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Le FLA-FLU a la gueule de bois
À Rio, la ville s’arrête pour deux occasions seulement : le carnaval et les Fla-Flu. Flamengo-Fluminense, ou le derby mythique du football brésilien. Plus d'un siècle d’histoire(s), de buts, de joueurs magnifiques… Aujourd’hui, les plus beaux rivaux du pays s’affrontent pour la 4e journée du championnat national, mais ce n’est plus vraiment pareil.
Comme toute rivalité, celle du Flamengo et du Fluminense a un début. Le Tricolor (référence aux trois couleurs du Flu) a été créé par un étudiant anglais à la fin du XIXe siècle. À cette époque-là, à Rio, c’est l’aviron le sport le plus populaire. C’était d’ailleurs la seule activité du Flamengo à l’époque et c’est pour cela qu’aujourd’hui encore, il s’appelle « Clube de Regatas » . On va vous épargner le cliché traditionnel, le riche contre le pauvre. C’est juste un peu plus compliqué que ça, le Fla-Flu est un véritable duel fratricide. Le Fluminense a toujours été élitiste et associé à la haute bourgeoisie. Le club de foot était fréquenté comme un jockey club, il fallait payer pour y accéder. Chaque match était un évènement où l’on pouvait retrouver des artistes, philosophes ou autres stars du moment. Et le Flamengo dans tout ça ? C’est aujourd’hui le club le plus populaire du Brésil, surnommé même « O mais querido » (le plus aimé en portugais). Mais c’est loin d’être le club traditionnel des pauvres. Le rôle du prolétaire, c’est celui du Vasco de Gama à Rio. Le premier à avoir été dirigé par un président noir ou à avoir fait jouer un joueur noir seulement 30 ans après l’abolition de l’esclavage.
Le Flamengo est entre les deux et il est né d’une embrouille entre la direction du Fluminense et ses meilleurs joueurs. Ces derniers décident alors de se barrer et ont l’idée de créer une section foot chez le voisin, le club d’aviron. Le premier Fla-Flu de l’histoire prend place en juillet de 1912. Une première épique. Alors que le Flamengo est favori puisque, en somme, c’est une rencontre d’équipe première contre sa réserve. Le Fluminense déjoue les pronostics et l’emporte à l’orgueil, 3-2. Beaucoup d’historiens du foot brésilien pensent que cette victoire a tout déclenché, un autre résultat n’aurait pas créé le Fla-Flu, qui portera ce nom plusieurs dizaines d’années plus tard.
Né à Recife
Et si le Fla-Flu n’était pas né à Rio, mais 2 000 km au nord de la côte dans l’État de Pernambuco, dans la paradisiaque capitale, Recife ? C’est le lieu de naissance de deux personnages clés de l’histoire de ce classico, Mario Rodrigues Filho et son frère Nelson Rodrigues. Le premier est le plus vieux né en 1908. Journaliste et patron du Jornal dos Sports, ce supporter caché du Flamengo a inventé l’appellation « Fla-Flu » et l’a rendue célèbre. Il n’a pas avoué son amour pour le club rubronegro pour les affaires, allant même jusqu’à acheter son petit-fils en lui offrant un vélo, lui qui l’avait vu célébrer un but du Fla. Principal artisan du Maracanã, c’est lui qui voulait la création d’un stade gigantesque pour la Coupe du monde de 1950. Le cœur du foot carioca s’appelle aujourd’hui Estadio Jornalista Mario Filho, dit le Maracanã. Nelson, supporter passionné du Fluminense, est né en 1912, la même année que le premier derby fratricide. Dramaturge de talent, il était aussi journaliste dans le journal de son frère. Il assumait complètement son fanatisme pour le Fluminense et ne perdait pas de temps à s’expliquer avec ceux qu’il surnommait « les idiots de l’objectivité » . Nelson Rodrigues tenait une chronique chaque semaine dans laquelle il montrait tout son talent d’écrivain et son sens de la formule. Chaque chose y pouvait devenir personnage principal, comme le crachat d’un joueur de Flamengo sur un joueur de Fluminense. Ces expressions sont devenues courantes dans la culture brésilienne. C’est lui qui a surnommé Pelé le « Roi » en premier ou qui a écrit la fameuse phrase : « Le Fla-Flu est né 40 minutes avant le néant. » Il va même jusqu’à comparer ce duel à un roman de Dostoïevski : « Il y a un lien de parenté évident entre le Flamengo et le Fluminense. Et comme il s’est créé dans le ressentiment, je dirais que ce sont les frères Karamazov du football brésilien. » Ces chroniques sont suivies assidûment par les deux camps, lui qui s’assumait complètement en tant que Tricolor. Ces deux frères ont eu un rôle important dans la fête qu’a été le Fla-Flu toutes ces années, en le transformant en spectacle. Nelson avec ses chroniques, Mario avec son sens de la fête, ne manquaient pas d’imagination pour motiver les supporters. Ce dernier a l’idée de créer des concours d’originalité entre les groupes d’ultras, offrant aux gagnants des voyages pour Recife ou des frigos. Mais ce ne sont pas les seuls à avoir participer à cette grande fête qu’est le Fla-Flu, sur le terrain il y a eu aussi pas mal de spectacle.
