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« Le football brésilien se repose sur ses lauriers »

Propos recueillis par William Pereira
12 minutes
« Le football brésilien se repose sur ses lauriers »

En pleine préparation de pré-saison avec Orlando City, Kaká, visiblement très occupé, a néanmoins accepté de parler de lui, de son rêve américain, du football brésilien, du Milan AC du Real et même de lecture.

Quand on évoque Kaká en France, on pense bien sûr à votre Ballon d’or, mais aussi à ce passage avorté au PSG au début des années 2000. Pourquoi ça ne s’est pas fait ?Quand je suis tombé d’accord avec le Milan AC pour signer là-bas, Leonardo était le directeur sportif du club. Comme Leo entretenait d’excellentes relations avec Paris, et comme moi, j’étais arrivé très jeune à Milan, l’idée était de me prêter au Paris Saint-Germain un temps afin de me donner du temps de jeu pour que je revienne à Milan avec plus d’expérience. Il ne faut pas oublier que ma place était alors occupée par des joueurs comme Rui Costa et Rivaldo. Mais finalement, le club a décidé de me garder dans l’effectif pour que je puisse être à la disposition d’Ancelotti.

Rui Costa et Rivaldo vous ont appris des choses à cette époque ?Beaucoup, beaucoup de choses. Tous les deux jouaient plus ou moins à la même place, donc forcément, j’ai appris beaucoup de choses en les observant, en leur parlant. C’était très enrichissant et sain, il n’y a jamais eu de mauvaise rivalité entre nous… Même si j’ai connu Rivaldo avec la Seleção, je n’ai joué que six mois avec lui à Milan, au contraire de Rui Costa avec qui j’ai joué plus longtemps. Rui Costa venait souvent me parler à la mi-temps pour me donner des conseils, pour me dire de faire ceci et pas cela. Il m’expliquait comment me défaire du marquage des défenseurs, il m’orientait, pour créer des espaces et tout… Donc tous les deux ont été très importants pour moi et m’ont beaucoup aidé.

Maldini a dit un jour que Rui Costa avait été votre professeur…Et c’est vrai ! Avec le recul, on avait vraiment une relation d’élève et prof.

Pour en venir au présent, vous avez dit un jour qu’être une personnalité publique était dérangeant par moments, car beaucoup de choses fausses sortent sur votre vie privée… Aux États-Unis où le football est moins présent dans la vie des Américains, vous devez être moins embêté…Comment dire… Ici, au niveau des médias locaux, je le ressens effectivement comme ça. Il y a moins de spéculation, moins d’intox qui sortent. Ici, quand les médias ne sont pas sûrs d’une information, ils ne la publient pas, ils sont plus sérieux. Mais quand tu es une personnalité publique, il faut accepter le fait qu’il y aura toujours des rumeurs qui sortiront à ton sujet. Pour le reste, ici je réussis à me balader avec plus de liberté… Mais ça commence à changer ! Dans certains quartiers, les gens commencent à me reconnaître, à me demander de prendre une photo avec eux. Mais on voit bien que ce n’est pas encore le sport le plus populaire du pays.

Quel est votre « mission » ici à Orlando City ? L’idée, c’est d’aider le club à grandir, pas seulement sur le terrain, mais aussi en dehors, et aussi d’aider le championnat américain à se développer. Pour Orlando City, l’objectif est de faire en sorte que la franchise soit mondialement reconnue. Par exemple, il y a une stratégie pour faire venir des Brésiliens à Orlando afin que les supporters brésiliens puissent s’identifier à un club aux États-Unis… C’est notre manière de contribuer au développement de la MLS dont on espère qu’elle deviendra l’une des plus grandes ligues du monde un jour.

Je pense vraiment que du fait des cinq titres mondiaux, les gens au Brésil pensent que c’est super et que tout va bien. Mais il faut réfléchir et ouvrir son esprit aux nouvelles méthodes.

Ibrahimović a dit un jour qu’en arrivant au PSG, il était surpris de constater qu’il n’y avait pas de vrai cuisinier au club et qu’il manquait d’intendants. Vous avez dû faire face à des problèmes structurels de la sorte en arrivant en MLS, vous qui avez joué dans des clubs ultradéveloppés de ce point de vue ?Non, quand je suis arrivé ici, la structure était déjà fonctionnelle et très sophistiquée. Rien de luxueux, mais tout était fonctionnel. Le département médical, le centre d’entraînement avec plusieurs terrains, le stade… Évidemment, grâce à mes expériences, je peux aider à effectuer des petits ajustements, mais je ne révolutionne rien, parce que rien ne laisse à désirer.

