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Le fabuleux destin du FK Krasnodar
Loin des dépenses mirobolantes de ses concurrents, le FK Krasnodar s’impose comme l’une des valeurs sûres du championnat russe. Une dizaine d’années après sa création, le club surprise de la compétition jouera son premier match de Ligue des champions contre de séduisants Rennais.
Douze ans. Les supporters du Futbolny Klub Krasnodar, fondé en 2008, n’auront pas attendu longtemps avant de voir leur équipe décrocher son premier billet pour la phase de poules de la Ligue des champions. En s’imposant sur la pelouse du PAOK Salonique à l’issue des barrages retours, Rémy Cabella et les siens marquent déjà l’histoire de la compétition reine par la précocité de cette qualification. Avec deux buts et un penalty provoqué, l’ancien Stéphanois (qui ne sera pas du voyage à Rennes pour une suspicion de cas de Covid-19, N.D.L.R.) a largement contribué à ce succès. Une idylle loin d’être acquise.
Quand il quitte le Chaudron pour rejoindre la capitale du sud russe contre un chèque de douze millions d’euros à l’été 2019, pas grand monde ne comprend son choix. Il faut le reconnaître : s’expatrier dans le championnat russe, à 29 ans et après une saison pleine (huit buts et quatre passes décisives) a de quoi surprendre. Mais, dans les colonnes de L’Équipe, RC7 joue la carte de la franchise : « J’ai quand même mis une dizaine de jours à me décider, mais la proposition était tellement énorme que c’était impossible à refuser.(…)Au niveau des infrastructures, je peux vous dire que c’est le très haut niveau. » Un an plus tard, le terrain lui donne raison : il va affronter Rennes dès ce mardi soir avec l’espoir de surprendre la planète foot et de décrocher une place pour les huitièmes de finale. Mais comment un club si jeune peut-il déjà en être là ?
Un oligarque nommé Sergueï Galitski
En ce début d’année 2008, le Kouban Krasnodar se prépare à la reprise de la deuxième division russe qui a lieu au mois de mars. Ces dernières années, le Kouban ne cesse de faire le yo-yo entre Premier-Liga et Pervy Divizion, alternant avec une certaine régularité 15e place de D1 et 2e place de D2. Pour stabiliser le club dans l’élite, le milliardaire local Sergueï Galitski propose depuis quelque temps de le reprendre, mais les assauts de l’oligarque sont refusés. À la tête de Magnit, la chaîne de grande distribution la plus célèbre du pays, l’homme d’affaires n’est pas du genre à abdiquer si facilement. S’il ne peut mettre la main sur le Kouban, il fera autrement : le 22 février il fonde sa propre équipe, le FK Krasnodar.
Les Taureaux, aka les Byki en russe, ne perdent jamais de temps. Dès leur première saison, ils évoluent en D3 et terminent troisièmes. Trop peu pour espérer monter. Sauf que le SKA Rostov et le Sportakademklub Moscou se désistent, et le FKK monte. En 2011, les Krasnodariens sont encore aidés par un coup du sort : le Satourn Ramenskoïe renonce à son accession en D1 à cause de ses difficultés financières. Les bonnes relations de Galitski feront le reste. « Malgré une cinquième place clairement insuffisante, le FKK est choisi pour monter en D1. Le principal argument invoqué étant sa bonne santé financière. Mais l’influence de Galitski ne fait guère de doute dans la décision de promouvoir le club », estime Philippe Ray, qui alimente un compte Twitter francophone et non officiel dédié aux Byki. Une chose est sûre : le FKK atteint l’élite russe en seulement trois ans. Qui dit mieux ?
