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Le football devient-il une émission de télé-réalité ?
« On s'est fait niquer... Enculés ! », ou encore « la France ne mérite même pas le PSG ! »... Jamais les déclarations des footballeurs n'avaient été autant analysées, décryptées, punies. Tout ça à cause de quelques caméras indiscrètes qui traînent dans les couloirs, en tribunes ou devant les vestiaires. Là où elles n'auraient pas dû se trouver.
La commission d’éthique de la Ligue a rendu son verdict, ce jeudi soir : trois matchs de suspension, plus un par révocation de sursis pour Zlatan Ibrahimović, et deux matchs pour Dimitri Payet. Au-delà des considérations sportives indéniables qu’impliquent ces décisions – deux candidats au titre de champion de France se retrouvent privés d’un joueur clé -, elles ouvrent aussi et surtout un vaste débat autour de l’éthique du journaliste sportif. Car si les propos pour lesquels les joueurs ont été sanctionnés étaient déplacés, fallait-il vraiment que des caméras soient là pour les capter ? Un tel procès d’intention était-il vraiment nécessaire pour juger des propos principalement liés à la frustration d’une injustice ressentie, qu’elle soit avérée ou non ? Les journalistes impliqués ont beau s’en défendre, leur indiscrétion contribue à transformer le statut de footballeur. De simple sportif, on demande aujourd’hui à nos footballeurs d’être des communicants exemplaires, des modèles pour nos enfants… Bref, des êtres en tous points irréprochables. Alors, on ne lésine plus sur les moyens. Des caméras partout, des gestes décryptés, des paroles passées au crible… Oui, le football est devenu une Star Academy, un Loft gigantesque dans lequel être La Nouvelle Star n’a plus grand-chose à voir avec le talent balle aux pieds.
Le football en dehors de son temple
Le football est un jeu simple : vingt-deux acteurs courent après un ballon, et à la fin, onze d’entre eux remportent, ou non, un match, voire une compétition. Oui mais voilà, cette définition a été amendée bien des fois et, aujourd’hui, le football dépasse largement les quelques lignes blanches tracées sur une pelouse. Beaucoup de chercheurs ont analysé ce phénomène, et les conclusions sont nombreuses. Le football ne peut pas être un simple sport. Il cristallise trop de tensions sociales, il incarne trop d’antagonismes, il ressemble trop à la vie. Alors on attrape le footballeur, et on le sort, lui aussi, de son terrain de jeu. En malmenant la déontologie journalistique, on « peopolise » l’information sportive qui devrait pourtant se cantonner à des analyses tactiques, des avis basés essentiellement sur le sport. Alors oui, les sanctions de cette commission sont injustes et disproportionnées.
Et les communiqués des clubs impliqués pointent du doigt le problème. « C’est, d’ailleurs, en visionnant a posteriori des images captées par la télévision que la commission a décidé d’infliger une sanction disproportionnée » , indique le Paris Saint-Germain. Tandis que l’Olympique de Marseille, lui, résume parfaitement la chose en parlant de « l’injustice spectacle » . « Un joueur professionnel devra-t-il attendre d’avoir rejoint son domicile pour pouvoir exprimer sa frustration sans danger d’être piégé par une caméra indiscrète ? » se questionne le club phocéen. Il faut croire que oui. Et c’est bien dommage. Car si le métier de journaliste consiste à jeter en pâture un homme pris d’un excès de colère dans un moment de tension extrême, il est à repenser entièrement. Et le danger existe bel et bien. Décortiquer des propos lâchés sur un coup de tête via des grilles d’analyses politiques et sociales, c’est donner au footballeur un costume qu’il ne devrait jamais porter. Laissons le football sur son terrain. Et contentons-nous en.
Une double responsabilité
« Quand les mouettes suivent un chalutier, c’est parce qu’elles pensent que des sardines vont être jetées à la mer » , expliquait Cantona. Tomber à bras raccourcis sur les journalistes indiscrets serait un peu trop facile. Il ne faut pas oublier que les chaînes de télévision impliquées répondent avant tout à une demande. Une demande qui émane directement de nous, spectateurs et amateurs de football. Quand les beaux buts ne nous suffisent plus, quand le jeu ne peut plus subvenir à nos besoins, nous réclamons. Nous aimons les joueurs, certes, mais nous aimons aussi les détester. « Dans le contexte d’une contagion du « people » aux médias traditionnels, cette évolution semble néanmoins de moins en moins émouvoir un public qui se montre toujours plus friand de ce type d’informations » , explique Benoît Grévisse, professeur de communication à l’université de Louvain, en Belgique.
Si nous en sommes friands, c’est que ces informations nous confortent dans notre perception de base. Le footballeur a beau être surpayé, mener une vie loin des considérations du commun des citoyens, il n’en reste pas moins humain. « Les limites entre médiatique et journalistique s’estompent. Cette vedette, photographiée au moment où elle se cure le nez, l’image volée des fesses d’une femme politique… Ces irruptions de curiosité, collectivement partagée, font descendre de leur piédestal ces personnalités, d’ordres et de fonctions très divers. Elles les plongent dans une même banalité rassurante. » Alors n’oublions pas qu’en dehors des considérations financières, qui constituent un autre débat dans le monde du football (et pas des moindres), les footeux sont des hommes comme les autres, et ne devraient être jugés que sur un terrain de football. Après tout, si le Z pense vraiment que la France ne le mérite pas, qu’est-ce qu’on en a à faire ?
Par Gabriel Cnudde