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Le foot, une priorité pour le pays ?
La ministre des Sports Roxana Maracineanu a déclenché une vague de réactions indignées en affirmant que le sport ne serait pas la priorité du pays dans le cadre du déconfinement à venir. Elle a depuis certes précisé son point de vue, largement sorti de son contexte, il est vrai. Néanmoins, la question n’est pas si anodine. Quelle doit être la place du sport et du foot en particulier dans la sortie de crise du pays ?
« Ce qui est certain, c’est que le sport ne sera pas prioritaire dans notre société. Il n’est pas prioritaire aujourd’hui dans les décisions qui sont prises par le gouvernement. » Les propos de la ministre sur Eurosport en ont heurté plus d’un, alors que tous les acteurs du secteur, de la plus humble association locale aux géants économiques comme le PSG s’interrogent sur les contours incertains de leur avenir. Elle a depuis précisé ce qu’elle entendait dire : « Parmi tous les enjeux auxquels notre société fait face, évidemment la reprise du sport est un sujet majeur. J’y travaille quotidiennement depuis des semaines, mais la santé reste la priorité. » Il n’y a rien de contradictoire en fait, entre les deux assertions. Dans l’urgence actuelle, les compétitions, avec les questions autour de la date de reprise ou les probables huis clos, ne constituent évidemment pas franchement la préoccupation numéro 1 au plus haut sommet de l’État, pendant que le PIB s’effondre et que la situation sanitaire demeure alarmante.
Footeux éboueurs et ultras solidaires
Parmi la grande famille du foot, beaucoup en ont pleinement conscience. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si on a vu monter « au front » des ultras qui multiplient les gestes de solidarité envers le personnel soignant ou les hôpitaux. Plusieurs footeux amateurs exercent également une profession dans le civil qui leur fait réaliser quotidiennement des « exploits » en assurant les services publics minimum et essentiels auprès de leurs concitoyens, comme Fouad Benzazaa, président, coach et joueur du Veolia FC en FSGT à Bobigny et éboueur dans le 11e arrondissement de Paris.
Parmi les inquiétudes épidermiques apparues à la suite de la déclaration de la ministre, il y a évidemment énormément d’arrière-pensées économiques. Chacun a sorti sa calculette : le foot pro en découvrant la fragilité de son système — même si on doute qu’il en tire les conséquences et que l’État a déjà commencé à lui distribuer de discrets cadeaux fiscaux —, mais aussi le monde amateur, étant tout autant dos au mur. Les prochaines échéances sont pour le moins angoissantes. Dans un contexte à venir de forte récession, il faudra alors décider des budgets, que cela soit lors d’un conseil municipal ou dans un bureau à Bercy. Un sujet sur lequel Jean-Luc Moudenc, maire de Toulouse et président de France urbaine (qui rassemble agglos, métropoles et grandes villes), a interpellé Roxana Maracineanu. Tout en comprenant qu’il faille sauver les clubs pros, il réclame que ce soit « en minimisant, autant que faire se peut, le concours financier des collectivités territoriales(…), car, à égale mesure du sport professionnel, le sport amateur doit également bénéficier d’une pleine et entière préoccupation. » Bref, à l’État de sauver le TFC, les communes auront suffisamment de mal à payer les maillots des équipes de quartiers ou la rénovation du stabil.
Du foot pour la France
Si personne ne peut occulter les nuages financiers qui se forment à l’horizon (à suivre les débats sur les salaires des joueurs), il faut peut-être aussi souligner ce que peut être le rôle « majeur » du foot dans la perspective d’un retour à la normale. Le ballon rond, des gradins des kops aux bars de quartiers où coulent les pintes, du Vélodrome aux terrains pelés du parc interdépartemental de Choisy, pèse sur la vie du pays. Il ne suffit pas d’additionner les droits télé plus le budget de la FFF pour s’en faire une idée. Dans un futur proche, nous allons avoir besoin tout autant de la culture, des théâtres, des cinémas… et donc aussi du foot pour retrouver non seulement nos habitudes, mais nous en aurons besoin pour digérer ce choc et « dire » ce que nous venons de vivre et avancer. Albert Camus aurait approuvé.
Le match du lundi soir en foot à 7 en banlieue ou la rencontre de district en Indre-et-Loire du dimanche ne sont pas le genre de « priorités » qui sautent aux yeux de nos politiques, ni celles incluses dans les prévisions des costards-cravates qui vont bientôt décider du chantier budgétaire. Il existe pourtant des flux sociaux et culturels, invisibles et non quantifiables, qui aident aussi une société à se redresser et un pays à rétablir son PIB. Ainsi, Noël Le Graët a raison d’insister pour maintenir la finale de la Coupe de France, rencontre ô combien symbolique. Il suffit de surfer sur les réseaux sociaux pour comprendre que ce manque de foot ne se résume pas à une addiction pour un soi-disant opium du peuple. Mais qui écoute ces braves gens ? Nous allons manger des cailloux, traverser des moments douloureux et s’il s’agit de sauver la place de la France parmi les puissances économiques, cela risque de prendre du temps. Alors non, le football n’est pas prioritaire. Mais il est peut-être indispensable.
Par Nicolas Kssis-Martov