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« Le football, c’était sa vie »

Par Théo Denmat, à Presles
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Le samedi 14 février 2015 à 17h30, Laura Dupuis se faisait renverser par un train de la ligne H au passage à niveau de la gare de Presles-Courcelles. Elle était une joueuse de football comme les autres, devait intégrer le centre de formation du PSG une semaine plus tard, et avait couru au milieu des rails pour récupérer son ballon.

C’était un samedi, le jour de la Saint-Valentin. À 17h30. Comme des centaines d’ados chaque jour, Laura Dupuis, quatorze ans, traverse à pied la ville de Presles pour rejoindre sa maison. Elle a passé la journée au city stade de la ville, un petit bourg boisé de 3800 âmes au cœur du Val-d’Oise, à quarante minutes au nord de Paris en voiture. Elle marche avec trois de ses amis, et se retrouve rapidement à proximité du passage à niveau de la ville, situé juste en aval de la gare SNCF. La gare, tiens, un vrai point névralgique de circulation, tant piétonne qu’automobile, planté en plein milieu de la commune. Et qui la coupe en deux. Il existe un passage souterrain, mais personne ne l’emprunte. La jeune fille habite justement de l’autre côté, à moins de cinq minutes à pied. « Laura, elle l’a passé 10 000 fois ce passage, raconte Catherine Dupuis, sa mère. Quand on traverse une fois, on fait attention, mais mille fois on ne regarde plus. »

La sonnerie retentit, les barrières sont baissées, un train arrive. De ce qu’il s’est vraiment passé ensuite ne subsiste qu’une version diluée de la réalité, et les circonstances du drame restent, deux ans plus tard, floues pour les parents. Seule certitude : Laura courait après son ballon de football, parti rouler sur les rails. Lui a-t-il échappé ? A-t-elle tiré dedans ? Mystère. « Même nous, on n’a pas toutes les réponses à nos questions. Par exemple, le train, il a klaxonné ?, se questionne encore Alain, le père. Quand les chauffeurs le font pour se saluer en se croisant, on les entend depuis le salon. Son copain lui a dit :« Traverse pas ! », mais pourquoi est-ce qu’elle n’a pas fait ne serait-ce qu’un pas en arrière ? » Laura est soufflée sur les barrières par un direct Beauvais-Paris de la ligne H et perd la vie sur le coup. Pour un ballon. Parce que le football, c’était sa vie.