Le football brésilien, lui, va un peu moins bien. En 2014, vous avez déclaré dans une interview que le foot brésilien faisait du surplace. Qu’est-ce qui vous fait penser ça ?J’ai dit ça parce que je trouve qu’il n’évolue pas. Si vous regardez bien, les autres pays se développent en cherchant de nouvelles méthodologies d’entraînement, en faisant appel aux nouvelles technologies. Le football brésilien se repose sur ses lauriers. Il s’accommode du penta-campeonato (les cinq titres de champion du monde, ndlr) et continue avec les mêmes structures, les mêmes idées jour après jour, année après année. Et je crois vraiment que notre football doit évoluer dans ce sens parce qu’il y a beaucoup de choses positives à apprendre avec les autres.

Est-ce qu’il n’y a pas aussi une peur de changer, une peur de perdre les racines du beau jeu, ce qui expliquerait cette inertie ?Honnêtement, je ne pense pas que ce soit une question de peur de changer. Je pense vraiment que du fait des cinq titres mondiaux, les gens pensent que c’est super et que tout va bien. Mais il faut réfléchir et ouvrir son esprit aux nouvelles méthodes.

Malgré tout, qui désigneriez-vous comme noms qui contribuent à la modernisation du football brésilien ?Sans hésitation Tite (entraîneur des Corinthians, vainqueur de la Coupe du monde des clubs en 2012 et réputé pour pratiquer un football pragmatique, ndlr). Il a su se réinventer, s’adapter aux nouveaux outils, aux nouvelles méthodes et ça se voit aussi bien sur le terrain qu’au niveau des résultats qu’il a obtenus ces dernières années avec les Corinthians.

Près de deux ans après la Coupe du monde, beaucoup de gens estiment que ses effets en matière de modernisation et de dynamisme économique ne se font pas ressentir autant que prévu. Quelle analyse faites-vous de ce Mondial brésilien de votre côté ?(Il hésite) Je pense que, quoi qu’il en soit, la Coupe du monde aura été positive pour le Brésil. Personne ne pensait que le pays s’en sortirait en matière d’organisation, et au final, l’organisation était cool, ce qui a été bénéfique pour l’image du pays. Pour les JO, je pense que ça sera pareil. En ce moment, on parle beaucoup de Zika, des problèmes sociaux du Brésil, mais je ne m’inquiète pas trop, parce qu’au bout du compte, tout le monde pourra se satisfaire de ce nouvel événement bien organisé par le Brésil.

Pour en revenir à vous, en Europe, vous avez connu d’excellents entraîneurs et notamment deux des meilleurs, à savoir Ancelotti et Mourinho. Sans se concentrer sur le débat stérile pour savoir lequel est meilleur, quelles différences tactiques et idéologiques les séparent ?J’ai travaillé avec eux, mais j’ai aussi bossé avec Pellegrini au Real Madrid, avec Allegri, avec Seedorf à Milan et avec beaucoup d’autres. Avec Seedorf, j’ai fait l’expérience d’avoir un ancien coéquipier pour entraîneur. Chaque coach m’a appris quelque chose de différent. Tous sont différents en matière de philosophie de jeu, en matière de tactique, en matière de leadership, et tous m’ont apporté quelque chose sur le terrain ou au niveau personnel.

Vous vous souvenez d’un entraîneur en particulier, pour ses méthodes, pour ce qu’il vous a apporté…(Il coupe) Non, non, rien de tout ça. Comme je l’ai dit, que ce soit Ancelotti, Mourinho, Allegri ou même mes entraîneurs en sélection brésilienne, tous m’ont appris quelque chose.

Après avoir à peu près tout gagné au Milan AC, y compris individuellement, vous êtes allé au Real Madrid où les choses se sont moins bien passées. Avec du recul, comment analysez-vous ces années espagnoles ? Qu’est-ce qui n’a pas marché ?Je ne pense pas que l’on puisse parler d’échec ou de passage raté. Bien sûr, c’était une expérience différente de celle que j’ai traversée à Milan, mais au bout du compte, j’y passe quatre ans, je dispute 120 matchs et marque 29 buts. On a gagné trois titres. Ce qui m’a manqué en vérité, c’est de la continuité dans les matchs que je disputais. Il m’a manqué cette continuité à cause de mes blessures, mais aussi par les choix de l’entraîneur. Mais après, on ne peut pas dire que c’était raté. Ce n’est pas comme si j’étais parti au bout d’une saison. J’ai passé quatre années spéciales là-bas, et aujourd’hui j’ai le privilège de pouvoir dire que j’ai joué autant de temps dans un grand club comme le Real Madrid.

