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Le FC Séville de Sampaoli, un doux parfum de Bielsismo
Alors qu'Emery n'a pas encore trouvé la formule au PSG, son successeur au FC Séville a presque tout bon. Après l'OVNI tactique de l'Universidad de Chile et les miracles en Coupe du monde et Copa América, Sampaoli, en bon disciple de Marcelo Bielsa, tente de bouleverser l'ordre établi. Analyse tactique d'un bordel organisé.
« Nous ne voulons pas avoir peur, nous ne voulons pas être dans l’attente, nous voulons du protagonisme et rechercher le but adverse plus que le nôtre. » La phrase est de Jorge Sampaoli, après le match gagné le week-end dernier contre l’Atlético de Madrid (1-0). Une ode au Bielsisme et à sa recherche constante d’action plutôt que de réaction pour celui qui écoutait les conférences de presse de Marcelo alors qu’il allait faire son footing. Et comme avec l’Universidad de Chile – qu’il transforma en machine à presser – ou avec la sélection chilienne – qui fait encore trembler le Brésil –, Sampaoli et sa bande font peur. Malgré trois défaites durant les trois premières rencontres officielles. Car pour juger Sampaoli, il faut se référer au jeu et non aux résultats. Contre le Real Madrid en Supercoupe d’Europe, les Palanganas menaient jusqu’à la 93e minute et le coup de tête, encore, de Sergio Ramos, mais au-delà du score, ils acculaient les Merengues dans leur moitié de terrain. Contre le Barça, en Supercoupe d’Espagne, même si le cumul des scores aller-retour est largement en faveur des Catalans (5-0), la conférence de presse de l’Argentin ne laissait transparaître aucun doute quant au style à adopter : « La meilleure manière de défendre contre une équipe qui aime jouer avec le ballon, c’est en essayant de lui ôter et en utilisant la possession pour lui faire mal. »
Sampaoli, ou le mariage entre positionnement et initiative individuelle
Alors qu’il était encore aux commandes de la sélection chilienne, Sampaoli s’était fait rejoindre par l’ancien mentor de Pep Guardiola lors de son exil au Mexique chez les Dorados de Sinaloa, Juanma Lillo. Un poste d’adjoint pour celui censé developper le positionnement des futurs champions d’Amérique. À Séville, le mariage Sampaoli-Lillo perdure et tactiquement, ça se ressent. Pour les matheux, le FC Séville est passé du 3-5-2 au 3-4-3, puis au 4-3-3, pour finir sur le plus récent 4-3-1-2 et la conséquente surpopulation du milieu.
Conformément aux préceptes sampaolistes, on essaye de faire sortir le ballon le plus proprement possible. Mais n’a pas la qualité de passe de Claudio Bravo qui veut, et si Sergio Rico est monstrueux sur sa ligne, son jeu au pied fait mal aux yeux. On fait donc passer le ballon par les centraux, principalement Nico Pareja et Mercado, ou Iborra, un milieu à la Mascherano. Les latéraux Mariano et Escudero servent d’écarteurs, les pieds sur la ligne, mais à l’inverse du latéral classique, ils se placent très haut, supposant – en cas de perte côté opposé – un gouffre immense à combler potentiellement sanctionnable par des buts. À ce titre, les deuxième et troisième buts contre l’Espanyol permettent d’illustrer ce risque considérable. Au milieu de ce gouffre vient s’insérer le géant N’Zonzi, tantôt entre les centraux, tantôt devant eux. Et depuis l’arrivée de Samir Nasri, la responsabilité d’un départ du jeu parfois trop exigeant pour N’Zonzi a été confiée à l’ancien Marseillais, presque libre dans ses déplacements.