La semaine suivante, elle devait partir au PSG

Tout le monde, ou presque, à Presles, se demande encore aujourd’hui ce qu’il a pu se passer cet après-midi-là. Il y a ceux qui ont simplement « entendu parler » de l’accident et qui hochent la tête d’un air désolé, d’autres qui étaient à l’église pour rendre hommage à une figure « très polie et bien élevée » du quartier et qui glissent un mot de condoléance, et enfin les jeunes qui la connaissaient depuis longtemps et qui fuient à l’évocation de son nom. Trop douloureux. Tous, en revanche, s’accordent à dire que ce qu’il s’est passé ce 14 février 2015 a « bouleversé la vie de la commune » . Et la vie de la famille Dupuis, qui reçoit dans la cuisine d’une grande maison blanche, tuiles foncées, avec jardin à l’arrière et place devant pour garer la voiture. Voilà dix ans qu’ils se sont installés, en 2007, Laura avait alors six ans. Deux ans plus tard, elle s’inscrivait au club de football de la commune, irrésistiblement attirée par le ballon. « Elle était tout le temps en jogging-basket, un peu garçon manquée, sourit Catherine. Elle aimait bien faire du hip-hop dans la cour de l’école. » Laura supporte l’OL en féminines, logique, et commence toutes ses listes d’anniversaire par le dernier ballon à la mode. Le père est photographe bénévole du club, la mère ne s’attarde pas trop au stade : « Je n’allais pas trop la voir jouer, j’avais peur qu’elle se blesse. Je n’y connaissais rien au foot. » Assis sur un banc près de l’école primaire du Nantouillet, justement accolée au stade de football, Richard Rizza enchaîne les cigarettes et les bises aux gamins aux voix fluettes qui semblent tous le connaître. Il porte un T-shirt noir « U.S.L Presles » sponsorisé par une brasserie et un coiffeur, une bague noire à l’annulaire droit, et prévient qu’il est d’accord pour répondre « si ce n’est pas trop indiscret » . Lui est entraîneur des gardiens du club : « Laura c’était une perle, très très douée. Elle avait une vraie technique et c’était une joueuse rêvée pour un entraîneur. C’était un moteur, souvent capitaine au milieu de garçons. Jamais défaitiste, avec une super mentalité. » Elle joue 9 ou 10, mais est la première à demander les cages lorsqu’un de ses coéquipiers est indisponible. Il rit : « Oh puis c’était une casse-cou, elle faisait du surf dans sa baignoire et revenait le bras cassé le lendemain. » À l’époque seule licenciée féminine au milieu de 200 gosses, une mère de famille qui passe par là ajoute qu’elle a le sentiment « qu’il y en a plus maintenant, elle a lancé le mouvement » . Effectivement, aujourd’hui, elles sont trois. « Elle vivait foot, ajoute Alain Dupuis avec une pointe de fierté, dès qu’elle pouvait, elle sortait jouer avec son ballon. Et elle faisait toujours parti de ceux qui étaient titulaires le week-end. »

Trois décès en vingt ans au même endroit

De fait, ses performances en club lui permettent de jouer au niveau District, à Domont. Au cours d’un match, elle est repérée par un recruteur et son nom remonte jusqu’au PSG, qui lui propose des essais. « Elle devait s’y rendre la semaine après l’accident » , confie Catherine Dupuis, la gorge serrée. À vrai dire, même les garçons, d’ordinaire peu prompts à avouer qu’ils se faisaient dribbler par une fille, concèdent leur impuissance dans un sourire qui en dit long. Matthieu, quinze ans, croisé dans la rue un ballon à la main en compagnie de deux amis, commence d’abord par refuser de répondre. Il s’en va, même. « Il la connaissait depuis le CP » , l’excusent Théo et Ngatam. « Elle était vraiment très, très forte » , avoue le premier. « Elle a joué une fois avec mon père et mon frère, mais tranquille, elle leur donnait des conseils » , détaille le second. Puis, à l’évocation des aménagements qui ont été faits au passage à niveau depuis l’accident, Matthieu revient : « Tu parles, c’est des cons ! Ils n’ont rien fait à part mettre un panneau pour dire de faire attention. Mais les barrières, c’est toujours des demi-barrières, tout le monde passe de l’autre côté. » Puis il se radoucit : « Laura, si elle était forte ? Pfff, elle nous mettait cinq petits ponts à la suite, comme ça, si elle voulait… »