Football sous influence
En Russie, plus qu’ailleurs, football et politique sont mêlés. Sergueï Galitski n’est évidemment pas le premier oligarque à investir dans le sport roi. En juin 2011, le milliardaire Suleyman Kerimov rachète le club de foot de sa ville natale : le FK Anji Makhatchkala. Roberto Carlos, Lassana Diarra et Samuel Eto’o suivront. L’international camerounais est alors le joueur le mieux payé du monde avec un salaire estimé à 20 millions d’euros. Racheté par Gazprom en 2003, le Zénith Saint-Pétersbourg n’est pas en reste : en 2012, l’équipe se renforce en dépensant 60 millions d’euros pour acquérir Hulk et 40 millions pour Axel Witsel. « Entre les dépenses astronomiques du Zénith Saint-Pétersbourg et du CSKA Moscou, la mauvaise gestion de la construction du stade Krestovski et le feu de paille qu’a été l’ascension de l’Anji Makhatchkala, le FK Krasnodar de Sergueï Galitski se distingue sur tous les plans », défend Philippe Ray.
Si autant d’oligarques investissent leur fortune dans le championnat russe, c’est qu’ils ont une bonne raison de le faire. « Depuis les années 2000, Vladimir Poutine encourage vivement, c’est-à-dire qu’il force la main, à investir dans les grands clubs de sport, décrypte Lukas Aubin, chercheur en géopolitique à l’université de Nanterre et auteur de la thèse Gouverner par le sport en Russie ? Étude d’une stratégie de soft power au service de l’élite du pouvoir. C’est une manière de montrer patte blanche au pouvoir tout autant que de montrer qu’une région se porte bien. » Alors, le FKK n’est-il qu’un jouet à oligarque de plus ? Pas vraiment. Contrairement à de nombreux clubs rachetés par des milliardaires, le FK Krasnodar n’est pas très dépensier. « À plusieurs reprises, il a répété qu’il n’achèterait pas de grands noms pour plaire à ses supporters. Sergueï Galitski a un profil atypique, puisque généralement ceux qui investissent n’y connaissent pas grand-chose au football et lâchent des millions pour se faire bien voir par Poutine et à l’étranger. Lui, il a une vision à long terme », abonde Lukas Aubin. Rémy Cabella et son transfert à 12 millions d’euros restent pour l’heure l’achat le plus onéreux du club.
Un club moins bling-bling
À défaut d’attirer des stars, le Futbolny Klub Krasnodar fait construire un stade de 34 000 places ultramoderne disposant d’un écran géant 360°. Mais surtout, il se dote d’un centre de formation performant qui attire de jeunes pousses. « Le FKK a noué des contacts avec plus d’une vingtaine de clubs dans le kraï de Krasnodar et la république d’Adyguée, ce qui permet de détecter des milliers de jeunes, de les entraîner, s’enthousiasme Philippe Ray. En 2017, des jeunes de l’académie ont été intégrés à l’équipe première. Aujourd’hui, le gardien Matveï Safonov, l’attaquant Magomed-Chapi Soulieïmanov et le milieu Daniil Outkine sont devenus des titulaires réguliers. Le rêve de Galitski serait de créer une équipe compétitive composée de onze Russes formés à l’académie. » Ces singularités ont séduit ce mordu des Byki. Dès la saison 2013-2014, le supporter s’attache aux joueurs de Sergueï Galitski : « J’avais senti que ce club aurait une belle histoire à raconter. Pendant l’été 2015, je me suis jeté à l’eau sur Twitter pour animer un compte dédié. »
Philippe Ray mise sur le bon cheval. Alors que le FK Anji Makhatchkala a été relégué en seconde division dès 2014, les Byki affichent une grande stabilité. Depuis que l’ancien club de Suleyman Kerimov est descendu en division inférieure, Krasnodar oscille entre la 5e et la 3e place. Mieux : Rémy Cabella et les siens sont les seuls représentants de la ville dans l’élite du football russe depuis que le Kouban a fait faillite et a été dissous en 2018. Seuls maîtres à bord, les joueurs de Sergueï Galitski espèrent maintenant conquérir la Russie. Et l’Europe ?
Par Vincent Bresson