- Championnat britannique des Nations constitutives
Le doyen des compétitions internationales
Ce samedi soir, l'Argentine ou le Chili repartira avec un titre existant depuis 1916, sanctionnant le plus ancien tournoi international encore en activité depuis l'arrêt en 1983 du doyen centenaire. Il était une fois le Championnat britannique des nations constitutives.
Un soir d’octobre 1863, sous les lumières tamisées d’une taverne londonienne. La table épaisse boit les palabres interminables de l’assemblée, les discussions se poursuivent tard dans la nuit. L’enjeu est de taille : décider si le football naissant peut se jouer avec les mains ou si seuls les pieds doivent faire danser la balle. Ce n’est plus un secret, la seconde option est retenue, les partisans des règles de Cambridge établies en 1848 l’emportent. Ceux menés par la Rugby School repartent de la Freemason Tavern défaits, mais pas vaincus : la Rugby Football Union verra le jour en 1871. Du côté de notre football, les choses ne sont pas encore bien définies, les règles varient selon les régions. Ainsi, lors du premier match international officiel, le 30 novembre 1872, l’Angleterre et l’Écosse s’affrontent sur le terrain de cricket du stade Hamilton Crescent de Glasgow, en affichant des formations à base de 1-1-8 et 2-2-6 et en suivant les règles écossaises, terrain de jeu du match.
Anglais et Écossais réalisent l’exploit de terminer la partie sur un score nul et vierge, déception pour les 3 000 spectateurs présents, qui ont quand même assisté à l’internationalisation du football en marche. Pendant 10 ans, l’Angleterre et l’Écosse s’affrontent lors d’un match annuel et traditionnel, rejoints en 1879 par le pays de Galles, puis par l’Irlande en 1882. Le problème de la diversité des règles prend alors de l’ampleur, les 4 fédérations se rassemblent à Manchester pour le résoudre. Les participants s’accordent sur l’unification des règles du jeu, sur la création de l’International Football Association Board (IFAB toujours, au sein de la FIFA, gardienne de l’évolution des Lois du jeu), et sur l’officialisation des rencontres amicales : le British Home Championship, le Championnat britannique des nations constitutives, est né.
De la tribune Ouest à l’escalier 13
Pour la première édition de la première compétition internationale, en 1884, l’Écosse ouvre le bal par une victoire 5-0 contre l’Irlande et remporte le tournoi. Préfiguration du règne partagé entre Écossais et Anglais au long des 89 éditions du championnat (il sera suspendu respectivement 5 et 6 ans pendant les deux Guerres mondiales) : pays de Galles et Irlande, puis Irlande du Nord, ne cumulent que 11 titres. Mais la compétition est surtout rythmée par les événements footballistiques et politiques du siècle. Ou purement et tristement tragique, ainsi le désastre d’Ibrox de 1902.
Le 5 avril, l’Écosse reçoit l’Angleterre à Glasgow. Il pleut, beaucoup. Les fondations de la structure métallique soutenant les gradins en bois de la récente tribune Ouest ne résistent pas, la tribune s’effondre à la 51e minute : chute de 12 mètres, 25 morts, près de 600 blessés. Après plus de 20 minutes d’interruption, le jeu reprend, mais le match sera finalement invalidé et rejoué, à Villa Park, Birmingham, et les fonds de ce match seront affectés au fond d’indemnisation des victimes. Ce drame marque aussi la fin de ce type de structure : désormais, toutes les tribunes seront construites sur talus ou en dur. Ce qui n’empêchera pas un autre drame à Ibrox, à l’occasion d’un Old Firm de 1971, quand l’escalier 13 s’effondrera et entraînera le décès de 66 personnes.
« Champions du monde non officiels ! »
Perturbations toujours dans l’atmosphère britannique, en 1981, avec les troubles nord-irlandais. Au cœur des conflits des H-blocks, ces grèves de la faim qui secouent l’opinion et les prisons locales, les matchs de l’Irlande du Nord à domicile ne sont pas déplacés pour autant. Et si Margaret Thatcher refuse de « parler avec les terroristes » , Angleterre et pays de Galles refusent eux de se rendre à Belfast pour jouer leur match. La compétition est annulée, la politique a vaincu le football, et l’Irlande du Nord conserve pour une année supplémentaire son titre conquis sur le terrain l’année précédente. Mais les Britanniques n’ont pas toujours perdu leur football, ni leur humour. En 1967, l’Angleterre s’avance en grande favorite du tournoi, auréolée de son titre mondial. Le 15 avril, la victoire dans le Championnat britannique des nations constitutives se joue entre l’Écosse et le champion du monde à Wembley. L’Écosse l’emporte par 3 buts à 2, les supporters à kilts envahissent le terrain, puis lancent le concept de « champion du monde non officiel. » Toujours ça de pris. Et une revanche sur le destin ?
En 1950, le British Home Championship sert de qualificatifs au Mondial 1950. Deux places sont réservées pour les 4 équipes. Les Anglais et les Écossais, encore eux, s’affrontent pour le titre, ils ont d’ores et déjà leur place pour la Coupe. Mais les voisins du Nord sont fiers, ils annoncent qu’ils n’iront jouer au Brésil que s’ils gagnent la compétition. Évidemment, ils perdent et restent à la maison. Ainsi vont les petites histoires de la plus ancienne compétition internationale, qui disparaît en 1983 à l’âge de 100 ans, victime du désintérêt du public, de la prolifération des compétitions, mais aussi du hooliganisme. Une question reste, cependant : peut-on vraiment qualifier de compétition internationale un tournoi disputé par quatre entités administratives représentant un seul et unique État souverain ?
Par Eric Carpentier