Doublette de rêve et but du ventre
L’amour des Brésiliens pour la Seleção est énorme, mais le record d’affluence du Maracanã n’est pas la finale de 1950. C’est la finale de championnat carioca 63 entre le Flamengo et le Fluminense où on a compté presque 195 000 spectateurs dont environ 178 000 avec une place achetée… Quelques années plus tard, toujours dans ce stade, a lieu ce qui est pour beaucoup le plus beau Fla-Flu de l’histoire. L’ouverture du Carioca 86 est synonyme d’espoir pour les supporters flamenguistes. Ils s’apprêtent à voir pour la première fois une formidable doublette qu’ils vont encourager toute cette année 86. Zico et Sócrates en rubronegro ensemble. De retour au Brésil après un échec à la Fiorentina, le grand frère de Rai choisit le Flamengo de Zico, plus grande icône du club. L’attente est énorme et la ferveur récompensée. Le Fluminense champion en titre, surnommé la « Maquina Tricolor » s’incline 4-1 face à un Flamengo flamboyant. Triplé de Zico dont un coup franc succulent et un but du jeune prometteur Bebeto pour les Rubronegros (voir résumé de la rencontre ci-dessous). Pour la petite histoire, la saison du Flamengo ne fut pas aussi belle qu’on l’attendait, Sócrates et Zico étant plus sur la fin, et la tête déjà au Mondial mexicain…
Dans une rivalité comme celle-là, les deux côtés ont de belles histoires, en voici une du Fluminense. L’année du centenaire du Flamengo, en 95, le club carioca avait l’occasion d’être sacré champion de son État pendant un Fla-Flu. Dernière journée du championnat estadual (championnat régional), un nul suffit aux coéquipiers de Romário pour remporter la Coupe. D’abord menés 2-0, les joueurs emmenés par Vanderlei Luxemburgo égalisent et, à 3 minutes de la fin du match, des « Flamengo Campeão ! » sortent des tribunes. Personne ne pouvait penser à ce moment-là que sur un centre anodin, le ballon allait retomber sur le bide de Renato Gaucho, puis entrer dans le but, gâchant ainsi la fête des Flamenguistes et offrant la victoire au Fluminense et le titre estadual. C’est le but le plus connu de ce duel carioca. Et puis le pied d’être sacré champion de Rio l’année du centenaire du rival, il n’y a pas grand-chose de mieux.
FLA-FLU 1986, 4-1
Sans saveur
Désormais, c’est terminé les Zico, Sócrates, Rivellino, Romário, Didi ou même, dernièrement, Deco ou Ronaldinho. Aujourd’hui, les joueurs les plus connus du Fla-Flu s’appelle Fred, Elano, André Santos, Conca ou Rafal Sóbis. On perd du prestige. Et si le niveau sur le terrain a baissé, l’ambiance dans les tribunes est morose. La magnifique scène qu’a été le Maracanã a subi un lifting qui l’a rendu comme tous les autres stades, sans charme. Passé de 200 000 à 79 000 places pour la Coupe du monde. Le Flamengo explique la hausse des prix des places à cause des taxes trop importantes et par le fait qu’il ne touche que 40% des bénéfices de la billetterie. Aujourd’hui, le prix minimum d’une place est de 30 R$, beaucoup trop pour la classe populaire habituée à « La Geral » , la tribune traditionnellement la moins chère, l’anneau autour du terrain, où s’amassaient debout le plus de personnes possibles, un tiers sans avoir payé l’entrée. L’une des choses qui a rendu le Maracanã si spécial, c’est cette tribune. Alors, désormais, le stade est vide, sans réelle ambiance. Quand on additionne tout cela, ça donne une cachaça amère et sans goût : le derby mythique du pays du foot a la gueule de bois. Tout ce qui est nouveau dans cette ville qui accueillera les JO 2016 est excluant pour les classes les plus populaires. Les prix flambent et le salaire minimum ne monte pas d’un centime. Tous les jours, le quotidien carioca EXTRA publie une chronique qui met le doigt sur toutes les absurdités de la ville ( « Rio de chorar » , jeu de mot en portugais, « À pleurer de rire » ). Aujourd’hui, Rio de Janeiro bout, mais cette fois ce n’est pas pour le football et encore moins pour le Fla-Flu.
Court-métrage sur la tribune mythique du Maracanã, « Geral »
Par Gary De Jesus