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Le fabuleux auto-kidnapping de Ruben Fernandez
Fauché depuis la fin de son contrat et en proie au démon du jeu, Ruben Fernandez, obscur latéral gauche uruguayen, avait le plan parfait : vider le compte de la coopérative immobilière dont il était le trésorier, tout claquer au casino, puis simuler un enlèvement pour expliquer la disparition du fric. Diablement rusé. Mais loupé.
Ruben Fernandez est un joueur médiocre comme il en existe des milliers. Uruguayen, arrière gauche de 32 ans, le larron évoluait jusqu’en mai dernier au Club Sportivo Cerrito, en seconde division locale. Pas une flèche quoi. Tellement bidon même que son club décide de ne pas prolonger son contrat, mettant son vieux poulain au chômage. Le lascar a beau râler, menacer de traîner son ancien employeur devant les tribunaux, chercher un nouveau point de chute, rien n’y fait, les mois de chomdu s’enchaînent. Plutôt cigale que fourmi, Ruben se retrouve sans le sou bien avant que la bise soit venue. « Ruben Fernandez avait une situation financière désespérée, il avait de nombreuses dettes et aucune entrée d’argent depuis plusieurs mois« , explique après coup le sous-commissaire Gabriel Lima, chargé de l’enquête, dans les colonnes du quotidien uruguayen El Pais.
« On tient ton mari, débrouille-toi pour réunir du fric«
Le feu d’artifice du grotesque démarre dans journée du mardi 28 août. Le bougre s’en va déposer son rejeton à l’école du quartier puis s’évapore dans la nature. Sa tendre épouse reçoit dans l’après-midi un coup de fil de la directrice de l’établissement étonnée que personne ne soit venu chercher le gosse à la sortie des cours. En bonne mère, madame va d’abord chercher le mioche avant d’attendre, toute anxieuse, des nouvelles de son Ruben. Une attente de courte durée puisqu’elle reçoit dans la soirée deux textos d’un numéro inconnu : « On tient ton mari« , puis « Débrouille-toi pour réunir du fric, vite« . Aux abois, la jeune femme accourt aussitôt au commissariat le plus proche. « La première chose que l’on vérifie en cas d’enlèvement, c’est si le profil du kidnapping correspond, soit à un enlèvement ciblé et précis, soit à un coup au hasard. Le dossier de M. Fernandez ne correspondait à aucun de ces deux cas-typiques, ça nous a mis la puce à l’oreille« , ajoute le vieux flic. Dans le doute, une brigade spéciale de la Direction du Crime Organisé lance l’enquête, assistée par les gros bonnets d’Interpol.
Quelques heures après le début de l’alerte, les enquêteurs parviennent à tracer le signal de carte bleue du disparu. Il émane d’une des gares routières de Montevideo. En se branchant sur les caméras de surveillances, les policiers retrouvent notre gaillard pépère, en train de monter dans un bus, direction Colonia, une ville un peu plus à l’ouest sur le Río de la Plata. Cet enlèvement commence à sentir clairement le flan… Interpol, au courant des pépins financiers du gredin, lève alors le secret bancaire et se rend compte que le fripon a déposé sur un compte privé 95 000 dollars, avant d’en retirer le lendemain 80 000 dans une autre agence. En creusant, les enquêteurs démêlent l’histoire : Fernandez était le trésorier d’une coopérative immobilière, il avait ce mardi en question reçu cette somme en liquide avec comme mission d’aller la déposer sur le compte de la coopérative. Un pécule qui n’arrivera donc jamais jusqu’à son destinataire initial.
Le démon du jeu
C’est à ce moment-là que la crapule choisit de refaire surface, à deux pas de chez elle, dans la maison de son frère. Arrêté par les poulets et pressé de questions, Ruben se lance alors dans un cocasse récit. Après avoir déposé son fils à l’école, il s’est rendu au bureau de la coopérative récupérer l’argent en question. Alors qu’il prend le chemin de la banque, trois hommes cagoulés se jettent sur lui, le frappent et le font monter de force dans le coffre d’une voiture. Les bandits lui auraient d’abord dérobé l’argent qu’il avait sur lui, avant de le laisser pendant deux jours dans une cave, le temps de demander une rançon à sa famille. Puis, n’ayant pas de nouvelles, ses ravisseurs l’auraient finalement relâché dans la nature. Niveau scénario, Quentin Tarantino n’aurait pas fait mieux. Sauf que la pilule ne passe pas du tout auprès des fins limiers de la police qui étalent devant le vaurien les contradictions de sa belle histoire. Poussé dans ses derniers retranchements, il finit par cracher le morceau.
Il commence par confesser son addiction aux jeux d’argent, avant d’avouer que son coup était tout à fait prémédité et de déballer la vérité sur sa truculente escapade. Une fois l’argent de la coopérative dérobé, Ruben a en réalité tranquillement pris le car pour Colonia — un fait corroboré par les vidéos de surveillance. En arrivant sur place, il prend directement la direction du casino. Prenant ses précautions, il décide d’envoyer les fameux textos à sa femme du portable d’un quidam charitable. Ensuite, méticuleusement, il passe 24 heures d’affilée à perdre un à un les 80 000 dollars qu’il avait chourés. Une bonne dose d’adrénaline en somme. Puis, une fois son forfait terminé, le garçon rentre gentiment chez lui, son histoire d’enlèvement bidon bien préparée dans un coin de la tête. Aujourd’hui, Ruben Fernandez moisit en prison. Son avocate affirme néanmoins qu’il pourra sortir de taule une fois l’argent remboursé à la coopérative. Franchement, après ça, Breno qui incendie sa propre maison pour toucher le flouze de l’assurance, ça fait petit joueur, non ?
Par Pablo Garcia-Fons