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Le football, dernière échappatoire espagnole face à l’Allemagne
L'Espagne et l'Allemagne, c'est avant tout une histoire sans passion ni haine. Trop loin, trop différents, les deux pays se sont tout d'abord chamaillés avec la France. Mais ça, c'était avant. Avant l'arrivée de Merkel et de cette foutue crise sans issue.
Chaussettes blanches, tongs aux pieds, casquette vissée sur le crâne, crème solaire dans la poche du short… Rougeaud, le touriste allemand se démarque de son cousin anglais sur les côtes espagnoles. Par centaine de milliers, ils débarquent chaque année de l’autre côté des Pyrénées. « Plus de neuf millions de touristes allemands visitent l’Espagne chaque année, nous assure Martin Langer de l’ambassade teutonne à Madrid. De cette manière, l’Allemagne est le deuxième marché le plus important pour l’Espagne après la Grande-Bretagne. » Une invasion ? Que ce soit sur la Costa del Sur ou dans les Îles Baléares, on serait tenté de répondre par la positive. Exemple avec Calviá-Paguera, petite bourgade de l’île de Majorque. Également appelée « petite Allemagne » , elle ne vit que du touriste d’outre-Rhin. « Le tourisme allemand à Calviá-Paguera, et plus généralement aux Baléares, date du XIXe siècle et l’arrivée de Louis-Salvador de Habsbourg-Lorraine, retrace Cristian Alfaro Park, directeur du tourisme de Paguera. C’est une vieille relation que celle entre les touristes allemands et notre ville. » Pourtant, il nous l’assure, « la relation entre Espagnols et Allemands est excellente, et il n’y a pas eu de changement depuis le début de la crise » . Mouais.
« Historiquement, nous avons plus détesté les Français »
« En général, nous, le genre humain, nous avons une capacité illimitée pour aimer, mais heureusement limitée pour détester. Historiquement en Espagne, nous avons plus détesté les Français que le reste, puisque ce sont nos seuls voisins. Un peu comme nous l’avons fait avec le Portugal. L’Allemagne était trop loin, avance Diego Hidalgo, expert en relations internationales, mais pas que. Désormais, depuis que Mme Merkel est là et qu’il y a la crise, les choses ont commencé à changer. » Car de tout temps, c’est avec son voisin pyrénéen que l’Espagne s’est encanaillé. Ah la France, arrogante, imposante, ne lui inspirait que jalousie et envie. L’Allemagne, elle, nettement moins. Et ce, jusqu’en 1960 – les évènements de Guernica sont à mettre à part. « Dans les années 60, environ un million et demi d’Espagnols sont partis à travers l’Europe à cause d’un plan d’austérité énorme, beaucoup plus drastique que celui que nous avons actuellement. Ils étaient peut-être 800 000 en Allemagne et ont été appréciés là-bas » , explique ce même Diego Hidalgo, fils de Diego Hidalgo y Duran, ministre de la Guerre sous la Seconde République espagnole, et de Gerda Schnur de Hidalgo, intellectuelle et juive allemande.
Rayon football, même topo. « La grande rivalité footballistique est avec la France qui nous a éliminés à maintes reprises » , assure notre témoin. Longtemps placées mais jamais gagnantes, les différentes générations Roja se sont toujours heurtées aux Platini et Zidane. 1984 restant d’ailleurs dans toutes les mémoires espagnoles. La faute à Arconada, mais pas que : « Je me souviens encore de la première fois où l’Espagne avait battu l’Allemagne. C’était il y a 29 ans, lors de l’Euro français. Il y avait 0-0 et nous étions alors éliminés. Et à la 90e minute, Maceta marque de la tête et nous qualifie » , dixit Diego Hidalgo, également fondateur de quatre instituts de relation internationale et en faveur de la démocratie à travers le monde. Deux années plus tôt, c’est le rapport entre footballs français et teuton qui s’inversait en Espagne. « Dans le monde du football, il y a un évènement qui nous a marqués, nous, les Espagnols aimant le football : la demi-finale du Mondial 82 entre la France et l’Allemagne à Séville, se rappelle le señor Hidalgo. Les Allemands avaient gagné au penalty d’une manière tellement injuste… Le souvenir de Schumacher cassant le menton de Battiston est resté gravé. À partir de là, nous avons vraiment commencé à aimer le football produit par les Français. »
Président de la LFP : « L’Allemagne me donne envie »
Aujourd’hui, l’Allemagne est assimilée au grand méchant loup. Seule aux commandes de l’Union européenne, Angela Merkel cristallise en elle toutes les rancunes d’un peuple espagnol qui douille. Lors des nombreuses manifestations contre l’austérité, la politique du chef de file du gouvernement allemand renvoie une certaine germanophobie latente de la part des manifestants. « Aujourd’hui, il y a cette politique d’austérité forcée par les Allemands, les seuls dirigeants européens, qui empêche la Banque centrale européenne d’avoir une politique monétaire plus flexible. En général, les gens pensent que si le SPD était au pouvoir au lieu de Mme Merkel, la situation serait meilleure » , analyse Diego Hidalgo. En temps de crise, entre une économie qui tient à la corde et une autre totalement à la ramasse, les attentes sont en tout point opposées. « Il y a des gens qui comprennent également les Allemands qui pensent que nous avons gaspillé beaucoup de ressources lors de notre époque. Ce qui est plutôt vrai. On comprend que les Allemands soient obsédés par l’inflation, quoique cela fait 95 ans qu’ils ont eu la grande inflation de la république de Weimar, mais ils sont bien trop rigides » , poursuit-il.
Ainsi, dans une interview fleuve au País parue lundi, Javier Tebas, président de la LFP espagnole, a avoué que tout le système de « l’Allemagne me donne envie avec ses 5 % de chômage » . Dans un pays qui compte plus de six millions de chômeurs, autrement dit 27 % de la population active, le parallèle en dit long. Un parallèle prolongé en ce qui concerne le ballon rond par Javier Tebas : « Je crois que nous devons aspirer à une Liga saine économiquement, comme la Bundesliga, et à vendre notre produit comme eux le font. Nous devons essayer de remplir les stades. À la moitié de la saison, les affluences n’ont chuté que de 3,4 %. Mais je mets en garde les clubs : les prix ne peuvent être maintenus. » En se partageant les quatre demi-finalistes de Champions, Allemagne et Espagne mettent à dos deux modèles économiques totalement différents. D’un côté, une certaine homogénéité, de l’autre une supériorité assumée des deux mastodontes. Mais, finalement, qu’importe puisque « au football, il n’y a certainement pas de sentiment d’infériorité sachant que nous les avons battus ces derniers temps » , juge Diego Hidalgo, avant de conclure : « L’Allemagne est trop loin pour qu’on la haïsse. Et de toute façon, les supporters du Real se félicitaient de la défaite du Barça face à Munich, et réciproquement, les Culés avec la qualification du Borussia. »
Par Robin Delorme, à Madrid