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« On a laché 8 bombes de 500kg sur notre stade »
Alors qu’on vient de « fêter » le triste premier anniversaire de l’invasion russe en Ukraine, le championnat de foot reprend ses droits après la trêve hivernale. Un championnat particulièrement affecté, notamment à cause de l’arrêt de nombreux clubs.
Il y a un an, Vladimir Poutine lançait son « opération spéciale » en Ukraine. Un nom de façade pour une guerre qui ne veut pas porter son nom en Russie. En Ukraine, en revanche, le pays est passé en quelques heures en état de guerre, et tout ce qui ne concernait pas la défense du territoire a été mis en pause. Le football n’a pas échappé à la règle, alors même que le championnat devait reprendre le lendemain de l’invasion. Et le 26 avril, la saison était définitivement arrêtée.
Pourtant, au mois d’août, alors que les combats s’étaient principalement fixés dans l’est et dans le sud du pays, la saison 2022-2023 reprenait. Jouée majoritairement à Lviv, Oujhorod et Kyiv, la première partie de saison a vu le Dnipro-1 s’isoler en tête du classement devant le Shakhtar Donetsk et le Dynamo Kyiv. Et après une trêve hivernale de plus de 2 mois, le foot ukrainien va reprendre ses droits. C’est dans un contexte très spécial que les différents championnats reprennent puisqu’ils ont dû être fortement remaniés l’été dernier. En cause, les nombreux arrêts de clubs : 27 sur les trois premières divisions professionnelles, 18 au niveau régional. Une véritable saignée.
Desna et Marioupol, les martyrs
Dans les premiers mois de la guerre, l’offensive russe est ultraviolente. Les bombardements ne cessent pas, et tout y passe : installations militaires, énergétiques, civiles, mais aussi sportives. Depuis le début de l’invasion, le gouvernement ukrainien estime à plus de 150 le nombre de structures sportives qui ont été détruites. Parmi elles, les stades du FC Desna Tchernihiv et du FK Marioupol, deux clubs de Premier-Liha dont les villes ont été ravagées. Tant à Tchernihiv qu’à Marioupol, tout a été détruit. Les tirs russes ont anéanti des années de développement. Impossible dans ces conditions de reprendre le championnat au mois d’août.
« La décision a été prise de nous retirer parce que notre ville et notre club ont été complètement détruits », raconte Dmytro Doroshko, le responsable presse du FC Desna. Stade, camp d’entraînement, bureaux, tout ce qui faisait l’identité de l’équipe de Tchernihiv, des équipements à l’administratif, a volé en éclats. « On a lâché 8 bombes de 500kg sur notre stade. Il ne pourra pas être rénové, nous en construirons un nouveau à la place, lance-t-il encore. Il n’y a que ce qu’on avait avec nous en stage en Turquie que nous avons pu sauver. » Le topo est le même du côté de Marioupol où le Volodymyr-Boïko Stadium et ses 12 500 places, un stade indoor de 5500 places et plusieurs terrains d’entraînement sont désormais en ruine. Alors que d’autres clubs ont fait le choix de déménager à l’ouest du pays pour pouvoir continuer à jouer, c’était tout simplement impossible pour ces équipes. « Nous n’avions pas le temps de nous relever, même pour une vie minimale du club », explique Dmytro Doroshko. Raison pour laquelle ils ont préféré mettre leurs activités en stand-by.
Quant au futur, même s’il reste incertain, Doroshko se veut confiant : « Bien sûr que l’équipe sera remise sur pied une fois la victoire de l’Ukraine acquise. Le FC Desna est un symbole de Tchernihiv, il doit vivre ! » Du côté de Marioupol, même si la volonté est là, il est encore difficile d’avoir une idée claire.
Financer la guerre, pas le foot
Toutefois, les équipes qui ont directement dû arrêter leurs activités à cause des combats ne sont pas majoritaires, bien au contraire. Elles ne sont ainsi que neuf à être situées dans des zones de combat. Pour quelles raisons les autres clubs ont-ils alors fait le choix de ne pas jouer cette saison ? Au FC Podillya (D2), basé à Khmelnytskyi dans l’ouest du pays, c’est le président Yevhen Beiderman qui a décidé d’arrêter les activités du club le temps du conflit. « Nous avions le choix soit d’essayer de jouer plus loin et de déménager dans une autre ville, soit d’aider financièrement l’armée. Comme notre président s’est engagé dans l’armée, nous l’avons soutenu et avons décidé de suspendre notre participation au championnat. Tout l’argent est destiné à aider notre vaillante armée », annonce Tatyana Kotoniy, responsable communication du club.
Cet exemple se répète ailleurs où, sans spécialement entrer dans l’armée, les présidents des clubs ont décidé de réorienter leurs moyens financiers, préférant soutenir l’effort de guerre plutôt qu’une équipe sportive. Leur avenir est-il plus sûr que celui du FC Desna ou du FK Marioupol ? Pas forcément. Le Volyn Lutsk, par exemple, risque bien de ne jamais revenir. D’anciens employés cherchent des investisseurs, mais rien n’est certain. « Pour le moment, on ne peut être sûr de rien, même si nous voulons croire en un grand et fructueux avenir pour le FC Podillya », clame Tatyana Kotoniy.
Geste de la fédé
Face à cette hécatombe, une mesure importante a été prise : garantir leur place pendant une saison aux clubs qui se sont retirés, en espérant que le conflit soit terminé d’ici là. Dans le cas contraire, « il y aura une réunion où tous les clubs participants voteront pour une possible prolongation, explique Anna Katukh, de l’Ukrainian Premier League, l’instance qui organise le championnat de première division. Pour le moment, nous avons seulement l’assurance du FC Desna quant à la reprise de ses activités professionnelles après la guerre. »
Mais pour cela, il faudra d’abord venir à bout de la Russie. Viendra ensuite le temps de la reconstruction, et le défi s’annonce particulièrement gigantesque. Les clubs devront tout rebâtir – en plus de leurs infrastructures pour certains –, car tous les joueurs, adultes comme enfants, sont partis. Pour le moment, le FC Desna, le FK Marioupol, le FC Podillya et tous les autres sont des coquilles plus ou moins vides. « Tous nos joueurs ont été libérés et ont retrouvé une nouvelle équipe. Mais nous sommes en contact avec chacun, et beaucoup attendent la renaissance de l’équipe pour revenir », annonce Dmytro Doroshko. Même topo au FC Podillya. « Les joueurs ont reçu des contrats afin de pouvoir jouer ailleurs, maintenir leur niveau et gagner de l’argent », complète Tatyana Kotoniy.
En attendant la fin de cette guerre, il est important qu’aucun autre club ne suive la même voie. Ce qui est loin d’être gagné. Entre les présidents accusés de trahison, ceux qui ont fui le pays ou encore ceux qui sont inquiétés par la justice pour diverses affaires de corruption, malversation ou évasion fiscale, une épée de Damoclès est suspendue au-dessus de la tête de plusieurs clubs. Mais ça, c’est une autre histoire.
Par Julien Denoël
Tous propos recueillis par JD