Une fois le ballon sorti, l’accélération prend plusieurs formes. Le changement d’orientation du jeu vers Escudero ou principalement Mariano en position de centre en est une. Un long ballon pour Ben Yedder et Vietto en est une autre. Mais Sampaoli sait aussi faire confiance à autre chose qu’un mouvement automatisé et laisse une grande liberté aux perforateurs Vitolo et Vázquez pour conduire et casser les lignes. Le tout finit souvent avec des courses verticales de quatre, voire cinq joueurs n’hésitant pas à se projeter avec l’objectif de capter premiers et seconds ballons.
Gegenpressing et cojones
Sans ballon, le FC Séville presse, presse et presse. Indifférents à la qualité du rival, les attaquants axiaux cherchent les centraux adverses le plus haut possible, et les milieux collent leur vis-à-vis, au risque de laisser parfois, comme contre le Barça, les centraux en un contre un. Une belle paire de cojones que de faire ça contre la MSN. Une fois en place, tout le monde harcèle, et au moindre faux pas adverse – hésitation, ballon aérien, passe en retrait, adversaire de dos –, c’est tout le bloc qui sort et se concentre autour du ballon. Un risque énorme lorsque l’on joue sur les 105×68 mètres du Camp Nou face à un rival disposant d’une qualité technique permettant de sortir de la pression pour mieux jouer côté opposé. En somme, si l’adversaire baisse la tête, on applique une pression asphyxiante et si l’adversaire lève la tête, on place un bloc haut et on provoque le faux pas. À ce titre, une fois le bloc en place et dans l’optique de ne pas laisser l’adversaire respirer, les courses visant à mettre la pression sur un joueur ne se font jamais à vide et supposent par exemple que lorsque l’adversaire direct d’un milieu reçoit et joue en retrait, le milieu appliquant la pression sur le receveur initial suive la ligne de passe, la ferme, pour mieux presser le receveur de la passe en retrait. C’est ainsi qu’on voit parfois Mariano traverser horizontalement le terrain pour donner du sens à une pression initialement appliquée à un adversaire dans sa zone.
La transition offensive-défensive répond à ce que Jürgen Klopp a popularisé sous le nom de « gegenpressing » , ou en espagnol « perdida-presion » : un temps de pression extrême à la perte du ballon. Et dans sa grande capacité à convaincre, Sampaoli parvient à faire revenir les siens comme des fous, si toutefois la pression était éclatée. On voit ainsi Vázquez, pourtant milieu offensif, faire des courses verticales de cinquante mètres pour, au pire, freiner la progression et, au mieux, récupérer le ballon au moyen d’une agressivité manquant parfois de savoir-faire. La transition défensive-offensive est simple : gagner le ballon, s’ouvrir principalement dans la verticalité et voir ce que Vitolo, Vázquez et Nasri inventent.
La relève d’Alves, Krychowiak et Navas ?
Sampaoli semble avoir tout ce dont il a besoin pour s’épanouir : une moitié d’équipe argentine et la niaque qui va avec, une autre moitié de Français et quelques piliers de la maison : Vitolo, Sergio Rico et Escudero. Mais au FC Séville, un club qui base sa survie sur la plus-value à la Gameiro, on ne peut pas entraîner sans une vocation formatrice, une aubaine pour celui qui a révélé Aránguiz et Vargas à l’Universidad de Chile et a fait exploser Claudio Bravo et Gary Medel au Mondial 2014. En Andalousie, les nouvelles pépites répondent aux noms de Mariano, N’Zonzi et Vázquez. Le premier est infatigable et inamovible sur son côté droit, et balance centre parfait sur centre parfait, le tout trempé dans une culture de l’effort impressionnante. Le second semble avoir pris une autre dimension depuis le départ de Krychowiak, à base de récupération, percussion et même de but. Le dernier, polyvalent, tantôt faux neuf, tantôt ailier, tantôt numéro 10, donne une impression de sécurité lorsqu’il est sous pression, à laquelle il allie une créativité dingue dans ses choix de passe. Les nouveaux Dani Alves, Krychowiak et Jesús Navas ?
Par Josselin Juncker, à Séville