de billets à prix réduits en fonction du genre. Le chantier à développer serait de faire en sorte que les stades soient à même d’accueillir un public plus large qui s’y rendrait de lui-même. À mon sens, le football part avec un retard sur les autres sports collectifs en raison de la violence physique et verbale à laquelle il est associé. »
À deux ans de la Coupe du monde féminine qui se tiendra en France, la tâche reste considérable. Et il incombe au football que cette grande fête soit une réussite, car au vu de son statut de discipline la plus populaire du monde, ce ne sont pas que les femmes qui en ressortiraient gagnantes, mais bien tout le sport, conjugué au féminin.
Par Julien Duez
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Tous propos recueillis par JD, sauf ceux de Bibiana Steinhaus, tirés du site herthabsc.de.
Béatrice Barbusse est l'auteur de l'enquête Du sexisme dans le sport, publiée en 2016 aux éditions Anamosa.