- Question existentielle
Le foot est-il vraiment un sport viril, comme le dit Pascal Dupraz ?
Spécialiste des déclarations franches du collier, Pascal Dupraz a ressorti ce lieu commun du « sport viril » qui semble coller à la peau du football à l'occasion d'un nul peu flatteur de Caen contre Vannes. Cette expression, rarement questionnée et représentant désormais une connotation quelque peu désuète, conduit toutefois à se poser enfin la question qui fâche : à quelle valeur et à quel monde renvoie un tel cri du cœur ?
D’abord, le point de départ. En cette période de disette, les matchs amicaux ont acquis une importance permettant aux réseaux sociaux d’enfin trouver un produit de substitution à leur besoin de même ou de buzz. Dans ce contexte, la formule dégainée par Pascal Dupraz au lendemain d’une prestation contre Vannes où l’entraîneur du Stade Malherbe a jugé ses joueurs un peu trop timorés était vouée à connaître un retentissement disproportionné. « À d’Ornano, il faut qu’on se fasse respecter. Le foot est un sport viril, il faut utiliser cette virilité en étant bien sûr licite dans ses interventions » , a lancé le coach, dans des propos relayés par Foot Normand.
« A d’Ornano, il faut qu’on se fasse respecter. Le foot est un sport viril. Il faut utiliser cette virilité en étant bien sûr licite dans ses interventions » . La réaction de @CoachDupraz après le match nul du @SMCaen 1-1 contre @VocfootOfficiel lors du 4e match de préparation pic.twitter.com/mWXJ1PgFbM
— FOOT NORMAND (@FOOT_NORMAND) August 5, 2020
Joint par téléphone et sentant sûrement que ses mots pouvaient donner matière à de multiples interprétations plus ou moins polémiques – surtout en 2020 -, le principal concerné a préféré s’en tenir à sa ligne de défense stricte. Pour lui, il ne s’agit que de « défi physique permanent et duels incessants pendant 94 minutes, sur une aire de jeu entre 22 joueurs… N’allez rien chercher d’autre » . L’envie serait presque de lui accorder une certaine indulgence ou le bénéfice du doute, tant, de fait, ce type de raisonnement remonte loin et plonge profondément ses racines dans les structures culturelles du ballon rond. Les sociologues Norbert Elias et Éric Dunning avaient clairement démontré, dans leurs divers travaux dont le classique « Sport et civilisation » (Fayard), à quel point le sport s’est construit comme un « fief de la virilité » . Par la suite, cette identité masculine a surtout servi à conjurer la menace du foot féminin.
Du foot avec les parties génitales ?
L’argument de sa virilité intrinsèque sera régulièrement dégoupillé, par exemple par le journaliste Maurice Pefferkorn en 1921 (il exercera ensuite sa plume dans la presse d’extrême-droite) dans son traité portant sur le foot : « La rudesse de ce sport et la vigueur qu’il exige sont des qualités viriles qu’il n’est pas souhaitable de voir la femme acquérir. » Le sociologue Philippe Liotard s’amuse pour sa part de la résurgence de ce concept, et rappelle que le football a subi depuis quelques années un sérieux renversement de perspectives sur ce plan.
« En étant taquin, on peut s’interroger sur cette affirmation et sur la virilité des footballeurs. Qui, dès qu’ils tombent et touchent la pelouse, se tordent de douleur, grimacent, roulent sur eux-mêmes comme de fragiles insectes. Ce qui fait beaucoup rire les rugbymen, où les handballeurs » , provoque-t-il. Cécile Chatrain, de l’équipe féminine LGBTPLUS Les dégommeuses, pousse de son coté le parallèle jusqu’à l’absurde : « Contrairement à Monsieur Dupraz, je ne pense pas qu’il y ait de « sport viril ». Le football se joue principalement avec les pieds, et éventuellement la tête. Pas avec les parties génitales, n’est-ce pas ? »
« Être un homme » , c’est dépassé
Néanmoins, une fois les boutades balancées et les paradoxes mis en exergue, que reste-t-il à tirer comme enseignement de cette petite séquence normande ? « L’agacement supprime un certain nombre de filtres, détaille Philippe Liotard. L’interview contient tous les stéréotypes ou les contradictions du football et en cela, il faut remercier Dupraz de l’avoir accordée, notamment sur la question de la virilité. Il indique ce qu’il entend par virilité : « Un peu plus d’agressivité, un peu plus de mobilité ». C’est tout ? Ce serait donc ça, la virilité ? De l’agressivité, de la mobilité dans le jeu ? Un jeu viril serait donc un bon jeu, un jeu efficace, le jeu de son équipe quand elle gagne ? »
Et de continuer : « La question n’est bien entendu pas là et ce que dit Dupraz ne se situe pas au niveau d’une analyse technico-tactique, mais elle s’ancre sur des valeurs incorporées. Être viril, c’est« se faire respecter », a fortiori à domicile. En appeler à la virilité est une manière obsolète de chercher à produire une réaction auprès d’hommes adultes, qui possèdent une certaine intelligence. Et par conséquent, dans le propos de Dupraz, il y a cette association implicite entre l’usage de la force – voire de la violence – et les comportements valorisés pour« être un homme ». Or, son argument ne tient pas. Précisément parce qu’il parle d’autre chose, c’est-à-dire d’engagement physique, ce qui est une compétence nécessaire à la réussite lors d’un affrontement. »
Renard ou Pepe, même combat
Bref : à bien y regarder, les footballeurs qui font désormais rêver seraient plutôt adeptes de qualités pas franchement associées au virilisme tandis que le foot féminin s’approprie des valeurs qui semblaient réserver à leur confrère en crampons. « Quand on voit jouer Neymar, Messi, Griezmann ou même Ronaldo, conclut Cécile Chatrain, ce n’est pas leur puissance physique qui frappe la plupart d’entre nous. C’est plutôt le toucher de balle, la créativité, la virtuosité. »
Mais encore ? « À l’inverse, des joueuses comme Wendie Renard ou Lucy Bronze dégagent une impression de grande force. Elles vont chercher l’impact, elles taclent et se prennent des coups de coude dans la figure. Et même si ça fait mal ou que ça saigne, elles se relèvent sans broncher… La vérité est qu’il y a autant de styles de jeu chez les joueuses que chez les joueurs, et c’est justement cette diversité qui fait la beauté du football comme la grandeur des oppositions. Monsieur Dupraz s’en rendrait sûrement mieux compte, s’il regardait un peu plus souvent des matchs féminins. » Le défi est lancé.
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