Pendant votre passage au Real, vous aviez avoué être devenu un joueur normal…(Il coupe) Je n’ai jamais dit ça, il doit y avoir une erreur. Je ne peux pas avoir dit ça, parce que je n’ai jamais pensé être un joueur normal, tout simplement parce que chacun est différent, chacun a ses propres caractéristiques. Et puis le football est un sport collectif, donc vous dépendez beaucoup des dix autres joueurs qui sont autour de vous. À un moment donné de ma carrière, j’ai reçu un cadeau de Dieu qui m’a permis de traverser une excellente période au niveau personnel et professionnel sur le terrain, et en même temps, j’ai eu la chance de faire partie d’une équipe extrêmement forte à mes côtés. Je parle bien sûr du Milan AC de mon premier passage.

Vous avez évoqué l’importance du collectif dans le football, même au niveau individuel, qui est une manière de penser qui se perd. Aujourd’hui, on regarde un match en se disant « Tiens, untel est très fort » , ou « untel est mauvais » . Que pensez-vous de l’individualisation du football vers laquelle on tend ? Je n’aime pas beaucoup. Évidemment, c’est normal de parler de l’individuel, de pointer du doigt des pièces-clés, des joueurs importants, ne serait-ce que pour décerner les prix individuels. Maintenant, au football, et dans n’importe quel sport collectif, personne ne gagne rien tout seul. Si vous regardez bien, les vainqueurs de prix individuels sont bien souvent protagonistes d’une équipe qui a réussi sur le plan collectif. Rien que cela démontre à quel point le collectif est important dans le football et qu’il mérite qu’on se reconcentre un peu plus dessus.

En parlant de trophées individuels, vous êtes le dernier joueur à avoir remporté le Ballon d’or avant l’écrasante domination du duo Messi-Cristiano Ronaldo. Vous qui avez aussi connu Ronaldo Fenomeno, Ronaldinho et Zidane, vous voyez un avant-après Messi et CR7 ? C’est vrai que Messi et Cristiano sont des joueurs phénoménaux. Messi est un génie, et Ronaldo est une sorte d’icône du football moderne. C’est un joueur fort, bon du droit comme du gauche, bon de la tête, bon sur coup franc et c’est pour ça que je dis qu’il incarne le football moderne. Pour répondre à la question, oui, ils ont sans aucun doute marqué leur génération. Ce sont deux très grands de ce sport. Après, comme je l’ai dit plus haut, ce sont aussi des protagonistes de collectifs très solides, aussi bien le Real que Barcelone.

La plupart des livres que je lis traitent de psychologie, sur le fonctionnement du cerveau, etc.

Pour en revenir au Real Madrid, on raconte que vous avez très mal vécu les blessures accumulées. Quels souvenirs gardez-vous de cette période sombre ?C’était très difficile psychologiquement parce que tu ne sais pas quand et dans quel état tu vas revenir. Il y a comme une crainte en arrière-plan. J’ai eu deux opérations au genou, je me souviens, la deuxième a eu lieu juste après la Coupe du monde 2010… (Il s’interrompt) Ce sont des moments douloureux, mais utiles pour mon développement personnel et qui m’ont fait gagner en maturité. Contrairement au stéréotype du joueur brésilien qui a grandi dans les favelas, vous êtes issu d’une famille de classe moyenne. Vous avez senti un décalage culturel, ne serait-ce que dans les goûts musicaux ou d’autres références, avec vos coéquipiers au long de votre carrière brésilienne ?

Absolument pas. Grâce à Dieu, je n’ai jamais eu le moindre préjugé par rapport à ça, de la même manière que personne au Brésil ne m’a jamais tenu rigueur de mon origine sociale. Au contraire, ça a été une expérience enrichissante. Je me souviens que j’invitais souvent chez mes parents des joueurs qui vivaient dans le centre de formation (du São Paulo FC, ndlr) et qui ne pouvaient pas rentrer chez eux après les entraînements ou les matchs parce que leurs parents n’avaient pas les moyens d’être auprès d’eux. J’ai tissé beaucoup de relations amicales comme ça, et j’ai gardé beaucoup d’amis de cette époque.

Il paraît que vous aimez beaucoup lire, c’est vrai ? Oui, j’adore lire !

Qu’est-ce que vous aimez lire ? J’aime lire de tout. Mon livre préféré est la Bible, mais récemment, j’ai lu beaucoup d’ouvrages d’un écrivain brésilien qui s’appelle Augusto Cury. La plupart de ses livres traitent de psychologie, sur le fonctionnement du cerveau, etc. C’est ce type de lectures que je privilégie aujourd’hui. Maintenant, si je parle avec un ami et qu’il me conseille un livre, je vais quasiment à coup sûr me le procurer et le lire.

La psychologie est une matière importante pour un entraîneur…(Il rit) Je ne sais pas si mon avenir se trouve sur cette voie. J’ai encore deux ans de contrat ici et on verra bien ce qui se passera à la fin du contrat. Mais bon, j’adore le football, j’adore jouer et je continuerai à y jouer autant que possible.

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