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Le foot anglais peut-il se réinventer anti-libéral ?
Le 22 septembre, la Professionnal Footballers Association, l'UNFP version anglaise, a réclamé haut et fort l'instauration de quotas pro-nationaux en Premier League. Ou quand les professionnels du football se font les pourfendeurs de la mondialisation.
L’Angleterre a une tendance naturelle pour le libéralisme. Rien d’étonnant alors que le football national soit, à sa manière, le fer de lance de la libéralisation appliquée au ballon rond. Dans la perfide Albion, la concordance de deux révolutions a accéléré la mutation : la création de la Premier League en 1992, et l’arrêt Bosman, rendue par la Cour de justice des communautés européennes en décembre 1995. Si la première devait permettre au football anglais – plus particulièrement ses clubs – de se moderniser et redevenir compétitif, la seconde éradiquait toutes les barrières frontalières au sein de l’Union européenne pour ses ressortissants. Un changement simple, mais radical : si, en novembre 1995, le PSG ou Manchester United devaient respectivement aligner huit joueurs sélectionnables par la France et l’Angleterre, un mois plus tard ils pouvaient jouer avec onze Italiens ou Portugais si cela leur plaisait…
La préférence nationale dans le foot, « une grande campagne politique »
Toute révolution a ses gagnants et ses perdants. Les grands cadors historiques des ligues majeures du Vieux Continent sont de la première caste : avant l’arrêt Bosman de 1995, dix pays différents ont goûté l’ivresse d’une victoire en Coupe/Ligue des champions, treize ont humé l’odeur des finales. Depuis 1995, le carré VIP s’est réduit à cinq championnats : Allemagne, Angleterre, Espagne, Italie et Portugal, ce dernier faisant figure d’intrus avec un seul trophée, celui du FC Porto en 2004. Quant à la France et aux Pays-Bas, une finale chacun, on peut parler de bug dans la matrice… Les perdants ? Tous les autres, qu’ils soient serbes, belges, écossais ou roumains. Pour ne parler que des clubs, car les « championnats majeurs » ne font plus que des heureux aujourd’hui, la faute aux excès engendrés par la chute des frontières.
La Professionnal Footballers Association, l’équivalent de l’UNFP de l’autre côté de la Manche, a mis les pieds dans le plat le 22 septembre, sous la forme d’un communiqué et de déclarations de son président Gordon Taylor. Parlant de « grande campagne politique » , l’association anglaise a réclamé haut et fort une règle imposant aux écuries de Premier League d’aligner au moins quatre joueurs anglais à chaque match de championnat, et dans ces quatre « nationaux » , d’avoir un joueur formé au club. Le sujet a déjà pris un tour politique, le président Taylor ayant évoqué sa cause auprès de représentants du Parti travailliste, et s’apprêtant à en débattre au niveau gouvernemental. Pour voir le jour, une telle mesure devrait obtenir un accord tripartite entre la Premier League, la Fédération anglaise et la Ligue de football anglaise, mais ses partisans estiment à juste titre qu’un soutien politique ne fait jamais de mal.
Pas assez radical de taper sur les non-Européens
La question de la préférence nationale, mise en avant depuis plusieurs années pour justifier les déconfitures régulières de l’équipe nationale, devient chaque jour un peu plus affaire d’État chez sa Gracieuse Majesté. Même la FA (Football Association) a déjà entrouvert une porte : celle de la réduction du nombre de non-Européens dans les clubs anglais. L’idée serait de réduire leur nombre de moitié, et de ne les autoriser qu’en Premier League, à condition que le joueur concerné soit issu de l’une des 50 premières nations au classement FIFA… Sauf si son niveau justifie une arrivée en Premier League, le montant de son indemnité de transfert faisant foi : 15 millions d’euros minimum. Nasser Al-Khelaïfi and Khaldoon Al Mubarak like this. Pas assez radical selon Gordon Taylor de la PFA, qui juge la mesure sympathique, mais comparable « à une goutte d’eau dans l’océan » vu qu’un Brésilien ou un Argentin arrive toujours à se dégoter une arrière-grand-mère portugaise ou italienne si c’est bon pour sa carrière…
Gordon Taylor, dans des propos recueillis par la Press Association Sport : « La clé, c’est de démarrer sur le terrain de jeu et d’avoir au moins quatre joueurs nationaux, dont un sera formé au club. Avec tout l’argent investi dans la formation, il est temps d’obtenir des résultats. » La préférence nationale donc, mais aussi la formation derrière les revendications des joueurs anglais, visiblement enclins à suivre la voie tracée par Southampton et sa très productive Saints Academy. Pour Taylor, les gros bras de Premier League sont allés trop loin dans leur politique sportive « internationalisée » , et pas forcément à raison : « Il n’y avait que quatre Anglais lors de Manchester City-Chelsea, et le meilleur sur le terrain était l’un d’eux, James Milner. » Pour appuyer ses dires, le président de la PFA compare les résultats de la formation made in England avec ceux d’une institution d’enseignement supérieur : « Le taux d’échec est tellement haut que si nous étions une université, nous aurions probablement dû fermer. » À ses yeux, une seule solution : l’instauration des quotas de discrimination positive pour les Anglais. Ce qui a ses yeux n’affaiblira pas le football national, mais lui permettra au contraire de puiser dans un vivier qui n’a rien à envier aux autres pays européens : « J’ai regardé les U19 anglais faire match nul contre l’Allemagne, pourtant championne d’Europe. On était la meilleure équipe et j’étais impressionné, mais il y a de quoi se demander quelles seront les opportunités pour eux au niveau senior… » Depuis le début de la saison 2014-2015, sur 475 joueurs alignés par les clubs de Premier League, seuls 150 sont anglais…
Par Nicolas Jucha