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Le fabuleux destin de l’enceinte de Kimpembe

Par Alexandre Doskov
Le fabuleux destin de l’enceinte de Kimpembe

Pendant un mois, l'enceinte de Presnel Kimpembe a été une des stars de l'équipe de France, et a permis aux Bleus de passer d'incroyables moments de communion. Mais derrière les sourires et les pas de danse, il y a un objet à la personnalité complexe qui n'a pas toujours été à son aise en Russie, et qui a même dû forcer le destin pour échapper à son sort. Récit.

Voilà 10 minutes que l’Enceinte est secouée de haut en bas, de gauche à droite, et même dans tous les autres sens possibles et imaginables. Elle n’en peut plus et se dit si elle était un être humain, elle aurait sacrément envie de vomir. Mais comme l’Enceinte est une formidable professionnelle, la seule chose qu’elle vomit, ce sont les paroles de l’une des nombreuses chansons fétiches des Bleus : « Ah sac à dos / Naza y a quoi dans le sac à dos, Naza y a quoi là / Ah sac à dos. » L’Enceinte a vécu le même calvaire après chaque victoire des Bleus, en subissant des soirées qui n’en finissaient pas. Pendant plus d’un mois, le bout du bras de Presnel Kimpembe a été son habitat naturel, et le fond du bus le lieu où elle a passé l’essentiel de son temps.

« Et le plus souvent, j’étais scrutée par la lentille de son appareil photo, lâche-t-elle après coup, encore marquée par le mois qu’elle vient de vivre. Il filmait absolument tout pour ses stories Instagram, je n’avais aucune intimité. » Sacré parcours que celui de cet objet d’un peu plus de trente centimètres de long, devenu sans avoir rien demandé le 24e membre de l’équipe de France. Mais malgré la fatigue accumulée, l’Enceinte sait qu’elle a eu une chance folle de participer à cette épopée. Alors au moment de faire le bilan, l’émotion fait clignoter son bouton Play/Pause : « Quand je pense à mes amies qui ont passé les dernières semaines couchées sur un quai de Seine inconfortable à côté du métro Saint-Michel, à jouer de la musique pour des étudiants ivres et à se faire éclabousser par de la mauvaise bière… »

« J’ai regardé la mort dans les yeux »

Pourtant, l’aventure aurait pu – et même dû – ne jamais avoir lieu. « C’était en juin 2015 » , souffle l’Enceinte de Kimpembe, en crachotant timidement sa confession de ses baffles tremblantes : « La peur de ma vie. J’ai regardé la mort dans les yeux. » À cette époque, le petit monde des enceintes portables est en alerte. La marque Apple vient d’annoncer qu’elle devait rappeler tous les modèles Beats Pill XL déjà vendus et retirer de la vente ceux qui attendaient en magasin. En cause, un problème de batterie qui chauffe trop et qui provoque des risques d’incendie. L’Enceinte tremble. Elle est une Beats Pill XL, et si Presnel Kimpembe apprend la nouvelle, elle risque le pire. Heureusement pour elle, quand le défenseur du PSG rentre chez lui ce jour-là, il ne regarde pas les chaînes d’infos.

Son Enceinte rit encore en racontant la scène : « Je me disais que s’il allumait BFM, c’était fini pour moi. Mais j’ai flippé pour rien. Je le connais, mon Presco. Je sais ce qu’il regarde à la télé, il me range sur l’étagère à côté du canapé, donc je vois tout. Et ce jour-là, comme d’habitude, quand il est rentré, il a mis Trace TV pour regarder le top Tropical. La chanson de Medhy Custos avait perdu deux places, Presnel était déçu. Il aime bien ce chanteur. » L’Enceinte terminera cet été 2015 avec des sentiments controversés. Triste en pensant à toutes ses sœurs rentrées à l’usine pour y être détruites, mais heureuse de se dire que son histoire avec Presnel Kimpembe allait continuer. Et sans se douter une seule seconde que trois ans plus tard, elle serait en Russie en train de jouer pour des futurs champions du monde.

La grande évasion

Vendredi 6 juillet 2018, aéroport de Nijni Novgorod. L’Enceinte de Kimpembe a vieilli, et elle n’est plus capable d’enchaîner les fêtes comme avant. Elle aurait aimé que son propriétaire lève le pied, ou qu’il se mette à écouter des styles de musique moins fatigants. « Mes membranes ne sont plus aussi solides qu’avant, commente-t-elle. J’ai des collègues qui ne jouent que de la musique classique, et elles vivent en forme très longtemps. Moi, avec le rap, je suis déjà fatiguée. » Le défenseur des Bleus, lui, n’en a pas grand-chose à faire. Il s’apprête à rentrer à Istra après la victoire des Bleus en quarts de finale de Coupe du monde face à l’Uruguay, et il est déchaîné. Dans les couloirs de l’aérogare, il multiplie les pas de danse avec Benjamin Mendy et Blaise Matuidi. « Toute la playlist y est passée. Naza, Fally Ipupa, Ohmondieusalva… Je n’en pouvais plus. Je me suis dit qu’il fallait que je fasse quelque chose. »

L’Enceinte prépare soigneusement son coup. Les matchs sont le seul moment où elle a un peu de répit et où Kimpembe ne la sollicite pas, alors c’est décidé : elle agira lors de la demi-finale. Ce soir-là, dans le vestiaire du stade de Saint-Pétersbourg, l’équipe de France est prête à entrer sur la pelouse. En quittant les lieux, Kimpembe coupe le son alors qu’il imposait Ancrée à ton port de Fanny J à l’assistance. L’Enceinte est désormais seule dans la place, posée sur la grande table du vestiaire. Elle se met à faire résonner des basses puissantes et vrombissantes, qui la font vibrer et bouger. « J’ai avancé jusqu’au moment où je suis tombée dans le sac d’Hugo Lloris » , conclut l’objet.

Retraite dorée

La grande évasion est réussie. Après le match, Kimpembe ne retrouve pas son enceinte et accuse la terre entière et finit par décréter que le coupable est Antoine Griezmann. Un peu plus tard, le Parisien postera une vidéo sur Instagram pour annoncer la triste nouvelle à ses fans : « Il n’y aura pas de story aujourd’hui, j’ai oublié la baffle. Grizou ! C’est Grizou qui a oublié la baffle ! Il n’y aura pas de story, je suis désolé. »

Vidéo

Tranquillement cachée au milieu des affaires d’Hugo Lloris, l’Enceinte entend la scène en se retenant de rire pour ne pas faire de bruit. « Si Presco avait bien regardé dans son bluetooth la liste des objets à proximité, il aurait remarqué que j’étais encore dans le coin, mais il ne l’a pas fait. De toute façon, je ne m’inquiétais pas pour lui. Je savais que ces cinglés de chez Beats by Dre en profiteraient pour faire un coup de pub. » Bingo. Dès le lendemain, la marque publie un petit clip pour annoncer que de nouveaux jouets – un autre modèle plus récent, la Pill+ – venaient d’être envoyées en urgence aux Bleus. L’Enceinte peut enfin souffler, et laisser le témoin à cette nouvelle génération sans aucun regret. Aujourd’hui, elle a trouvé refuge sur la Côte d’Azur, dans la ville de Nice. En effet, Hugo Lloris l’a découverte avec surprise dans son sac en rentrant chez lui, et a décidé de l’offrir à son père. Et l’Enceinte joue enfin de la musique calme, et coule des jours heureux avec une grande et belle vue sur la mer Méditerranée. Comme n’importe quelle retraitée, finalement.

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Par Alexandre Doskov

Propos de l'Enceinte recueillis par AD

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