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Le feu vert
Sorti des années de galères économique et sportive, le Betis Séville mène la danse de cette seconde Liga derrière les quatre fantastiques. À l’origine de cet essor progressif, des choix forts, un entraîneur esthète et un effectif cosmopolite entre anciens, explorateurs et pépites. En bref, une ode au football vivant.
Les yeux remplis de joie, Joaquín parle d’une voix éraillée qui symbolise l’ambiance démentielle dans laquelle le Betis vient de remporter le derby sévillan. Une attente qui durait depuis le 2 mai 2012, date de la dernière victoire contre l’ennemi juré en Liga. Aux grandes célébrations, les grandes paroles face caméra : « Ce soir, le repos est interdit. Celui qui rentre à la maison avant cinq heures du matin aura une amende. » Le large sourire du capitaine augure une nuit longue et joyeuse. Cette philosophie, l’ex-international la fait davantage couler dans ses veines quand les intérêts de son Betis entrent en jeu. Coéquipier de ce « leader sur le terrain » , Ryad Boudebouz confirme la réputation du phénomène : « Il fait rire de fou ! Il rigole avec tout le monde, même le coach. Tu sens que c’est un mec hyper important dans notre collectif, au-delà de l’aspect football. Il trouve les mots justes et sait que nous sommes en train de faire quelque chose de beau. » C’est peu de le dire.
Boudebouz : « Notre mot central, c’est jouer »
En 2014, le Betis connaissait sa troisième relégation en deuxième division en l’espace de quatorze ans. Quand on s’attache à l’histoire de ce club, champion d’Espagne en 1935 et double vainqueur de la Coupe du Roi en 1977 et 2005, cela fait beaucoup. Beaucoup trop, même. Dès lors, le retour des Verdiblancos au premier plan national était attendu comme une prophétie. Une renaissance en trois étapes : d’abord, un titre de champion de Liga Adelante acquis en 2015 avec le prometteur Dani Ceballos en meneur de jeu. Ensuite, une transition assurée par Juan Merino dans l’acquisition du maintien lors de la saison 2016-2017, moment où la gestion du pompier Pepe Mel commençait à battre de l’aile. Enfin, la prise de pouvoir de Quique Setién en juin dernier. Un technicien que la direction du Betis souhaitait déjà en… 2014, quand le natif de Santander coachait à Lugo, également pensionnaire de D2.
Avant d’être la tête pensante du Betis, Quique Setién vissait son brassard de capitaine au Racing Santander. Javier Irureta, son entraîneur lors de l’exercice 1993-1994, se souvient d’un « cerveau aux idées et concepts du football prédéfinis » , d’une « tactique portée vers l’avant, à maîtriser le ballon et apparaître comme une équipe souveraine. » Des mots qui coïncident avec la synthèse de Boudebouz : « Notre mot central, c’est jouer, explique le meneur formé à Sochaux. Que ce soit contre le Real Madrid ou le Barça, nos principes ne bougent pas. En France, tu vas parfois adopter une tactique plus défensive pour affronter Paris ou l’OM. Au Betis, le coach pense que plus tu tiens la balle, plus tu as de chances de gagner. Et quand tu perds la balle, il faut aller presser haut tout de suite. Toute la Liga n’est peut-être pas comme ça, mais ici c’est la règle et j’aime ça. »
Setién, entre échecs et victoires
Dans sa carrière de footballeur professionnel, Setién se distinguait déjà par une capacité à travailler ses talents de stratège au quotidien. « Il était passionné par la lecture, les livres et les échecs, révèle Irureta. C’était son passe-temps favori lors de nos rassemblements d’avant-match. Le football ou les échecs dans le fond, c’est comme les études de droit ou d’ingénierie : il y a des méthodes à comprendre pour devenir meilleur. » Meilleur, l’Asturien le deviendra en tandem avec son adjoint Eder Sarabia, une collaboration issue de l’amitié d’époque entre Setién et Manuel Sarabia, père de, à Logroñés. Ensemble, les deux larrons roulent leur bosse à Lugo puis à Las Palmas, où ils atterrissent dans un club laminé à Getafe (4-0) et avant-dernier de Liga après huit journées. La suite, c’est une reprise en main somptueuse du promu canarien : un maintien assuré haut la main en onzième position, puis une saison 2016-2017 aussi spectaculaire que risquée : Las Palmas termine quatorzième avec la troisième moins bonne défense de Liga, soit… soixante-quatorze buts encaissés.
C’est dans ce contexte que Setién arrive au Real Betis Balompié, club à la recherche de nouvelles légendes à faire entrer aux côtés de Robert Jarni, George Finidi, Denílson ou Ricardo Oliveira dans le panthéon local. Durant l’été, Setién place ses pions : Ceballos parti au Real, Andrés Guardado, Javi García et Ryad Boudebouz viennent garnir l’échiquier bético pour ouvrir un feu d’artifice. Les rencontres contre la Real Sociedad (4-4), le FC Valence (3-6), Cadix en coupe d’Espagne (3-5), le FC Séville (5-3) ou le Real Madrid (3-5) sont autant d’exemples pour démontrer que le football de Quique Setién s’enflamme. « Le Betis est un club avec une immense passion du public et cette victoire à rebondissements contre le FC Séville était un signe fort, décrit Irureta, passé sur le banc de l’institution en 2006. Pour assurer autant de spectacle, avoir des joueurs de qualité à tous les niveaux est indispensable, du gardien à l’avant-centre. »
Les régulateurs Bartra et Joaquín
Recruté au mercato d’hiver en provenance de Dortmund, Marc Bartra est désormais ce défenseur central gage de sérénité dans la relance du 3-5-2 de Setién. Conséquence ? Depuis cinq journées, le Betis ne prend plus de but. Depuis six journées, le Betis remporte tous ses matchs. Bref, le Betis prend son pied dans un football épanoui. « Honnêtement, je ne pensais pas du tout vivre une saison pareille, confesse Boudebouz. Mais avec les idées du coach, Joaquín, Aissa Mandi qui m’a bien intégré dans l’équipe, c’est juste un régal. On profite tous de cette ambiance et nous sommes dans le même esprit. Par exemple, la musique tourne à fond dans le vestiaire jusqu’à deux minutes avant de rentrer sur la pelouse… Je n’avais jamais connu ça avant ! »
Du haut de ses 36 printemps, Joaquín est le parfait symbole de ce carpe diem au Betis, fait d’alliage entre tauliers expérimentés et jeunesse dorée issue de la cantera comme le polyvalent milieu Fabián Ruíz, le renard des surfaces Loren Morón ou le roc défensif Firpo Júnior, buteur dans le temps additionnel contre Las Palmas ce jeudi (1-0). Ancien coéquipier de Joaquín entre 2002 et 2005, Alfonso Pérez se souvient des anecdotes échangées avec celui qui était considéré comme un talent brut déjà convoqué par la Roja à l’époque. « Joaquín allait au stade avec son père quand il était gamin, c’est un Bético de pure souche. Une fois devenu joueur, tout le Benito-Villamarín l’a très vite admiré grâce à ses changements de rythme déroutants sur le terrain, mais surtout sa manière d’être en dehors. Ce type a toujours suivi la même ligne de conduite : celle du plaisir. » Épicure s’habille en vert et blanc.
Par Antoine Donnarieix
Tous propos recueillis par AD, sauf mention.