Le décès de Laura aura bientôt deux ans et demi. Dans les semaines suivant le choc, après les bouquets de fleurs sur place et la cérémonie hommage au gymnase « parce que l’église était trop petite pour 1000 personnes » , la mairie LR avait annoncé l’ajout de deux demi-barrières supplémentaires, financées par la SNCF, pour 2017. Il faudra finalement attendre 2018. Car en ce vendredi de juin, une vingtaine de secondes avant l’arrivée du train de 16h20 en provenance de Paris, une sonnerie retentit. Les fameuses barrières s’abaissent, et le problème devient évident : de part et d’autre du passage meurtrier, elles ne bloquent que le côté droit de la route, dans le sens de circulation. Libre à quiconque de passer à gauche. De plus, ce dernier est situé à un endroit stratégique : l’école, la mairie, le stade, la poste et les commerces d’un côté, une immense zone résidentielle de l’autre. Et Laura, obligée de passer là tous les jours, n’est pas la première à y laisser la vie. Elle est la plus jeune, certes, mais surtout la troisième en vingt ans, et toujours selon le même procédé. En 1995, une femme se faisait percuter par un train au même endroit, avant un autre accident, dix ans plus tard. Un vieux couple réservé croit se souvenir de l’histoire d’une femme, tout juste majeure, percutée alors qu’elle traversait avec ses écouteurs dans les oreilles. « Enfin, il paraît. » Déjà, à l’époque, des doubles barrières avaient été réclamées, sans succès. Alain Dupuis : « On a peur qu’une autre personne ne fasse heurter, tout ça parce que la SNCF ne peut pas ouvrir un dépôt et trouver des doubles barrières. Là, ça fait six mois que la sonnette s’arrête quand les barrières sont baissées, c’est pas normal. Il peut très bien y en avoir un qui arrive dans l’autre sens, et on ne le voit pas. » Et d’enchaîner, lorsqu’on lui demande si la commune a tiré des leçons du décès de sa fille : « Je pense que cet accident a eu un fort impact sur les gens de sa génération, ils font plus attention. Mais il y a une école à proximité, des petits qui rentrent manger tous les midis. Une bande blanche au sol et un panneau, ça me semble un peu léger. En fait, il faut toujours attendre qu’il y ait d’autres morts. »

Vivre au milieu des souvenirs

Depuis la disparition de Laura, un tournoi de futsal est organisé à Presles chaque dernier dimanche de janvier, à quelques jours près de sa date de naissance. La compétition est réservée aux féminines, et les gagnantes repartent avec le trophée Laura Dupuis. Richard Rizza, qui confirme que l’épisode « avait été un traumatisme dans le club » , glisse aussi qu’il avait été un temps évoqué de renommer le stade en son nom. « On ne l’oubliera pas, on fera quelque chose » , avait déclaré à l’époque Pierre Bemels, maire de la ville. Rien pour l’instant, même si « moi, honnêtement, je serais contente » , explique Catherine, la maman. « Peut-être nommer un terrain, ce serait bien » , ajoute Alain. Le drame est désormais ancré dans l’histoire de la commune, à tel point que Monsieur le maire en a reparlé dans ses vœux de début d’année. Un spot de prévention avait même été tourné avec les jeunes de l’U.S.L, censé être diffusé sur les écrans vidéo des nouveaux transiliens. Mais là encore, Mme Dupuis hausse ses sourcils bruns : « Mon mari prend les transports tous les jours, il ne l’a jamais vu. » Matthieu, le petit ado aux yeux bleus et au fort caractère croisé plus tôt, trouvait d’ailleurs que ce spot ne servait à rien, car « pas assez violent » par rapport à la réalité que tous ont vécu. Après avoir songé à « se reconstruire ailleurs » et quitter les murs d’une maison emplis de souvenirs, les parents de Laura ont pour l’instant décidé de rester sur place. Parce que « c’est comme tout, on s’habitue » . Si l’enquête sur l’accident est close, ils évoquent la possibilité de porter plainte contre la SNCF si celle-ci continue à repousser les travaux de rénovation du passage à niveau. Le papa insiste : « C’est hyper important que les éducateurs de foot jouent aussi ce rôle-là, qu’ils passent des messages de prévention. « Attention en rentrant. »Ils servent aussi à cela. » Un dernier point lui tient à cœur : certains avaient imputé l’accident à l’âge de Laura, la fougue de sa passion et l’imprudence inhérente à sa jeunesse. « Mais si vous restez trois-quatre heures à regarder la gare, vous allez voir toutes ces personnes passer par là, et pas que des jeunes. On en aurait gros sur la conscience s’il y avait un autre mort, parce qu’on se dirait qu’on n’en a pas fait assez. Et ce n’est pas parce qu’il s’est écoulé dix ans entre chaque accident qu’il s’en écoulera encore dix avant le prochain. »

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Par Théo Denmat, à Presles

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