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Le football chinois, entre moqueries et rêves de grandeur
Distancé par le Japon et la Corée du Sud, le football chinois cherche un second souffle. Avec pour objectif de construire une équipe nationale compétitive et ainsi accueillir dignement - un jour - la Coupe du monde de football. Sans susciter les habituelles moqueries d'un public désabusé par ses footballeurs.
Mi-mars, le gouvernement chinois a annoncé l’adoption d’un plan ambitieux pour faire du football national une référence continentale, voire mondiale si plus d’affinités. Le principe ? Développer la pratique du football dès le plus jeune âge, donc dans les écoles, afin d’attirer un maximum de jeunes, professionnaliser la formation et rendre le championnat local – la Super League – plus compétitive que tous ses voisins. À terme, l’idée est d’avoir une sélection masculine ambitieuse et à même de briller en Coupe du monde. Cette montée en puissance sportive est la condition sine qua non pour accomplir un jour le rêve du président Xi Jinping : organiser la grande messe du football mondial dans l’Empire du milieu.
« Fumer peut ruiner ta santé, mais regarder jouer l’équipe nationale chinoise peut ruiner ta vie »
Sauf que pour le moment, le numéro un chinois, comme les amateurs de ballon rond du pays, n’a pas forcément eu beaucoup de joies à se mettre sous la dent avec son équipe nationale : une participation au Mondial 2002, deux finales en Coupe d’Asie (1984, 2004) et deux titres en Coupe d’Asie de l’Est (2005, 2010), quand le Japon facture cinq participations au Mondial et quatre titres continentaux. Plus triste pour les amateurs de football chinois, les fiascos et scandales autour de l’équipe nationale ont été monnaie courante sur les deux dernières décennies. Quand le football de clubs était plombé par la corruption, les internationaux, eux, étaient la cible des moqueries du public suite à leurs échecs sportifs ou exploits en maisons closes révélés par la presse.
En atteignant les quarts de finale de la dernière Coupe d’Asie, avec trois victoires en poules et une défaite honorable contre le futur vainqueur australien, Alain Perrin – sélectionneur de la Chine depuis un an – s’est au moins assuré d’éviter les vannes pendant quelque temps. Comme celles qui suivirent la déconfiture des Jeux olympiques 2008, ayant vu les Chinois sortir la queue entre les jambes dès la phase de poules. Les réactions des internautes ? Les plus amusantes sur la blogosphère évoquèrent « une performance sur le terrain comparable au tragique d’un eunuque dans un bordel » , quand la chanson officielle de l’Olympiade, Bejing Welcomes You était transformée en « Come to play with us, our goal posts are wide and always opened » (viens jouer avec nous, nos buts sont larges et toujours ouverts).
La comparaison avec les eunuques n’est pas forcément à propos, des paparazzi chinois ayant immortalisé par l’image plusieurs joueurs de l’équipe nationale avec des prostituées pendant l’Olympiade… Quant au détournement de l’hymne olympique pékinois, il a plus ou moins continué d’illustrer le niveau d’une équipe capable de tomber toujours plus bas : en juin 2013, sous la direction du prestigieux José Camacho, l’équipe nationale a semblé atteindre un point de non-retour après une défaite à domicile en amical contre la Thaïlande, 5-1. La Thaïlande, censée être une nation bien plus faible que la Chine… En a résulté un début d’émeute devant l’hôtel des joueurs à Hefei, pour un bilan de 100 blessés. D’où, à l’époque, la phrase devenue célèbre d’un internaute sur un forum : « Fumer peut ruiner ta santé, mais regarder jouer l’équipe nationale chinoise peut ruiner ta vie » .
Compétitive d’ici 15 à 20 ans ?
Pour Philippe Troussier, actuel entraîneur des Hangzhou Greentown, ces critiques du public chinois à l’égard de l’équipe nationale traduisent avant tout un ras-le-bol vis-à-vis des dirigeants du football local : « On aurait tendance à penser que le désamour est lié aux résultats, mais pour moi c’est plus un désamour par rapport à la manière de faire de la Fédération, et donc par extension du gouvernement chinois » . Pour l’ancien sélectionneur du Japon, il existe « un décalage entre les attentes du public et des médias avec ce que proposent les dirigeants, surtout que les hommes en place ne sont pas forcément ceux qui le méritent » . Une manière de rappeler que deux présidents successifs de la Fédération ont terminé en prison pour corruption – avec de nombreux dirigeants de clubs, arbitres et joueurs – durant la campagne anti-corruption post-JO. Pour les internationaux chinois, difficile de briller quand tout le système est grippé par les petits arrangements entre amis, et qu’il faut également supporter une comparaison difficile avec les voisins japonais et sud-coréens, bons élèves du football extrême-oriental.
« Les joueurs n’ont pas le niveau, car ils ne sont pas assez formés et donc armés » , estime Troussier. La raison est sociétale selon lui, car « il n’existe pas en Chine une pratique spontanée quotidienne et populaire. Les joueurs sont issus de familles aisées, car pour faire du football structuré, il faut en avoir les moyens financiers. Cela donne des joueurs – si on ajoute à cela l’effet de la politique de l’enfant unique – qui ont souvent été surprotégés et peu soumis aux responsabilités… » En 2008, la Chine a prouvé qu’elle avait su s’approprier la plupart des sports olympiques, à l’exception des plus prestigieux, comme l’athlétisme – malgré une médaille d’or au 110m haies aux jeux d’Athènes 2004 avec Liu Xiang -, le basket-ball et surtout le football. Mais « le président Xi Jinping a annoncé la couleur avec ce plan gouvernemental qui va donner des moyens au football, notamment à la formation, et intégrer la pratique dans les écoles » . Sauf que les résultats n’arriveront pas tout de suite, et donc la perspective d’une Coupe du monde sur le sol chinois se dessinera dans un futur assez lointain. « 15-20 ans » croit savoir Philippe Troussier. D’ici là, l’équipe nationale devra faire le dos rond. Ou serrer les dents pour éviter d’être parodiée.
Par Nicolas Jucha